Le Silence des carillons, Edouard H. Blaes.

Ermeline Mainterre s’est promis de devenir une magicienne dont chacun connaîtrait l’existence. Pour cela, elle ne reculera devant rien. Pas même lorsque le monde connaîtra sa perte.
La lumière du soleil ne traverse pas la Brume, à Tinkleham. Contre la menace des Spectres qui planent aux abords de la ville et font disparaître ses habitants sans laisser de traces, les mages du Beffroi apprennent à manier les carillons pour les repousser. Ermeline a choisi cette voie et compte bien devenir la meilleure de tous, portée par ses rêves de grandeur, à la fois fascinants et terrifiants.
Mais les Spectres ne sont pas le plus grand péril en vue. Ermeline réussira-t-elle à graver son nom dans l’histoire ? Jusqu’où ira-t-elle pour devenir inoubliable ?

Qui dit début d’année, dit Pépites de l’imaginaire et pour 2023 j’aurais au moins découvert ce titre qui, une chose est sûre, n’usurpe pas sa place dans la sélection !

L’auteur nous embarque donc dans la cité de Tinkleham, que l’on ne quittera pas du récit et pour cause : une solide brume infestée de Spectres mortels entoure la cité et garde les habitants chaudement à l’intérieur. L’extérieur ? Personne ne sait à quoi ça ressemble, pas plus que le soleil, du reste – l’alternance jour/nuit étant assurée pour les habitants par des moyens artificiels. Ce qui a conduit à cette situation ? On n’en saura rien, pas plus que sur l’origine des Spectres. Ils sont là, et il faut faire avec, point.
Le récit est donc quelque part à mi-chemin entre la fantasy et le post-apo, tapant joyeusement dans les codes des deux ambiances, lesquelles se marient plutôt bien.

Sur les traces d’Ermeline Mainterre, donc, on découvre le Beffroi, mi-école de magie, mi-dernier rempart de l’humanité contre les Spectres. École de magie, tendance dernier bastion de l’humanité, ambiance dark academia léchée, que demander de plus ?
On est dans la tête d’Ermeline, qui nous narre l’histoire, et le moins que l’on puisse dire, c’est que la narration est brute de décoffrage. Ermeline l’ambitieuse qui découvre rapidement qu’elle est passablement mauvaise en cours, contrairement à ce qu’elle s’était imaginé : incapable de chanter en chœur (seule formation acceptable pour repousser les Spectres), plus douée en magie mineur qu’en chant. Avec ça, des amis qui déçoivent, une Justine qui ne la regarde pas et n’a d’yeux que pour Mickral, le bellâtre de service aux intentions troubles, un Archie tellement silencieux qu’il en est difficile à cerner.

« Je serrai les dents. Il n’avait décidément aucun tact, aucune finesse. Les gens sont l’inverse d’une pierre précieuse. Une pierre se polit sous vos efforts, apparaît sous son meilleur jour quand on la travaille et lui offre de l’attention; les amis sont chaque jour un peu plus bruts, un peu moins brillants, un peu plus ternes. Ils ne scintillent pas lorsque vous les taillez et apprenez à faire affleurer leur cœur ; ils s’éteignent. Ils deviennent l’ombre d’eux-mêmes, la vérité jaillit de leur for intérieur, leur âme fait surface ; elle est noire. »

Ha, les affres de l’adolescence ! Ça bouillonne chez Ermeline, les émotions sont surpuissantes et on passe de l’une à l’autre en un quart de seconde, la colère étant toujours prédominante (colère de ne pas comprendre, de ne pas réussir, ne de pas obtenir ce qu’elle veut). À ce titre, le style est vraiment remarquable : on erre parfois dans le méandre de pensées d’Ermeline, avec ce qu’il faut de répétitions, de circonvolutions, et d’imitation de formation de pensées. Original, percutant et vraiment très bien fait !

Le système de magie inventé ici est vraiment intéressant : le chant, le chœur et les carillons sont prédominants, mais pas que. Il y a différentes sortes de mages et de magiciens, des sortilèges, une magie mineure, et tout une théorie autour des prophéties et des mages qui les scellent dès lors qu’ils les prononcent. J’aurais même apprécié que cette partie soit plus creusée tant j’ai trouvé ce système passionnant ! Avec ça, on déambule dans une société qui n’aligne pas que des humains, puisqu’on nous parle des Mignards et des Gigants, ce que j’ai trouvé intéressant mais qui, là aussi, m’a quelque peu laissée sur ma faim. J’aurais voulu en savoir plus ! (Mais ce n’était pas l’objet du récit).

