Clémente nous soit la pluie, Récits du Demi-Loup #4, Chloé Chevalier.

Au fond d’elles-mêmes, elles le savaient déjà. Depuis le début. Elles s’étaient juste efforcées de l’oublier, pendant toutes ces années. Pourtant la solution se tapissait là, patiente, attendant son heure dans le plus sombre recoin de leur mémoire.
L’unique et dernier espoir du Demi-Loup. Mais aussi le plus fondamental, le plus douloureux, de tous leurs devoirs de Suivantes. Nersès et Lufthilde ne peuvent plus feindre de l’ignorer. L’heure est venue de l’ultime sacrifice.
Une question, toutefois, demeure en suspens : à quoi bon ?
Cet Empire qui se dresse, immense, tout puissant, face au Demi-Loup moribond, faut-il le craindre ou l’espérer ?

Attention, cette chronique contient des spoilers sur l’ensemble de la série, et particulièrement ce tome-ci. La conclusion est sûre !

Cela fait maintenant cinq ans que j’ai attaqué cette série dont j’ai attendu chaque tome plus impatiemment que les précédents – et celui-ci peut-être plus encore, car l’attente a été longue. Presque trois ans, mais trois ans d’attente qui en valaient clairement la peine vu la qualité de cet épisode !

À l’issue de ma lecture, je m’aperçois que j’ai à la fois détesté et adoré ce dernier tome. Détesté car c’est le dernier tome, bien sûr, mais aussi parce que tout n’a pas forcément tourné comme je l’espérais. En finissant le tome 3, j’avais la sensation que l’affaire ne pouvait que mal tourner et, de ce point de vue-là, j’ai été servie ! Lorsque l’on ouvre le roman, le Demi-Loup est au bord du gouffre. La rupture est consommée entre la reine des Éponas et la future reine de Véridienne, la dissenssion gronde parmi les Chats (une partie de l’armée étant fidèle à Édelin, l’autre lui préférant Lufthilde), la Preste Mort ravage le royaume, la Suivante Nersès a pris la fuite pour cuver son chagrin, et le coup d’état fomenté par Cathelle et Aldemor semble de plus en plus près d’aboutir. Au fil des chapitres, tout semble aller de mal en pis, et rien n’est fait pour épargner les personnages, lesquels se mettent à commettre de plus en plus de choix discutables et à s’enliser dans les pires situations. Combien de fois n’ai-je pas grogné contre l’un ou l’autre qui – au choix – manque de discernement ou commet une aberration ?
Mais en même temps, j’ai adoré ma lecture. À tel point que je me suis un peu réfrénée pour ne pas la terminer trop vite ! Donc non, les choses ne tournent pas forcément au mieux pour tout le monde (encore que ça dépend de quel point de vue on se place !) mais tout s’agence à merveille. Chaque fil d’intrigue est bouclé et toutes les annonces faites dans le récit trouvent leur révélation – ou presque toutes, mais j’y reviens plus bas. Plus j’avançais dans la lecture (et voyais le nombre de pages restantes se réduire), plus je m’inquiétais : l’histoire allait-être réellement être bouclée ? Des sous-intrigues seraient-elles sacrifiées au profit du reste ? Eh bien non. Et c’est vraiment bluffant de maîtrise !

Comme dans les opus précédents, le récit est fait a posteriori, et en suivant différentes époques, alors que jusque-là le récit était parfaitement linéaire. On retrouve évidemment les écrits des Suivantes Lufthilde et Nersès, comme ceux de Crassu, plus quelques échanges épistolaires. Premier étonnement pour ma part : les journaux de Cathelle et Aldemor sont d’abord totalement absents. Or, j’avoue que je m’étais bien habituée à lire leur point de vue, qui donne un aperçu vraiment complet de la situation (et qui jusque-là permettait souvent au lecteur d’avoir une ou deux longueurs d’avances sur les paires royales). Or là, nada, silence radio. Pire, on découvre même leur implication dans certains événements sur le vif, ou dans les récits des autres qui n’ont que partiellement identifié ce qui se déroulait pourtant sous leurs yeux. Conséquence immédiate ? J’avais la nette impression (sans doute comme les protagonistes), de m’agiter dans le noir, sans pouvoir discerner ce qui m’attendait ou allait se produire. Le suspense en a été décuplé, tout comme mon investissement dans la lecture ! À la moitié du roman, nouveau changement narratif : on est alors 25 années après ce qui se déroulait précédemment, et revoilà le couple maudit, interrogé par le poète Chantrenard qui s’attelle à la rédaction d’une chronique du Demi-Loup. Quoi ?! Comment ?! Mais revenons à nos moutons !! Car on a laissé les protagonistes dans de beaux draps et on ne sait rien, mais absolument rien de ce qui leur est, dès lors, arrivé. Inutile de dire que j’ai trépigné tout du long en lisant le – long, mais passionnant – chapitre d’aparté, d’autant que celui-ci multiplie les effets d’annonces ou les subtiles références à ce qui s’est déroulé (sans en dévoiler le moindre aspect). Effet de suspense garanti ! Or, la suite est à l’avenant : finis les écrits des Suivantes, puisque l’on passe directement… à leur procès. La construction a un côté implacable qui scotche au récit – que j’ai d’ailleurs lu la boule au ventre, tant j’étais prise par ma lecture. J’avais trouvé les trois tomes précédents vraiment très bien menés, mais là on est encore un cran au-dessus.

Malgré tout, il m’est resté, à la fin de ma lecture, quelques questions en suspens : qui est vraiment Tinek ? Quel est cet Empire qui n’aime pas l’Empire ? Qui est ce brillant orateur cité par Chantrenard, Aldemor et Cathelle et qui semble avoir pris la succession de cette dernière ? Pourquoi l’Empire de Gloire tremble-t-il sur ses fondations ? Que sont devenus Orelond et les Chats des Éponas ?
Autant de petits mystères qui ne sont pas vitaux à l’intrigue, mais qui donnent du corps au roman et qui, surtout, sont la marque d’une bonne fin ouverte. Car Chloé Chevalier réussit ici un tour de force : donner à la fois une véritable conclusion à la série, tout en laissant quelques portes entrouvertes. Celles-ci n’appellent pas nécessairement à une suite mais elles ont l’immense avantage de laisser vagabonder l’esprit du lecteur après la dernière page tournée (et d’appeler à une relecture ceux qui, comme moi, auraient peut-être expédié un peu trop vite la fin, car trop pressée de savoir comment cela allait terminer).

Indéniablement, ce tome est le plus sombre des 4. Le plus politique, aussi, alors que, paradoxalement, toutes les grandes décisions semblent avoir déjà été prises ; les personnages se retrouvent donc à jongler avec leurs conséquences – décisions difficiles voire horribles, guerre et batailles rangées, puisque l’on a dépassé depuis longtemps les petits jeux d’espionnage. Chacune livre son point de vue sur ses actions et chacune est persuadée soit du bien-fondé de ce qu’elle a entrepris, soit d’avoir fait au mieux avec les éléments dont elle disposait. L’autrice ne se pose jamais en faveur de l’une ou de l’autre, et évite de trousser des caractères manichéens. Oui, il y a des « gentils » et des « méchants » mais, plus l’on avance dans l’histoire, plus il devient difficile de savoir qui appartient à quel bord (Crassu en est d’ailleurs le parfait exemple, lui qui est sans cesse balloté entre les trois camps). Cela rend la réflexion sur le pouvoir et les choix qui en découlent d’autant plus passionnante. L’autre point absolument passionnant, est d’avoir suivi, de l’enfance à l’âge adulte, les cinq protagonistes. D’adolescentes choyées et frivoles, elles sont devenues des reines implacables ou perdues, des maîtresses de guerre, ou encore des espionnes chevronnées. Le récit permet de suivre la subtile évolution – et surtout l’érosion – de leurs relations. Il semble que chaque trait de caractère, chaque nouvelle dispute, découle d’une adolescence mal guérie, que l’autrice a parfaitement mise en scène. Les portraits de femme qu’elle dresse sont à l’image du reste du roman : parfaitement menés.

