Ermeline Mainterre s’est promis de devenir une magicienne dont chacun connaîtrait l’existence. Pour cela, elle ne reculera devant rien. Pas même lorsque le monde connaîtra sa perte.
La lumière du soleil ne traverse pas la Brume, à Tinkleham. Contre la menace des Spectres qui planent aux abords de la ville et font disparaître ses habitants sans laisser de traces, les mages du Beffroi apprennent à manier les carillons pour les repousser. Ermeline a choisi cette voie et compte bien devenir la meilleure de tous, portée par ses rêves de grandeur, à la fois fascinants et terrifiants.
Mais les Spectres ne sont pas le plus grand péril en vue. Ermeline réussira-t-elle à graver son nom dans l’histoire ? Jusqu’où ira-t-elle pour devenir inoubliable ?
Qui dit début d’année, dit Pépites de l’imaginaire et pour 2023 j’aurais au moins découvert ce titre qui, une chose est sûre, n’usurpe pas sa place dans la sélection !
L’auteur nous embarque donc dans la cité de Tinkleham, que l’on ne quittera pas du récit et pour cause : une solide brume infestée de Spectres mortels entoure la cité et garde les habitants chaudement à l’intérieur. L’extérieur ? Personne ne sait à quoi ça ressemble, pas plus que le soleil, du reste – l’alternance jour/nuit étant assurée pour les habitants par des moyens artificiels. Ce qui a conduit à cette situation ? On n’en saura rien, pas plus que sur l’origine des Spectres. Ils sont là, et il faut faire avec, point.
Le récit est donc quelque part à mi-chemin entre la fantasy et le post-apo, tapant joyeusement dans les codes des deux ambiances, lesquelles se marient plutôt bien.
Sur les traces d’Ermeline Mainterre, donc, on découvre le Beffroi, mi-école de magie, mi-dernier rempart de l’humanité contre les Spectres. École de magie, tendance dernier bastion de l’humanité, ambiance dark academia léchée, que demander de plus ?
On est dans la tête d’Ermeline, qui nous narre l’histoire, et le moins que l’on puisse dire, c’est que la narration est brute de décoffrage. Ermeline l’ambitieuse qui découvre rapidement qu’elle est passablement mauvaise en cours, contrairement à ce qu’elle s’était imaginé : incapable de chanter en chœur (seule formation acceptable pour repousser les Spectres), plus douée en magie mineur qu’en chant. Avec ça, des amis qui déçoivent, une Justine qui ne la regarde pas et n’a d’yeux que pour Mickral, le bellâtre de service aux intentions troubles, un Archie tellement silencieux qu’il en est difficile à cerner.
« Je serrai les dents. Il n’avait décidément aucun tact, aucune finesse. Les gens sont l’inverse d’une pierre précieuse. Une pierre se polit sous vos efforts, apparaît sous son meilleur jour quand on la travaille et lui offre de l’attention; les amis sont chaque jour un peu plus bruts, un peu moins brillants, un peu plus ternes. Ils ne scintillent pas lorsque vous les taillez et apprenez à faire affleurer leur cœur ; ils s’éteignent. Ils deviennent l’ombre d’eux-mêmes, la vérité jaillit de leur for intérieur, leur âme fait surface ; elle est noire. »
Ha, les affres de l’adolescence ! Ça bouillonne chez Ermeline, les émotions sont surpuissantes et on passe de l’une à l’autre en un quart de seconde, la colère étant toujours prédominante (colère de ne pas comprendre, de ne pas réussir, ne de pas obtenir ce qu’elle veut). À ce titre, le style est vraiment remarquable : on erre parfois dans le méandre de pensées d’Ermeline, avec ce qu’il faut de répétitions, de circonvolutions, et d’imitation de formation de pensées. Original, percutant et vraiment très bien fait !
Le système de magie inventé ici est vraiment intéressant : le chant, le chœur et les carillons sont prédominants, mais pas que. Il y a différentes sortes de mages et de magiciens, des sortilèges, une magie mineure, et tout une théorie autour des prophéties et des mages qui les scellent dès lors qu’ils les prononcent. J’aurais même apprécié que cette partie soit plus creusée tant j’ai trouvé ce système passionnant ! Avec ça, on déambule dans une société qui n’aligne pas que des humains, puisqu’on nous parle des Mignards et des Gigants, ce que j’ai trouvé intéressant mais qui, là aussi, m’a quelque peu laissée sur ma faim. J’aurais voulu en savoir plus ! (Mais ce n’était pas l’objet du récit).
Car celui-ci est entièrement construit sur le récit initiatique et la quête de soi, dans cet environnement qui a fait de la survie la priorité n°1. Le décor de l’école de magie se prête magistralement à ce type de récit et j’étais hyper contente de retrouver ce type d’ambiance, surtout avec des personnages plus matures que ce à quoi le genre nous a habitués depuis quelques années (en termes d’âge, surtout, car oui, j’ai eu envie de leur coller très souvent des baffes). Et puis, alors qu’on est habitués à ce récit aussi magique que scolaire, avec son lot de cours, de bisbilles entre étudiants et de petites rancœurs, l’auteur nous retourne violemment tout ça et expédie magistralement une grosse claque narrative. Je n’en dirai pas plus pour ne pas divulgâcher plus que nécessaire, mais je n’ai pas vu venir le retournement de situation central et ce qui allait s’en suivre (et, de fait, je n’étais pas prête).
Disons simplement que la seconde partie va introduire de passionnantes pistes de réflexion, notamment autour de la figure du monstre (qui, au final, n’est pas nécessairement celui que l’on avait envisagé au départ…) et quelques variations autour du fameux « la fin justifie-t-elle les moyens ? » (vous avez deux heures).
On bascule dans du sombre, du glauque, des choix discutables, le tout saupoudré d’émotions comme la colère ou l’ambition, qui viennent agiter le bouillon de culture. C’est puissant, parfois éprouvant, c’est passionnant et cela rend le bouquin impossible à lâcher.
Excellente lecture donc que ce Silence des carillons, qui nous entraîne dans une intrigue qui peut sembler dans un premier temps classique, avant de dévoiler magistralement ses cartes. Son héroïne principale, et les personnages qui gravitent autour, sont agréablement complexes et ambigus, qui marchent plus souvent qu’à leur tour sur le fil du rasoir. De fait, l’intrigue induit quelques réflexions vraiment bien menées et qui ne laissent clairement pas indifférents. Avec ça, il faudrait reparler de cet univers si particulier, et du style mélangeant allègrement détachement et noirceur, ce qui ne fait que rendre le récit plus percutant. Je suivrai avec attention les prochains écrits de l’auteur !