Car celui-ci est entièrement construit sur le récit initiatique et la quête de soi, dans cet environnement qui a fait de la survie la priorité n°1. Le décor de l’école de magie se prête magistralement à ce type de récit et j’étais hyper contente de retrouver ce type d’ambiance, surtout avec des personnages plus matures que ce à quoi le genre nous a habitués depuis quelques années (en termes d’âge, surtout, car oui, j’ai eu envie de leur coller très souvent des baffes). Et puis, alors qu’on est habitués à ce récit aussi magique que scolaire, avec son lot de cours, de bisbilles entre étudiants et de petites rancœurs, l’auteur nous retourne violemment tout ça et expédie magistralement une grosse claque narrative. Je n’en dirai pas plus pour ne pas divulgâcher plus que nécessaire, mais je n’ai pas vu venir le retournement de situation central et ce qui allait s’en suivre (et, de fait, je n’étais pas prête).

Disons simplement que la seconde partie va introduire de passionnantes pistes de réflexion, notamment autour de la figure du monstre (qui, au final, n’est pas nécessairement celui que l’on avait envisagé au départ…) et quelques variations autour du fameux « la fin justifie-t-elle les moyens ? » (vous avez deux heures).
On bascule dans du sombre, du glauque, des choix discutables, le tout saupoudré d’émotions comme la colère ou l’ambition, qui viennent agiter le bouillon de culture. C’est puissant, parfois éprouvant, c’est passionnant et cela rend le bouquin impossible à lâcher.

Excellente lecture donc que ce Silence des carillons, qui nous entraîne dans une intrigue qui peut sembler dans un premier temps classique, avant de dévoiler magistralement ses cartes. Son héroïne principale, et les personnages qui gravitent autour, sont agréablement complexes et ambigus, qui marchent plus souvent qu’à leur tour sur le fil du rasoir. De fait, l’intrigue induit quelques réflexions vraiment bien menées et qui ne laissent clairement pas indifférents. Avec ça, il faudrait reparler de cet univers si particulier, et du style mélangeant allègrement détachement et noirceur, ce qui ne fait que rendre le récit plus percutant. Je suivrai avec attention les prochains écrits de l’auteur !

Le Silence des carillons, Edouard H. Blaes. ActuSF (Bad Wolf), février 2023, 394 p.



Fleurs d’Oko #1, Laëtitia Danae.

À Sangaré, la magie, réservée aux hommes, se déploie en de multiples couleurs. Mais petite Oko est spéciale. Elle parle le Langage des fleurs.
Lorsque le murmure des griottes annonce la venue du puissant Soumaoro, envoûteur du royaume en quête d’un aspirant prêt à lui succéder, Oko prend sa décision. Elle quitte tout pour assouvir son besoin d’aventure et de reconnaissance.
Alors qu’aux portes de la capitale, la Brousse menace d’étendre son fléau, dans les dédales du palais d’Ivoire, Oko découvre un tout autre monde. Celui de la magie, telle qu’elle ne l’a jamais expérimentée, mais aussi les intrigues de la cour, les ruses et les coups bas. À qui peut-elle se fier ? Qui redouter ? Tant de questions, si peu de réponses. La concurrence est rude et les embûches parsèment le chemin de la jeune aspirante.
Et à travers ses épreuves, petite Oko deviendra grande.

Fleurs d’Oko faisant partie des cinq titres sélectionnés pour le PLIB, il a atterri sur ma PAL de l’été. Et en quelques mots comme en cent, c’était une lecture sympathique, mais clairement pas assez pour terminer en haut de ma liste de votes !