En somme, j’ai attendu cette conclusion avec une immense impatience et une attente démesurée, et les deux sont comblées. La construction du récit, mêlant narrateurs et époques, rend le roman absolument passionnant, d’autant que la montée en puissance des opus précédents trouve ici son apothéose. J’ai adoré chaque page. J’ai lu avec la boule au ventre, tant l’intrigue est menée de façon aussi implacable que magistrale à sa conclusion. Juste avant de lire ce dernier tome, j’avais relu les trois précédents mais, une fois tournée la dernière page de la série, j’en sors avec une certitude : je relirai sans aucun doute toute cette série, qui est entrée tout droit au panthéon des mes romans favoris. Avec trois coups de coeur sur quatre tomes, c’est le minimum syndical.

◊ Dans la même série : Véridienne (1) ; Les Terres de l’Est (2) ; Mers brumeuses (3).

Récits du Demi-Loup, #4 : Clémente nous soit la pluie, Chloé Chevalier.
Les Moutons électriques, 10 avril 2020, 544 p.

 

Mers brumeuses, Les Récits du Demi-Loup #3, Chloé Chevalier.

Pour Cathelle et Aldemor, l’heure n’est plus aux regrets. Rien n’arrêtera ce qu’ils ont déclenché.
Véridienne et les Éponas, pour la première fois, lèvent les armes l’un contre l’autre. Sur les rivages des Mers Brumeuses, les Chats de Calvina et les guerrières de Malvane se jaugent, et les deux Suivantes, résignées et amères, se préparent à devoir verser le sang de leurs camarades d’enfance. Alors que leurs reines, à tort ou à raison, leur retirent peu à peu toute confiance et que leurs terres se transforment en cimetières, plus rien ne semble pouvoir empêcher les désastres à venir.
Les rêves se fanent, les espoirs se muent en vaines illusions, amitiés et amours se délitent, tandis que le Demi-Loup, les yeux bandés, danse au bord du gouffre.

Après deux coups de cœur pour les deux premiers tomes, je ne pouvais pas passer à côté de la suite des Récits du Demi-Loup !
Cette fois encore, le temps a passé depuis la fin de l’opus précédent et les querelles se sont envenimées. Ce sont donc deux royaumes au bord de la guerre que l’on retrouve — inconscients, qui plus est, de la menace grandissante que représente l’Empire de l’Est, sous la savante houlette d’Aldemor. D’ailleurs, les points de vue des personnages nous permettent de suivre l’évolution de la situation : on oscille donc entre Véridienne, les Éponas et l’Empire, avec des narrateurs de tous bords.

Côté narrateurs, on suit à nouveau les Suivantes Nersès et Lufthilde (respectivement attachées à Véridienne et aux Êponas), le prince Aldemor, la Suivante déchue Cathelle, ces deux derniers faisant partie du contre-pouvoir (et qui m’ont semblés un poil moins au centre de l’histoire). Surgit également une nouvelle voix, que j’ai découverte et suivie avec passion : celle de Crassu, le fils aîné adoptif de Nersès et Firment, sourd de naissance – mais non muet, détail qui a son importance. Crassu est un adolescent bringuebalé dans une guerre qu’il n’a pas demandée, moqué en sus en raison de son handicap et très souvent sous-estimé. Comme, en outre, il est assez jeune, on ne le juge que rarement à sa juste valeur, ce qui lui permet d’avoir un point de vue inédit sur le conflit et de noter une foule de détails capitaux qui échappent aux autres. Ainsi, le roman a un petit côté récit d’espionnage pas désagréable du tout – car Crassu en capte, des secrets ! Et avec les informations dont on dispose à la fin du roman et qui ne sont pas encore arrivées à qui de droit partout… j’étais littéralement sur des charbons ardents !

La narration garde sa forme particulière : elle se fait au travers des écrits des narrateurs, qu’il s’agisse de leurs journaux (où ils couchent scrupuleusement ce qui leur arrive) ou de leurs échanges épistolaires. Si j’ai (à nouveau) regretté que la version numérique ne fasse pas apparaître les blasons immensément pratiques qu’il y avait dans la version papier (du moins du tome 1), je n’ai eu aucune difficulté à me repérer dans les voix, tant celles-ci peuvent être différentes. Mais surtout, l’avantage considérable qu’apporte ce type de discours rapporté, c’est le suspense incroyable qu’il distille dans l’intrigue. Les personnages écrivent avec du recul sur ce qu’ils ont vécu et multiplient les effets d’annonce… celles-ci n’étant pas nécessairement dans les pages qui suivent immédiatement ! On ronge son frein, on patiente, on stocke l’information dans un coin de cerveau en guettant le moment où elle va surgir et on grogne de frustration lorsqu’elle n’arrive pas avant la fin du roman !
Attention, spoiler : Par exemple, je meurs d’envie de savoir qui est ce Tinek qui erre aux Éponas et sert de précepteur aux enfants…

J’ai eu l’impression, dans ce tome, qu’il se passait quelque chose à peu près toutes les deux pages : les vengeances des unes et des autres se dessinent de plus en plus clairement et se mettent vraiment en place. On a la nette sensation qu’on a dépassé, ici, le point de non-retour et qu’on s’achemine doucement – mais sûrement – vers la catastrophe. Et le pire, c’est qu’on a hâte de voir ce que ça va donner !
Outre le volet politique, complexe à souhait, Chloé Chevalier accorde aussi beaucoup d’attention aux vies privées de ses personnages : entre leurs histoires (ou leurs peines) de cœurs, leurs préoccupations personnelles et leurs aventures qui ne semblent pas directement liées à l’enjeu politique, on est servis. C’est agréable, car les personnages ne sont pas réduits au simple rôle de pantins inexistants en dehors du conflit politique dans lequel ils se sont embarqués. Et cela donne d’autant plus envie de suivre leurs pérégrinations. Cela tient sans doute aussi au temps qui a passé : les princesses et leurs Suivantes ont grandi (la preuve en sont les enfants qui se mettent à naître), elles se sont endurcies (et pas toujours pour le mieux, d’ailleurs). Le roman a même un petit goût d’innocence perdue un tantinet mélancolique, mais qui sied parfaitement à l’intrigue !

Il y aurait encore tant à dire, mais il y a déjà bien assez de détails révélés dans cette chronique. Je m’arrêterai là en disant que j’ai littéralement dévoré ce roman, pressée que j’étais de savoir comment tout cela allait tourner, tout en ayant la certitude que ça ne pouvait que mal tourner. L’histoire est devenue bien plus sombre : non seulement nos cinq têtes de linottes ont brutalement grandi mais, en plus, le récit nous emmène vers de sombres lendemains (entre la Mort de l’Eau, l’Est ou les petits plans machiavéliques des uns et des autres, il y a de quoi faire). Chloé Chevalier, une fois de plus, nous présente des personnages attachants, pour les péripéties desquels il n’est pas difficile de se passionner. J’ai donc terriblement hâte, une fois de plus, de découvrir la suite de leurs aventures !

◊ Dans la même série : Véridienne (1) ; Les Terres de l’Est (2) ;

Les Récits du Demi-Loup #3, Mers brumeuses, Chloé Chevalier. Les Moutons Électriques, 1er juin 2017, 368 p.

Les Terres de l’Est, Récits du Demi-Loup #2, Chloé Chevalier.

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Deux ans ont passé. La Preste Mort poursuit ses ravages et la scission entre les deux domaines du royaume, Véridienne et les Éponas, se creuse chaque jour davantage. Aux deux Suivantes, Lufthilde et Nersès, il revient d’œuvrer dans l’ombre de leurs reines pour éviter le pire. Ballottées entre la frivolité de Calvina, les lubies imprévisibles de Malvane et la colère grandissante des comtes et du peuple, l’une comme l’autre peinent à se montrer à la hauteur de la tâche.
Tandis que de vieilles querelles de jeunesse se muent peu à peu en dangereux jeux de pouvoir, à l’est, l’Empereur tourne son regard et ses légions vers le Demi-Loup. Pour Cathelle et Aldemor, la Suivante et le prince renégats, l’heure approche de sortir de l’ombre et, enfin, de prendre leur revanche.

L’an dernier, j’avais succombé au charme de Véridienne ; inutile de préciser que j’attendais Les Terres de l’Est avec une certaine impatience, largement récompensée. Dans le premier volume, on suivait essentiellement les tribulations des deux cousines, au travers des journaux de leurs trois Suivantes et du prince Aldemor. Cette fois, l’histoire se concentre bien plus sur Aldemor, le prince renégat et sur Cathelle, la Suivante déchue, qui a suivi Aldemor dans sa disgrâce.
Au travers des écrits d’Aldemor, on en apprend plus sur son passé à l’Est et cela éclaire à la fois sa personnalité et quelques événements du premier volume.

La situation politique ne cesse de se complexifier et il est intéressant de voir l’angle sous lequel Chloé Chevalier envisage la situation. Le Demi-Loup n’est, finalement, qu’un royaume de bouseux mal dégrossis, menacé par la proximité d’un immense empire bien plus brillant. Les échanges de Nersès et Lufthilde, à ce titre, sont particulièrement édifiants, et permettent de mieux saisir les évolutions sanitaires, politiques et sociales en marche – et il y a du boulot. Comme dans le premier volume, on ne voit jamais les deux reines, mais on les suit tout de même pas à pas. Ces longs échanges de lettres sont également l’occasion de revenir sur leurs erreurs de jeune fille et, si en lisant le premier tome on ne s’est pas arrêté sur certains détails, les implications de leurs petits conflits sont maintenant plus claires.

On passe aisément d’un narrateur à l’autre – mais je regretterai tout de même que les blasons, bien pratiques pour les identifier, n’apparaissent pas dans la version numérique – car Chloé Chevalier les a tous dotés d’une voix bien particulière. Et dès que l’on passe à un nouveau personnage, c’est pour regretter de ne pas suivre plus longtemps le précédent, preuve que l’auteur a su rendre leurs tribulations littéralement passionnantes.

Si, dans le premier tome, les querelles juvéniles des cinq filles donnait au roman de faux airs lents, le rythme est nettement plus soutenu dans ce deuxième tome. Entre ceux qui se lancent dans une quête vengeresse presque promise à échouer, ceux qui tentent vaille que vaille de résoudre les problèmes et celles qui décident qu’elles ont mieux à faire, une certaine tension s’installe.
Mais, parallèlement à cela, l’auteur écrit, encore une fois, un roman très humain, centré sur les relations des personnages et leurs quêtes personnelles, qui viennent nourrir l’intrigue générale. Sans en révéler de trop, les quêtes politiques se doublent de quêtes identitaires, en se nourrissant les unes les autres.

De plus, on a enfin quitté les murs glacés de Véridienne – qu’on ne retrouve plus que par l’entremise des échanges épistolaires entre Nersès et Lufthilde. On voyage beaucoup plus dans cet opus, passant des murailles de Véridienne à celles des Éponas, des Plaines Jaunes aux immenses cités de l’Est, des recoins les plus obscurs du Demi-Loup aux bourgades les plus étranges. Chloé Chevalier nous donne à voir un univers vaste, riche de coutumes, légendes et d’une histoire secouée, quel que soit l’endroit que l’on visite.

Véridienne était un excellent premier tome, Les Terres de l’Est poursuit sur sa très bonne lancée ! Chloé Chevalier signe une aventure très humaine, portée par un contexte géopolitique complexe à souhait. J’espère de tout cœur que la suite sera à la hauteur de ces deux premiers tomes ambitieux et fascinants !

◊ Dans la même série : Véridienne (1) ;

Récits du Demi-Loup #2, Les Terres de l’Est, Chloé Chevalier. Les Moutons électriques, 19 août 2016, 327 p. 

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Ne ramenez jamais une fille du futur chez vous, Nathalie Stragier.

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Ne ramenez jamais une fille du futur chez vous…
… parce que pour elle, votre monde ressemble au Moyen Âge.
… parce qu’elle sera envahissante, agaçante, imprévisible.
… mais surtout, parce qu’elle détient un secret terrible. Et c’est à vous qu’elle va le confier.

Lorsqu’elle aide, puis recueille, Pénélope, une inconnue à l’accoutrement hautement improbable, Andréa est loin d’imaginer qu’elle a quasiment signé un pacte avec le diable. Parce que Pénélope, elle va le découvrir très vite, n’est pas une fille de 2019 ordinaire. Et pour cause ! Elle vient de 2187 et a été oubliée par sa classe durant son épreuve pratique du BAC d’histoire-géographie. Problème : elle ne peut pas révéler comment rentrer et ne peut, surtout, pas rentrer par ses propres moyens. Deuxième problème : si elle visite l’année 2019, comme tant d’autres élèves de sa génération, c’est qu’il s’agit d’une année-charnière pour l’humanité, marquant la fin du Moyen-Âge tardif et le début de la Renaissance – les grandes périodes historiques ont donc subi un petit lifting dans le futur en raison d’un bouleversement majeur. Ce qu’elle ne peut évidemment pas révéler tout de go à Andrea, au vu de l’énormité du secret en question.

Dès les premières pages, on plonge dans un mélange assez réussi de roman d’initiation et de comédie décapante : Pénélope vient du futur et n’est certainement pas adaptée à notre époque. Si elle semble être assez sereine face aux véhicules à essence, l’odeur du steak, la liste des ingrédients chimiques au dos des aliments conditionnés et la présence envahissante des garçons (souvent bas-du-front) la font frémir d’horreur. De plus, elle a un sens de la mode assez limité (qui d’autre pourrait porter des sandales de piscine volontairement… avec des chaussettes léopard ?) et des bonnes manières pas toujours au top. Bon an mal an, Andréa tente de l’initier à la vie en 2019, ce qui s’avère extrêmement divertissant, tout en résolvant le problème majeur de Pénélope. Jusqu’au jour où… Andréa finit par découvrir ce secret si bien gardé sur le futur. De là, elle se retrouve dans la position de la seule personne – ou presque – à savoir ce qu’il va advenir mais surtout la seule à vouloir éviter le déroulement funeste des événements ! Car Pénélope, elle, aime beaucoup le futur dont elle vient et n’a pas du tout l’intention de modifier le passé pour éviter la catastrophe.