Après un démarrage en fanfare, le rythme du récit retombe rapidement, et se focalise presque entièrement sur Oko, seule (ou presque) dans le palais et attendant de rencontrer ses camarades de classe. C’est intéressant du point de vue de la construction de la protagoniste, mais j’ai trouvé que cela créait un ventre mou dans la narration – et durant lequel j’ai vraiment dû m’accrocher. Finalement, c’est sans doute un des deux points qui m’aura causé le plus de difficultés dans ce roman : le rythme ! Ce n’est pas tellement la lenteur (car j’aime les intrigues qui prennent leur temps), mais l’impression que ce rythme posé ne servait ni à la construction des personnages, ni à l’approfondissement de l’intrigue ou de l’univers.

Et c’est dommage, car l’univers dans lequel se déroule le récit est assez envoûtant. La société est globalement matriarcale (en tout cas les femmes dirigent), mais la magie est réservée aux hommes. Aussi la présence d’Oko (et d’Akissi, la seconde étudiante), est-elle assez mal perçue au début de l’intrigue. Et j’ai trouvé ça vraiment intéressant : l’aspect féministe de l’intrigue ne tient pas seulement à une inversion du paradigme habituel (en passant de société patriarcale à matriarcale), mais aussi au fait que l’autrice décrit des personnages féminins qui se prennent en main et font tout leur possible pour faire bouger les lignes (même si elles ne sont que deux et sont à couteaux tirés). A ce stade de la chronique, je me dois aussi d’avouer qu’après m’avoir royalement tapé sur le système, Oko m’a semblé manquer d’un peu de profondeur, tout comme ses camarades de classe, que j’ai trouvés un peu cliché (et c’est le second point qui m’aura vraiment gênée).
Côté construction de l’intrigue, mythes et légendes africaines imprègnent le récit, soit parce que Soumaoro, l’envoûteur, les raconte à ses étudiants, soit parce ce que des extraits ouvrent les chapitres ou émaillent le récit, ce qui crée une atmosphère prenante.

J’ai trouvé le système de magie à la fois intéressant et trop peu détaillé : il y a quatre types de magies différentes, chacun relevant d’une affinité particulière (avec les plantes, l’esprit, etc.) et étant désigné par une couleur. C’est une base vraiment intéressante, et j’étais frustrée de ne pas savoir comment les personnages sont à l’aise avec l’une plutôt que l’autre, comment on acquiert les autres types, etc. De même, la succession d’épreuves assure le rythme de la narration, mais cet aspect linéaire a aussi manqué, à mon goût, de quelques détails.

En définitive, j’ai apprécié l’univers dans lequel se déroule l’intrigue, tout comme celle-ci, notamment sur les enjeux qui seront sans doute détaillés dans le deuxième tome (la lutte contre la Brousse notamment), et ce malgré la lenteur générale de l’ensemble. En revanche, j’ai trouvé que les personnages manquaient un peu de profondeur, ce qui m’a empêchée de me passionner pleinement pour le récit. Malgré un roman fluide et assez sympa dans l’ensemble, je ne suis pas certaine de lire le tome 2 !

Fleurs d’Oko #1, Laëtitia Danae. Snag, mars 2021, 422 p. #PLIB2022 #ISBN9782490151264

Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être :

L’Atelier des sorciers #6-7, Kamome Shirahama.

Après leur agression par la Confrérie du Capuchon lors de leur examen, Coco et ses camarades sont rapatriées à l’Académie, la citadelle des sorciers. Tandis que Kieffrey se remet de ses blessures, Coco fait la rencontre du sage Berdalute, responsable de l’enseignement des sorciers. Compréhensif, il promet aux apprenties de valider leur examen si elles parviennent à le surprendre avec leur magie. Mais émerveiller l’un des trois sorciers les plus talentueux de leur génération en seulement trois jours est loin d’être une mince affaire…

Alors que le tome précédent semblait conclure une sorte d’arc narratif, celui-ci s’annonce plutôt comme un tome de transitions. Mais transition ne veut pas dire (ici du moins) qu’il ne se passe rien ! Au contraire, ce tome est assez dense !

Kieffrey étant hors course, coincé à l’infirmerie de l’Académie, les quatre fillettes s’occupent et visitent la fameuse Académie des Sorciers – une merveille architecturale située sous la mer, où l’on circule à bord de carrosses tirés par des chevaux-tritons. Sans surprise, comme toujours, le trait est impeccable : les décors fouillés sont splendides et les expressions des personnages vraiment travaillées. Bref : un régal !

Malgré le côté « tome de transition », l’intrigue est assez dense. En effet, les autorités essaient de savoir ce qu’il s’est véritablement tramé durant l’examen, aussi les fillettes sont-elles sur la sellette. L’examen en lui-même n’ayant pas été terminé, elles doivent participer (toutes les quatre, finalement !), sous la houlette du sage Berdalute, à une session de rattrapage – ce qui les occupe une grande partie du tome.
Mais malgré cette pression, les fillettes trouvent le temps de s’amuser, de s’émerveiller (surtout Coco), ou de renforcer leurs liens, ce qui s’avère très touchant. L’Académie est certes le rêve de tout jeune sorcier, c’est aussi… un panier de crabes : c’est d’ailleurs l’occasion d’en apprendre plus sur Agathe (et peut-être de découvrir pourquoi elle est si sombre et taciturne !).

Ce que j’ai préféré, dans ce tome, c’est finalement l’intrigue double qu’il déroule. Si les apprenties travaillent fortement sur leur examen (au sujet ardu !) et profitent dans l’insouciance la plus totale des installations de l’Académie, les adultes, eux, Olugio en tête, sont entièrement tournés sur la question de la Confrérie du capuchon. L’intrigue est donc à la fois légère et sombre, ce qui donne une ambiance assez particulière et très prenante à ce tome. De plus, la passé mystérieux de Kieffrey est régulièrement cité, ce qui intrigue fortement !

Ce tome offre une petite pause dans le récit, bienvenue après les deux tomes précédents. L’intrigue offre quelque révélations sur la passé (juste assez pour mettre l’eau à la bouche), et dispose d’une intéressante ambiance, partagée entre légèreté et questionnements plus sombres. Ce qui contribue à donner au manga son côté très dense, malgré son statut de tome transitoire ! Et ce n’est pas le rebondissement final qui fait retomber la tension !

L’Atelier des sorciers #6, Kamome Shirahama. Traduit du japonais par Fédoua Lamodière.
Pika, juin 2020, 168 p.

À l’Académie, les apprenties sorcières ont passé avec brio leur épreuve de rattrapage pour le deuxième examen. Mais dans la foulée, Coco se fait convoquer, en pleine nuit, par Berdalute, l’un des trois grands sages. À sa grande surprise, il lui propose de rester à l’Académie pour devenir sa disciple et la mettre à l’abri de la confrérie du Capuchon et de Kieffrey. Coco, perplexe, se demande pourquoi elle devrait renoncer à son maître. Avant de prendre sa décision, elle décide de partir à la recherche de la vérité et se dirige vers la Tour-bibliothèque…

Alors que, jusque-là, Coco et ses camarades étaient au centre de l’histoire, c’est Kieffrey qui tient ici la vedette ! Après les semi-révélations sur son passé dans le tome précédent, il est enfin temps d’en savoir plus sur le maître magicien.

Côté narration, le récit alterne donc entre le présent (Coco doit se décider par rapport à l’offre du sage Berdalute et Kieffrey tente d’empêcher son recrutement), et le passé, où l’on découvre l’enfance (dramatique) du maître mage, sa formation, et les débuts de son amitié indéfectible avec Olugio. Classique, mais très efficace, car on s’aperçoit que les deux récits sont intimement liés.

Et franchement, c’est brillant ! L’autrice noue peu à peu les fils du drame et nous fait quelques révélations fracassantes sur Maître Kieffrey… que je n’avais pas du tout vues venir ! Cela m’a carrément donné envie de relire toute la série à l’aune de ces informations, pour voir si je n’avais pas raté ici ou là un petit indice caché.
L’autre point très agréable, c’est le développement des personnages adultes. Amorcé dans le tome précédent avec Olugio, il est ici poursuivi avec Kieffrey, dont on découvre la psychologie – complexe à souhait. Comme dans le tome précédent, on a l’impression de suivre deux histoires parallèles : celle des enfants, et celle des adultes, ce qui fait que cet arc narratif est toujours partagé entre légèreté et préoccupations plus sombres. J’ai trouvé que cet arc narratif donnait une confortable ouverture à l’intrigue et à l’univers du roman, qui s’épaississent agréablement, sans tomber dans le travers du « remplissage ».