De fait, le roman est haletant puisque les personnages sont confrontés à plusieurs problèmes d’égale urgence : on saute de péripéties en rebondissements sans jamais se lasser – sauf vers la fin où l’accumulation est un peu trop abondante pour rester efficace et devient même un tantinet lassante.
Au chapitre des points forts du roman, il y a cependant l’excellent mélange des genres entre science-fiction, comédie et thriller – l’opposante à Andréa et Pénélope ne reculant devant rien pour parvenir à ses fins. Ce qui est intéressant, c’est que les deux adolescentes, outre leur quête en cours pour sauver le monde, ont aussi des préoccupations de leur âge : Andréa est en opposition avec son père, lequel refuse de la laisser partir, sac au dos, sur les routes d’Europe seule avec Mathias, son meilleur ami (d’un an son aîné). Pénélope, elle, apprend la vie en société, notamment avec la gent masculine, et se découvre des hormones en ébullition. Rien que de très normal, donc.
Mais au-delà de la quête effrénée mâtinée de comédie décapante, le roman poste de très intéressantes questions sur notre société. En établissant un parallèle entre la vie d’Andréa et celle de Pénélope, on compare forcément les deux sociétés… et on en vient très vite à débusquer les travers de la nôtre. Et c’est très intelligemment fait car, bien souvent, c’est par sa candeur et son ignorance que Pénélope – à l’instar d’Usbek et Rica – met au jour les points qui fâchent et amène le lecteur à s’interroger à son tour sur ces mêmes sujets.

Le roman est servi par une galerie de personnages assez variés. Pénélope, bien sûr, assure le spectacle, tandis qu’Andréa et sa famille amènent un ancrage plus touchant. Seule fille au sein d’une famille de mecs, la lycéenne se révèle très protectrice envers son noyau familial. Cependant, en dehors de ce petit cercle intimiste, les autres personnages sont assez peu développés. Ainsi, on déplore la disparition de Mathias, éternel meilleur ami… bien fantoche, finalement, et qu’on ne voit qu’au tout début du roman. Quant à George, l’opposante, elle est peut-être un tantinet trop exagérée pour être parfaitement crédible et c’est un peu dommage. Mais ces petites réserves n’enlèvent rien au côté hautement divertissant du reste du roman.

Avec Ne ramenez jamais une fille du futur chez vous, Nathalie Stragier propose donc un roman mêlant parfaitement suspense, science-fiction, réflexion et divertissement. On rit autant qu’on s’angoisse et le mélange des deux amènera sans aucun doute de saines questions dans l’esprit du lecteur. Bonne pioche, donc ! 

Ne ramenez jamais une fille du futur chez vous, Nathalie Stragier. Syros, janvier 2016, 426 p.

Véridienne, Récits du Demi-Loup #1, Chloé Chevalier

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Au bord de l’implosion, le royaume du Demi-Loup oscille dangereusement entre l’épidémie foudroyante qui le ravage, la Preste Mort, les prémisses d’une guerre civile, et l’apparente indifférence de son roi. Les princesses Malvane et Calvina, insouciantes des menaces qui pèsent sur le monde qui les entoure, grandissent dans la plus complète indolence auprès de leurs Suivantes. Nées un jour plus tard que les futures souveraines auxquelles une règle stricte les attache pour leur existence entière, les Suivantes auraient dû être deux. Elles sont trois. Et que songer de la réapparition inopinée du prince héritier, Aldemor, qu’une guerre lointaine avait emporté bien des années auparavant ? Avec lui, une effroyable réalité rattrape le château de Véridienne, et le temps arrive, pour les Suivantes et leurs princesses, d’apprendre quels devoirs sont les leurs.

Très belle surprise de la rentrée fantasy ! Au royaume du Demi-Loup, le quotidien des princes et princesses est géré par une règle très stricte : on adjoint à chaque enfant un Suivant, du même sexe, né un jour après l’héritier et auquel on dispense le même enseignement. En cas de disparition de ce dernier, le Suivant pourrait être appelé à assurer la régence et doit donc devenir à la fois l’ami et le confident de son aîné. Or, au royaume du Demi-Loup, question Suivants, les affaires semblent plutôt mal embouchées. D’une part, le Suivant du prince Aldemor – parti depuis bien longtemps mener l’armée contre l’empire de l’est – est décédé lorsqu’ils étaient jeunes enfants. D’autre part, pour écourter une chasse à la Suivante décidément trop longue, le roi Aldemar a ramené à sa fille cadette Malvane une fillette née deux jours après elle (Nersès), avant qu’une autre fillette (Cathelle) née le bon jour n’arrive au château ! Double scandale ! Mais vaille que vaille, Malvane a deux suivantes. Les ennuis ne sont pas terminés. Alors que la princesse a une douzaine d’années, deux fillettes dépenaillées débarquent au château de Véridienne : il s’agit de Calvina, cousine de Malvane et princesse des Éponas (royaume méridional) et de Lufthilde, sa Suivante, tout juste réchappées du coup d’État qui voit passer la couronne des Éponas de la tête de feu le roi à celle de son ex-général des Armées. Bon an mal an, la famille royale recueille les deux rescapées et tente de leur offrir le meilleur, ce qui, dans un premier temps, fonctionne plutôt bien… avant de partir en quenouille.

Véridienne ouvre une série de fantasy ambitieuse. Ce premier volume vient poser le décor d’un univers riche à souhait. La géopolitique, d’un côté, est très dense : le Demi-Loup se partageait en deux royaumes satellites, Véridienne et les Éponas, gérés par deux rois frères, jusqu’à ce que le général de l’armée des Chats ne s’empare des Éponas. Mais cette épine dans le pied n’est rien comparée à la puissance du gigantesque empire de l’est, à côté duquel le Demi-Loup fait figure de piqûre d’épingle sur la carte. Et il faut un certain nombre de chapitres pour s’en apercevoir, car l’auteur introduit les éléments peu à peu.

Il y a en effet une sorte de lenteur qui règne sur l’ensemble de ce premier tome et qui sied parfaitement à l’intrigue, tenue presque à huis-clos dans les murs du château. Les princesses vivent leurs vies dans une sorte d’indolence confortable, sans trop se poser de questions, et toutes aux bisbilles adolescentes qui peuvent les opposer ou les réunir. La réalité n’a, finalement, que peu de prises sur leur petit univers douillet – avant qu’elle ne leur tombe violemment dessus. Du coup, c’est l’occasion pour le lecteur de découvrir l’univers, les hiérarchies, les coutumes. Dans une grosse première partie, on suit essentiellement les cinq filles, jusqu’à ce que la réalité du monde extérieur ne s’invite dans leur bulle – et dans celle de la famille royale, plus globalement, le roi étant lui-même particulièrement inactif et indolent. Malgré la lenteur globale du récit, qui prend son temps pour s’installer, le récit est rythmé. D’une part, la vie des adolescentes ne manque certainement pas de piquant et, d’autre part, les perspectives de l’épidémie et de la guerre induisent un suspense tenace.

Malvane, Nersès, Cathelle, Calvina et Lufthilde sont cinq feu follets qui virevoltent dans les couloirs glacés et humides du palais. L’auteur s’est attachée à chaque fille, affinant leurs caractères, dessinant leurs relations, semant les graines de la discorde entre elles. Car évidemment, la belle entente de l’enfance vire en inimitiés féroces, renforcées par les caprices des unes et des autres. De fait, alors que diverses menaces (toutes plus létales les unes que les autres) pèsent sur le royaume, c’est une intrigue très humaine que tisse Chloé Chevalier. Les princesses aiment, détestent, se passionnent pour des sujets, en exècrent d’autres, étudient, s’émancipent, comme des adolescentes parfaitement normales. Et leurs caractères évoluent grandement au fil des pages. Du coup, lorsque le fil rouge s’installe pour de bon, on a la délicieuse impression d’avoir affaire à des personnages complexes et consistants.

À cela il faut ajouter la forme que prend Véridienne. C’est un roman choral, mais qui ne se contente pas d’alterner les points de vue. Certes, on passe d’un personnage à un autre, mais toujours par le biais d’un écrit – un point intéressant, quand on pense que la lecture et l’écriture sont des compétences extrêmement rares dans le Demi-Loup et qui ont donné lieu à des méthodes parallèles parmi le peuple ! D’un chapitre l’autre, on lit donc les journaux intimes des personnages, entrecoupés de correspondances, rapports et autres messages qui viennent enrichir ces différents angles de vue. Autre point très original : jamais nous ne connaissons les points de vue intimes des princesses en titre. En effet, on suit les journaux de Nersès, Cathelle et Lufthilde, les trois suivantes, ainsi que celui du prince Aldemor, astucieusement signalés par un système de blasons en tête de chapitre – qui pallient l’uniformité des récits, les voix étant assez similaires. Ce système laisse libre champ à chacun pour interpréter (ou surinterpréter !) les paroles et réactions des autres, et chacun s’en donne à cœur joie !

Excellent début en fantasy pour Cholé Chevalier, donc, qui met en place un univers riche, aux coutumes vraiment intéressantes. Ce premier volume sert d’introduction à une intrigue politique pour le moins dense. En prenant le temps de développer les caractères de ses protagonistes de l’enfance à l’âge adulte – avec tout ce que cela suppose de remous – Chloé Chevalier tisse brillamment une intrigue à échelle humaine, avec des personnages agréablement complexes. Voilà qui est prometteur pour la suite que j’ai hâte de lire !

Récits du Demi-Loup #1, Véridienne, Chloé Chevalier. Les Moutons électriques, 2015, 376 p.

 

U4 : Jules, Carole Trébor.

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Cela fait 10 jours que le virus U4 accomplit ses ravages. Plus de 90% de la population mondiale est décimée. les seuls survivants sont des adolescents. L’électricité et l’eau potable commencent à manquer, tous les réseaux de communication s’éteignent. Dans ce monde dévasté, Koridwen, Yannis, Jules et Stéphane se rendent, sans se connaître, à un même rendez-vous. Parviendront-ils à survivre, et pourront-ils changer le cours des choses ?

Jules vit reclus dans son appartement du boulevard Saint-Michel, à Paris. Il n’a pas de nouvelles de ses parents, en voyage à Hong Kong lorsque l’épidémie a commencé de se propager. Le spectacle qu’il devine par la fenêtre est effroyable, la rue jonchée de cadavres. Mais il sait qu’il ne pourra pas tenir longtemps en autarcie. Pour affronter l’extérieur, Jules redevient le guerrier impavide qu’il était dans le jeu vidéo Warriors of Time, WOT pour les intimes. Il va alors retrouver son frère aîné, qui se drogue et dont il ne peut rien attendre, puis secourir une petite fille qui a mystérieusement échappé au virus et qu’il décide de prendre sous son aile. Son seul espoir : le rendez-vous fixé au 24 décembre par le maître du jeu de Warriors of Times.

U4 est une série au concept assez original : deux éditeurs (Syros et Nathan) publient conjointement les 4 romans écrits par 4 auteurs différents, chacun développant un personnage particulier dans le même univers et dont le parcours recoupe celui des autres. Yannis (Florence Hinckel), Stéphane (Vincent Villeminot), Koridwen (Yves Grevet) et Jules (Carole Trébor) peuvent être lus indépendamment – mais si l’on veut tout savoir des personnages, alors on peut tout lire.

Avec Jules, on débute à Paris. L’adolescent, nerd convaincu, n’attend qu’une chose : le 24 décembre, afin de rencontrer ses camarades geek et – peut-être – sauver le monde, attendu que 90% de la population mondiale a été décimée et qu’il ne reste que des adolescents. Ceux-ci s’organisent rapidement en petites bandes armées et relativement dangereuses, tandis que les militaires décrètent la loi martiale et nettoient la cité à grands coups de mitrailleuses.
La première chose à noter, c’est que l’aventure de Jules ne m’a pas semblé bien crédible. D’abord parce qu’il faut moins de trois jours à l’épidémie pour, d’une part, éradiquer tous les adultes et les enfants et, d’autre part, paralyser le pays en coupant (comment ?) les distributions d’eau, de gaz, d’électricité, de réseau. C’est un peu rapide, mais admettons. Au bout de 3 semaines de survie pénible dans l’appartement familial, Jules recueille une petite fille, Alicia, mutique et enfermée dans l’univers de Dora l’exploratrice, dont elle se prend pour le personnage principal. Si le duo se montre parfois attachant, ils sont loin d’avoir le charisme de la paire Amy-Baby
Décidé à survivre, Jules intègre avec la fillette (la seule fillette à avoir survécu, semble-t-il) une communauté d’adolescents organisées, dirigée (chance !) par ses deux meilleurs amis, Jérôme et Vincent. Et on continue sur une pente toujours aussi peu réaliste. Car ils sont aussi bien organisés que des paramilitaires : le fils de flic gère l’armement, la fille de pharmacienne administre médicaments et opérations de main de maître, etc. Le tout sans barguigner et avec une maîtrise qui ferait baver de jalousie les spécialistes. Mais ce ne sont que des adolescents paumés, que diable !

Et, malheureusement, on continue avec les clichés les plus éculés des romans post-apocalyptiques. Car bien que la population mondiale ait été salement décimée, il reste quelques adultes, essentiellement des militaires, qui quadrillent Paris en organisant des points de rassemblement que les adolescents sont obligés de rejoindre. Au bout de quelques jours, les soldats passent au grade supérieur : les jeunes survivants sont tout simplement abattus à vue s’ils n’ont pas été pucés et intégrés aux points de rassemblement, sans que l’on sache pour quelle excellente raison ils agissent ainsi (autre que : parce que ce sont les méchants, s’entend). Dites, les gars, ça ne vous est pas venu à l’esprit que massacrer les rares survivants n’allait pas aider à sauver l’humanité ? Point de détail, dites-vous ?
Passons donc ce point de détail et ignorons la bêtise crasse de ces survivants.

Autre point qui fâche : le style. C’est Jules qui raconte l’histoire et, si l’on est adepte du réalisme, on est servis ici. Qu’il s’exprime mal ! Les phrases sont à la limite de la correction, le style extrêmement oral, et ses pensées pseudo-héroïques parfois pénibles à suivre.
De plus, on tourne souvent en rond et les sujets graves abordés (le deuil, la responsabilité, l’addiction) sont à peine survolés : les scènes de questionnement ou de remises en question sont expédiées. C’est superficiel à souhait et c’est bien dommage, car il y avait du potentiel. En revanche, il y a de l’action à revendre : le temps qu’on ne passe pas à se questionner, on le passe à lutter contre (au choix) les gangs adverses, ses propres démons, les militaires ou les rats mutants qui ont envahi la ville – encore que, là aussi, les ellipses ne soient pas toujours les bienvenues, nous coupant souvent une partie non négligeable des explications, ou provoquant des changements de plan du coq à l’âne.
Là-dedans, l’intérêt du jeu vidéo est assez limitée : outre le fait que cela ancre Jules dans le cliché de l’adolescent accro à l’écran et pas toujours capable de différencier réel et virtuel, l’histoire développée autour de Warriors of Time est bien légère.

Rencontre ratée avec l’aventure de Jules, donc : outre le scénario post-apocalyptique pas très crédible, le style très oral, les personnages peu nuancés et l’aspect superficiel de l’aventure auront eu raison de ma patience. Mauvaise entrée en matière pour U4, en somme. 

U4 : Jules, Carole Trébor. Nathan / Syros, 2015, 431 p.