Ce septième tome semble marquer un pas important dans l’intrigue, qui se dirige résolument vers un ton plus sombre.La Confrérie du Capuchon imprègne chaque chapitre de cet opus, ce qui garantit un bon suspense. La découverte des personnages adultes et de leurs histoires est passionnante et, si l’intrigue fait une petite pause dans le fil principal consacré aux apprenties, c’est pour mieux se nourrir. Je crois que c’est, jusqu’ici, mon tome favori !

L’Atelier des sorciers #7, Kamome Shirahama. Traduit du japonais par Fédoua Lamodière.
Pika, 25 novembre 2020, 170 p.

◊ Dans la même série : L’Atelier des sorciers #1-2 ; #4-5.

Héritages, Gardiens des Cités perdues #8, Shannon Messenger.

Sophie n’en peut plus de vivre dans le mensonge et l’illusion : cette fois, il lui faut des réponses. Mais la vérité n’est pas toujours bonne à entendre, surtout quand elle apporte son lot de nouvelles responsabilités… Et que la jeune fille n’est pas la seule concernée. Car le passé trouble de certains de ses amis n’a rien d’un hasard. Beaucoup sont porteurs d’un destin qui les dépasse, qui se joue d’eux et de leurs principes.Commence alors un jeu de pistes dangereux, où la fidélité de chacun se voit remise en cause. Et si les indices s’accumulent, le doute, lui, s’insinue dans le petit groupe à mesure que la frontière entre le bien et le mal se trouble. Une question occupe désormais tous les esprits : qui est véritablement digne de confiance ?À force de creuser pour découvrir ce que cachent les mystères qui l’entourent, Sophie Foster se retrouve dans ce huitième tome de Gardiens des Cités perdues face à elle-même et à ses illusions perdues. L’heure de vérité a sonné. Il ne reste plus qu’à savoir si notre héroïne et ses amis sont prêts à l’affronter…

Gardiens des Cités perdues est une série que j’apprécie, et ce depuis le début, malgré le caractère impossible de Sophie (disons que si vous n’aimez pas les premières de la classe parfaites, passez votre chemin).

Mais là… cette fois, la magie n’a pas du tout pris. J’ai peiné sur chacune des pages de cet interminable pavé (qui pèse plus de 760 pages, quand même !).

Déjà, dès le départ, quelque chose a coincé : le fait que l’on investisse Sophie de nouvelles responsabilités. Je trouvais déjà dans les tomes précédents qu’il y en avait un peu trop, mais là, on dépasse vraiment les bornes. Que font donc les adultes dans cet univers ?! Même Dumbledore n’a pas autant osé charger la mule, et pourtant on sait qu’il n’a pas lésiné quand il s’agissait de confier de lourdes responsabilités à des gamins à peine pubères.
Bref. Sophie se retrouve assortie d’une nouvelle mission, d’un nouveau titre (Régente, donc elle intègre la Noblesse sans passer par la case « Niveaux d’élite de Foxfire ») et d’un tas de nouvelles choses à faire. J’ai donc eu énormément de mal à adhérer à cette partie de l’intrigue, d’autant qu’il y avait déjà fort à faire avec TOUT ce qui est en suspens depuis le début (et il y en a !).

Sans surprise, tout cela vient alourdir une intrigue déjà bien embourbée. J’ai trouvé le roman terriblement long et mou. Les rares révélations ne surprennent que les personnages tant tout m’a semblé téléphoné, qu’il s’agisse de la situation avec les nains, ou la recherche de Sophie sur ses parents biologiques. Tout cela me semblait tellement évident ! En plus, cela prend complètement le pas sur la recherche de l’héritage de Keefe, qui était supposé être au centre de l’intrigue.
Dès lors, difficile de se passionner pour les péripéties (nombreuses) qui accablent (il n’y a pas d’autre mot) nos personnages.