ABC Imaginaire 2015

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In the end, Demitria Lunetta

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Trois mois se sont écoulés depuis qu’Amy a quitté New Hope. Depuis qu’elle a vu Baby ou Kay ou Ray pour la dernière fois. Elle survit seule, comme elle le faisait avant d’être « sauvée ». Même alors qu’elle recherche de nouvelles provisions, la voix de son ancienne camarade Kay retentit grâce à l’oreillette qu’elle possède depuis son départ. Et, d’un ton désespérée, Kay lui murmure quatre mots, qu’Amy espérait ne jamais entendre : Dr. Reynolds détient Baby. Le sang d’Amy ne fait qu’un tour. Pour Baby, elle retournera à New Hope. 
Écoutant la voix de la raison – Kay – elle se dirige d’abord vers Fort Black, une ancienne prison transformée en colonie de survivants, où elle trouvera Ken, le frère de Kay, un scientifique susceptible d’avoir la solution pour la survie de Baby. Mais avant de trouver Ken, il va falloir penser à survivre à Fort Black. Un seul faux pas, et Amy pourrait perdre la vie, en plus de celle de Baby. 

Après le coup de cœur d’In the after, cette suite était très très attendue. Et elle s’est avérée très très surprenante ! En effet, In the end est radicalement différent du premier tome. Celui présentait tout d’abord une partie purement axée sur la survie, dans un environnement post-apocalyptique avant de basculer dans une dystopie plus classique ; ce second volume, lui, renoue avec la survie dans un univers en déliquescence mâtinée de quelques accents dystopiques, tout en se démarquant fortement de ce qu’on avait dans le premier opus.

On retrouve Amy quelques mois après qu’elle ait réussi à quitter New Hope ; atteindre Fort Black devient primordial, car Kay parvient à lui dire que le docteur Reynolds détient Baby et qu’il menace la vie de la fillette à force d’expériences en vue de trouver un vaccin. Kay pense que son frère jumeau, Ken, un scientifique basé à Fort Black, pourrait sauver Baby, aussi Amy se dépêche-t-elle de rejoindre la forteresse.
Mais arrivée sur place, elle déchante assez vite : Fort Black étant un pénitencier dans lequel il reste la plupart des prisonniers, la population est – évidemment – loin d’être constituée d’enfants de chœur, ce dont on s’aperçoit dès les premiers chapitres avec la rencontre de Tank, un pédophile meurtrier qui apprécie la chair fraîche – personnage un poil cliché, soit dit en passant.

Nouveau lieu, donc nouveaux personnages. On délaisse la sympathique galerie rencontrée précédemment : hormis Amy, les autres ne font office que de figurants. À leur place, quelques figures assez fortes, comme Jacks qui devient rapidement le nouveau protecteur d’Amy, ce qui ressemble le plus à un ami et, de fil en aiguille, à un amant. De ce côté-là, c’est un peu dommage, d’une part, que Rice soit simplement écarté, car il restait des non-dits entre lui et Amy et ces zones d’ombre ne sont pas évacuées à la fin de l’histoire et, d’autre part, le triangle amoureux est un peu superficiel. Pourtant, la relation avec Jacks apparaît comme parfaitement naturelle, malgré l’ambiance post-apo qui règne.
À Fort Black, Amy rencontre une alliée inattendue, la figure féminine forte qui manquait au premier opus, et un des personnages les plus réussis : Brenna. Ce qui est ennuyeux, c’est qu’on finit par s’attacher nettement plus à Brenna qu’à Amy, qui ne mérite rien d’autre qu’une paire de claques retentissantes dans cet opus. Qu’elle fasse des erreurs, c’est tout naturel. En revanche, qu’elle s’acharne à les répéter encore et encore, c’est un peu lassant. Or, dans cet opus, Amy est plus bornée que jamais et réitère systématiquement les mêmes bévues. Des claques, vous dis-je.
Autre point de récriminations, Baby est particulièrement absente de l’histoire et sa présence manque quand même pas mal… même si elle permet de faire rebondir l’intrigue.

Si celle-ci est enlevée (avec la survie de Baby à la clef), et le tout assez rythmé, je n’ai malheureusement pas retrouvé l’ambiance survoltée et terrifiante de la première partie du tome 1, ce qui m’avait justement beaucoup plu. Entendons-nous bien, l’histoire tient la route, on ne s’ennuie pas, et on angoisse même pas mal, mais on est dans un schéma un peu plus classique, et un tantinet moins haletant. La première partie met un moment à planter le décor (ce qui est nécessaire, vu les changements) et l’ambiance du double huis-clos (dans la prison et avec les Florae en toile de fond) est assez prenante ; la seconde retrouve le niveau du premier volume, avec moult courses au Florae en goguette, stratégies de survie et scènes bourrées d’adrénaline ; la troisième, en revanche, n’est pas aussi nette et tranchante qu’elle aurait pu l’être. La tournure n’est pas totalement inintéressante, mais certains point auraient mérité plus d’approfondissements et nous laissent quelque peu sur notre faim ! En revanche, la dernière scène est tout à fait réussie, et conclut fort bien la saga.

In the end est donc une très bonne suite, au sens où Demitria Lunetta parvient à donner un tour complètement nouveau à l’histoire, en changeant radicalement d’intrigue, d’univers, et de protagonistes. Si l’ensemble est rythmé, et même plutôt prenant, je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir une pointe de déception en ne retrouvant pas l’ambiance survoltée du premier opus, et la Amy dure à cuire à laquelle je m’étais habituée. Néanmoins, il se dévore mieux qu’un petit pain un jour de disette, car l’intrigue est énergique, les nouveaux personnages fouillés, notamment Brenna, et le tout rudement bien ficelé. Quel qu’ait été votre sentiment pour In the after, attendez-vous à un titre totalement différent !

♦ Dans la même série : In the after (1).

In the after #2, In the end, Demitria Lunetta. Traduit de l’anglais par Maud Ortalda. Lumen, 2015, 405 p.

 

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ABC Imaginaire 2015

The Young world, Chris Weitz

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New York, XXIe siècle. La Maladie, un virus fulgurant, a anéanti la population des États-Unis, à l’exception des adolescents, qui ont vu leur avenir se désintégrer sous leurs yeux. Plus d’électricité, plus d’eau courante, plus de transports, plus d’Internet : les jeunes sont livrés à eux-mêmes dans la ville qui ne dort jamais. Rapidement, des tribus se forment, se partagent le territoire et coexistent plus ou moins pacifiquement.
Jefferson, le tout nouveau leader des Washington Square, tente d’organiser la survie des siens avec l’aide de Donna, leur guérisseuse, qui ne le laisse pas complètement indifférents. C’est alors que Brainbox, un des membres de la tribu, annonce avoir découvert l’origine de l’épidémie… et peut-être un antidote. 
Lassés d’attendre l’âge adulte qui signe leur mort, et n’ayant pas mieux à faire, ils partent à travers Manhattan pour tenter de retrouver l’origine du virus qui a décimé le continent. Une promenade de santé… sur le papier. 

 

Le roman de Chris Weitz prend place dans un décor post-apocalyptique : suite à une contamination, seuls les adolescents ont survécu, protégé par leurs hormones. Une protection qui s’écroule dès la maturité physique atteinte. Les adolescents sont donc confrontés à un double problème : l’absence des adultes, et leur propre fin en approche. C’est pourquoi Jeff et les siens sautent sur la proposition de Brainbox : traverser New-York pour aller à la bibliothèque, afin d’y chercher un article scientifique qui pourrait tout changer.

Le récit est narré par les voix de Jefferson, qui vient de prendre la direction de la tribu, et celle de Madonna, dite Donna, la guérisseuse officielle. Ils se connaissent depuis l’école primaire mais n’auraient, bien sûr, jamais imaginé devoir survivre ensemble, ni assurer la survie d’autres adolescents. Les deux voix sont assez différenciées (bien que Donna abuse du « genre » et en truffe presque toutes ses phrases) et l’alternance des points de vue est intéressante : elle permet de livrer les sentiments et pensées de chaque personnage, mais aussi leurs points de vue sur les scènes auxquelles ils assistent. On a donc deux sons de cloche, ce qui va nuancer le récit à de nombreuses reprises. D’autant que Donna et Jeff n’ont pas exactement les mêmes idées : lui est résolument tourné vers leur (bref) avenir, tandis que Donna se complaît dans un passé révolu et semble plus réfractaire à tout changement. Et si on a envie de lui coller des claques, on comprend tout à fait son ressenti, très réaliste – et qui change des adolescents hyper motivés et n’ayant aucun doute que l’on croise habituellement dans ce type de romans. Un premier bon point !

Mais cette alternance n’est pas toujours des plus réussies : en effet, il y a quelques ellipses, et ces passages vont manquer à l’histoire, tandis que certaines transitions s’avèrent un peu brutales. Chris Weitz est réalisateur de cinéma, et cela se sent dans la façon dont est écrit ce roman. Ces transitions brusques ressemblent furieusement à des changements de plans dans un film, qui permettent d’embrasser la scène d’un simple coup d’œil – exercice plus périlleux en littérature.  On a donc parfois l’impression que les transitions sont un peu hachées, ce qui laisse une sensation de succession de plans très marquants, mais manquant un peu de liant entre eux.
De même, le récit est extrêmement visuel : les péripéties fourmillent d’action, et le décor est soigné. L’approche de l’histoire est (à nouveau) très cinématographique, avec des scènes à l’ambiance forte (la rencontre avec les Résidents, ou la scène à la bibliothèque… qui n’est pas sans rappeler le film Le Jour d’après !), et que l’on sent comme très esthétiques, mais dont certaines n’apportent pas forcément quelque chose à l’histoire – notamment la scène des tambours du Bronx, durant laquelle l’équipe de Jeff échappe à une tribu dont la moitié joue du tambour, tandis que l’autre leur tire dessus ; c’est prenant, hypnotique, mais finalement sans grand impact. L’ensemble est donc un peu irrégulier : certains passages sont très courts alors qu’il y aurait matière à développer, tandis que d’autres souffrent de quelques longueurs. Ainsi, la fin est extrêmement abrupte, avec un revirement à peine compréhensible : quelques pages de plus auraient été appréciables pour mieux peser les enjeux de cette conclusion. Le cliffhanger final, en revanche, est bien amené, et nous laisse avec un bon lot de questions.
Malgré cela, l’ensemble se lit assez vite, car hormis les quelques longueurs citées, il n’y a pas vraiment de temps mort : les séquences s’enchaînent, et on veut savoir comment la petite bande va s’en sortir.

L’univers de The Young world, dans toute sa noirceur, pose d’intéressantes questions : il y est question de survie, et des différents modes que l’on peut appliquer dans une société : est-elle libre et basée sur l’égalité de ses membres ? Est-elle basée sur un monopole économique ? Dans leurs pérégrinations, Jeff et les siens vont croiser quelques modèles d’organisation assez différents du leur, et qui vont les amener à réfléchir sur quelques points essentiels. Et le roman n’est pas dépourvu de passages sordides, voire dérangeants, mais qui viennent nourrir la réflexion de fond.
On appréciera également que la Maladie soit expliquée et justifiée de façon assez réaliste ; on a donc l’impression de lire un roman d’anticipation se déroulant dans un futur proche, plutôt que de la science-fiction pure. Impression nettement renforcée par tous les clins d’œils à des références culturelles qui nous sont bien connues et qui émaillent le récit, et devant lesquelles on ne manque pas de sourire !

Avec The Young world, Chris Weitz fait une intéressante incursion en territoire post-apocalyptique. La fin remet l’ensemble du récit en question, et laisse le lecteur avec plein de questions, tant sur l’univers présenté que sur les personnages. L’intrigue n’est pas particulièrement révolutionnaire, mais voilà un roman qui se lit avec plaisir, et qui introduit une histoire efficace.
Si le roman est un peu irrégulier, ses nombreuses péripéties bourrées d’action et son côté très cinématographique en font un efficace page-turner. Affaire à suivre !

The Young world #1, Chris Weitz. Traduit de l’anglais par Sébastien Guillot. MsK, 2015, 369 p.

 

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In the after, Demitria Lunetta.

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Amy est devant sa télévision quand le pire se produit, quand ILS attaquent. New York, Paris, Tokyo… Des créatures verdâtres et sans pitié déferlent, et dévorent les humains. Personne ne sait d’où ils viennent mais une chose est sûre : la population de la planète décroît dramatiquement en quelques jours à peine. À l’abri de la grille électrifiée de sa maison, Amy parvient à leur échapper…
Elle qui a perdu tous les siens parvient tout de même à recueillir Baby, une petite fille qui a miraculeusement survécu aux crocs acérés des nouveaux maîtres du monde. Trois ans qu’elles survivent en autarcie, quand d’autres survivants commencent à se manifester. Elles pensent alors que leur enfer est terminé… 

Pour une première lecture à base de zombies, on peut dire qu’In the After a fait très fort. L’«Après», c’est ce qu’est devenu la planète depuis que des créatures toutes vertes appréciant de croquer des humains ont débarqué d’un gigantesque astronef. Aliens, zombies ? On ne sait pas trop, mais une chose est sûre : le régime alimentaire des petits bonshommes verts a causé d’irrémédiables dommages dans la population humaine.
Amy a survécu. Grâce à ses parents, qu’elle trouvait naguère ringards, mais qui avaient eu le bon goût de rendre la maison autosuffisante (merci papa hippie), et parfaitement sécurisée (merci maman parano). Une maison dans laquelle elle recueille Baby, une enfant perdue, comme elle, qu’elle rencontre un peu par hasard,  et à qui elle s’accroche comme à une bouée de sauvetage.

Ensemble, les deux filles mettent au point des stratégies de survie : comment se ravitailler dans le silence le plus complet (car les créatures réagissent au bruit), comment économiser leurs maigres ressources, comment se protéger l’une l’autre. Et surtout comment communiquer. Baby est mutique et, de toute façon, la voix est proscrite. Les filles utilisent alors une langue des signes qui leur est propre, adaptant l’existante, inventant de nouveaux gestes. Du coup, la première partie du livre ne contient aucun dialogue, toutes les paroles étant narrativisées. Ce qui rend le texte d’une fluidité extrême, puisqu’il n’est jamais perturbé par les multiples incises nécessaires au bon déroulement d’un dialogue, et tout à la fois captivant et oppressant, car on imagine sans peine le silence assourdissant qui doit régner sur leur existence, et que l’on se met à sursauter au moindre frôlement. Et si, sur les premières pages, on peut trouver le système narratif perturbant, on s’y habitue très vite, et c’est avec plaisir que l’on adopte cette communication silencieuse.
Le silence est, de fait, un thème central dans ce roman : d’une part parce que c’est le mode de communication privilégié des deux filles ; d’autre part parce qu’entre (rares) survivants, on ne se dit pas tout. La méfiance est reine, les non-dits pullulent, et les secrets sont légion, empoisonnant l’existence avec à peu près autant d’efficacité que les créatures qui attendent dehors – voire plus, pour certains.
On se rend compte assez vite qu’une société en perdition n’a pas moins de secrets qu’une société bien portante.

L’intrigue joue sur l’aspect survie, décliné tout au long des trois parties qui le composent : des expéditions pour trouver de quoi manger aux brèves rencontres avec d’autres (rares) survivants, tout y est. Et le roman pose à nouveau de judicieuses questions : que devient l’être humain lorsqu’aucun cadre ne régit plus ses interactions ? Vu ce qui est présenté dans In the After, rien de très enviable… La survie implique-t-elle des systèmes aux lois drastiques, effaçant l’individu au profit du collectif ? Ce qui est intéressant, c’est qu’on retrouve vraiment le thème de la survie de l’humain dans chaque partie, quoique sous différentes formes, avec des passages tantôt révoltants, et d’autres bien plus émouvants. Finalement, ce n’est pas parce que les personnages semblent être en sécurité que c’est réellement le cas, et l’auteur revient toujours aux thèmes centraux, par des moyens détournés.
Le roman passe par des genres variés, tout du long des trois parties. Si la première est particulièrement axée sur la survie et distille l’horreur au gré des pages, les deux suivantes flirtent allègrement avec la dystopie, en traitant des questions d’ordre plus politique. La narration, elle aussi, est variée, mêlant récit de l’instant et incursions dans le passé et le présent, qui dynamisent une histoire déjà sous tension. Des trois parties, c’est très certainement la première qui est la plus oppressante, à cause du silence qui règne, et de la menace permanente des créatures. La fin du livre est oppressante pour d’autres raisons, mais  de façon nettement moins intense que la première partie. Ceci étant, le récit conserve sa nervosité tout du long, ménageant suspense et ambiance glaçante, et il se dévore sans façons !

L’intrigue est donc haletante et, si les révélations ne s’avèrent pas toujours surprenantes (notamment les dernières), c’est avec autant de curiosité que d’angoisse que l’on découvre l’aventure. La palette de personnages est vraiment excellente : les tenantes de l’affiche, Amy et Baby, sont furieusement attachantes. Amy, courageuse, impulsive, et ne sachant pas toujours faire au mieux pour son bien est une excellente héroïne pour un roman post-apo : le personnage est fouillé, ses choix motivés, et on comprend parfaitement ses raisonnements. Baby, muette, discrète, suivant Amy comme son ombre, est le parfait pendant de l’adolescente qui la prend en charge : c’est un duo extrêmement efficace, original dans sa distribution et qu’on a du mal à lâcher.

In the after est donc un gros coup de cœur : pour les personnages, bien entendu, pour l’ambiance si particulière et au silence tellement angoissant, pour l’intrigue bien menée, et pour les questions que pose le roman. Bien que la fin du premier tome ait permis de résoudre un certain nombre de points (l’opus étant riche en révélations fracassantes), la fin est très surprenante et laisse le lecteur avec une conclusion particulièrement intéressante. In the after est un roman adolescent, post-apocalyptique, avec des zombies, mais c’est bien plus que cela : c’est un roman de survie, avec son lot de trahisons, de déconvenues et de petites joies du quotidien. Un roman sombre et prenant à souhait, émouvant quand il le faut, porté par une palette de personnages très réussis et une intrigue parfaitement ficelée, malgré quelques développements que l’on voit venir, mêlant avec brio l’ambiance post-apocalyptique, le désir de survie, et les interrogations existentielles. En somme, une réussite, et on a hâte de lire le second tome !

 

In the after, premier volume, Demitria Lunetta. Traduction de l’anglais par Maud Ortalda. Lumen, 2014, 409 p.

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Champion, Legend #3, Marie Lu.

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June et Day ont tout sacrifié pour la République et aujourd’hui, le pays est à l’aube d’une renaissance. Jusqu’au jour où… un nouveau virus, plus dangereux que les précédents, déclenche une panique à la frontière ennemie, ravivant le spectre de la guerre, plus près que jamais d’éclater. June et Day pourraient bien avoir des moyens d’éviter un tel cataclysme et de sauver leurs concitoyens. Mais le prix exigé en échange est colossalement élevé. 

Legend était plutôt bon, mais encore un peu faible sur certains points ; Prodigy, de son côté, s’était avéré bien plus mature. Champion tient les promesses du tome précédent !

On retrouve dans ce dernier volume un point particulièrement intéressant, déjà soulevé avec Prodigy : le recul des personnages. Ceux-ci ne sont pas aveugles quant à la nature de leur nation. Certes, le gouvernement ne leur convient pas, mais ils s’emploient à le faire évoluer (plutôt que de le renverser) pour que les choses s’améliorent – étant conscient qu’ils n’ont pas les épaules de dirigeants. D’autre part, ils ont un regard neuf sur leur pays, grâce à leur visite des Colonies. Dans ce volume, June se rend en Antarctique, une nation gouvernée par le jeu (et donc à l’organisation bien différente des Colonies et de la République, intéressante sur certains points, mais avec bien des défauts) et s’aperçoit que sa chère République… n’est guère mieux qu’un pays sous-développé, et bien loin de la surpuissance militaire à laquelle elle croyait. Voilà qui donne donc un éclairage tout neuf à l’histoire, et qui permet d’ancrer l’intrigue dans un contexte géopolitique plus vaste, et donc nettement plus intéressant.
L’univers est vraiment un des gros points forts de cette série : il est soigné, et on sent qu’il a été travaillé et bien pensé. Le fait que les personnages explorent d’autres systèmes politiques que le leur apporte un éclairage pour le moins intéressant à l’histoire, et permet de remettre en question ce qu’ils reprochent à leur gouvernement – un parti-pris assez rare en dystopie, et vraiment bien amené ici.

L’autre point fort, ce sont évidemment les personnages, qui se montrent très humains. On l’avait déjà vu dans le tome précédent, et l’auteur n’abandonne pas son idée : elle conserve ici des personnages très matures et décidés. Le couple June-Day est intelligemment traité : la romance reste en majeure partie en arrière-plan, ce qui est une vraie bénédiction. De plus, les scènes mièvres sont assez peu nombreuses (même s’il y en a quelques-unes), et la relation sonne très juste. Marie Lu a su faire évoluer ses personnages au fil des tomes, sans sombrer dans le cliché du roman ado, et sans sacrifier leurs caractères de départ, ce qui est hautement appréciable !

Côté intrigue, on conserve le dynamisme des deux premiers tomes, accentué par l’alternance des points de vue – qui permet également d’explorer la psychologie de chaque protagoniste, ses questionnements, ses doutes, et ses résolutions. Dans l’ensemble, ce troisième tome est bien ficelé, avec son lot d’aventures et de rebondissements, et ses péripéties entraînantes. Dans l’ensemble seulement car quelques péripéties semblent de trop : si le tout est bien mené et plein de suspens, j’ai regretté que tout semble s’amasser sur le dos des deux protagonistes. Il y a une légère accumulation pas toujours bienvenue, alors que le reste est plutôt bien dosé. Heureusement, la richesse de l’univers et des personnages fait rapidement oublier les petits bémols de l’intrigue.
Parlons maintenant de la fin : grâce à un astucieux tour de passe-passe, Marie Lu propose une fin à la fois originale, cohérente avec l’esprit de la saga, et vraiment bien tournée. On aurait pu craindre le pire, et l’auteur nous offre le meilleur ! Elle évite clichés, banalités et conclusion faible : vraiment, cette fin fait partie des meilleurs points de la trilogie !

Les dystopies sont définitivement le genre à la mode, et les romans – bons ou mauvais – pullulent sur les rayons. Legend fait partie de ces sagas de qualité, inventives, originales, riches et bien menées que l’on aimerait voir atterrir sur les dessus des piles-à-lire. L’auteur évite la plupart des clichés, et propose des personnages à la fois travaillés, humains, et cohérent, un univers riche et, surtout, un regard intéressant sur la société. La dystopie qu’elle présente permet bien évidemment de réfléchir à notre propre société, et c’est bien le plus intéressant. Bien sûr, il reste des points que l’on pourrait reprocher au roman, mais si peu en comparaison avec les autres titres du genre, et en comparaison avec la qualité générale de la saga, que l’on ne retiendra que ce dernier point !

◊ Dans la même série : Legend (1), Prodigy (2).

Legend #3, Champion, Marie Lu. Castelmore, 2014, 448 p.
8,5 / 10