Pour ne rien arranger, j’ai trouvé que tout traînait en longueur. Les dialogues sont excessivement longs, soit qu’on nous ressasse des informations que l’on connaît déjà / qui ne méritent pas autant d’explications, soit que le suspense est manifestement poussé au maximum sur des révélations qui, malheureusement, ne sont pas surprenantes tant elles ont été bien amenées. Du coup, on peut noter ce point positif : tout se tient, tout a été (peut-être trop) bien préparé en amont. J’avoue tout net que j’ai parcouru en diagonale certains de ces dialogues justement conçus pour « faire monter le suspense », tant j’étais à deux doigts de m’endormir dessus.
L’autre point qui m’a fortement agacée, c’est la façon dont sont résolues les péripéties. C’est quoi cette insolente facilité ? On nous répète depuis le départ combien c’est difficile, combien la situation est tendue (limite désespérée) et les personnages s’en sortent haut la main sans déplacer une mèche de leur brushing ? Mais ce n’est pas crédible !

Parlons maintenant des personnages. Dans le tome précédent, je regrettais que l’on intègre encore de nouveaux personnages à la cohorte déjà en présence. Cette fois, heureusement, pas de nouvelle tête : Stina Heks (la meilleure ennemie) est certes intégrée à la Brigade Prodigieuse souhaitée par le Conseil, mais il s’agit d’une tête déjà connue. Malgré cela, j’ai encore trouvé qu’on avait du mal à naviguer entre les très (trop !) nombreux protagonistes. Tous sont importants, et c’est assez difficile de s’intéresser tour à tour à chacun. Ils se retrouvent donc généralement réduits à leur capacité principale, ce qui les rend tous légèrement monolithiques (et c’est bien dommage).
Est-ce qu’on parle de l’arc narratif dévolu à la romance ? Allez, le triangle amoureux nous tient tout de même en haleine depuis le premier volume ! Ici, rien de neuf, hormis que Fitz glisse de plus en plus sur la (dangereuse) pente du pervers narcissique. Pourquoi personne ne lui met deux claques ? Il les mérite amplement ! Je sais qu’au départ de la saga, ma préférence allait à Fitz dans le triangle reliant Sophie, Fitz et Keefe, mais ma préférence va désormais à ce dernier (ou à aucun des deux, tiens, ce serait très bien aussi).

On peut donc dire que ce tome a été une intense déception. Je suis même déçue d’avoir été déçue, car j’apprécie vraiment la série (du moins, jusque-là). Malgré le côté entraînant de l’intrigue, en raison des multiples péripéties, difficile d’être complètement passionnée par le récit, qui était paradoxalement mou et lent. Au vu de la densité de retournement de situation aux cent pages, c’en est même étonnant !
J’espère donc vivement que ce tome était une petite baisse de rythme dans l’économie générale de la saga, et que celle-ci repartira d’un meilleur pied dans le prochain opus.

◊ Dans la même série : Gardiens des cités perdues (1) ; Exil (2) ; Le Grand Brasier (3) ; Les Invisibles (4) ; Projet Polaris (5) ; Nocturna (6) ; Réminiscences (7) ;

Gardiens des Cités perdues #8, Héritages, Shannon Messenger.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mathilde Tamae-Bouhon et Laureline Chaplain.
Lumen, novembre 2019, 763 p.

Nocturna, Gardiens des Cités Perdues #6, Shannon Messenger.

Nocturna… Dans l’esprit de Sophie, embrumé par le chagrin et le deuil, ce nom brille comme un astre. À lui seul, il incarne tous les espoirs et toutes les craintes de la jeune fille. Car c’est là que se trouve sans doute sa famille humaine, enlevée par les Invisibles, là que l’attendent les réponses à toutes ses questions. Mais s’y rendre relève du tour de force – Sophie et ses amis sont donc bientôt contraints de revoir leur stratégie, quitte à pactiser avec plusieurs de leurs ennemis.
Dès cet instant, le compte à rebours est lancé : pour sa famille disparue, comme pour le reste du monde, il n’y a plus une minute à perdre. Rongée par l’incertitude et la peur, Sophie va devoir, plus que jamais, s’appuyer sur ses proches pour parvenir à aller de l’avant, pour éviter surtout de sombrer dans le désespoir. Car, même si elle est loin de s’en douter, les portes de Nocturna dissimulent un secret enfoui depuis des millénaires… un secret qui pourrait bien changer la face du monde à tout jamais !
Et si la clé de l’énigme se cachait dans le passé ?

Dès qu’il est sorti, je me suis jetée dessus, pressée que j’étais de retrouver la petite bande. Et j’avais presque fini pour rencontrer l’auteur à Montreuil (début décembre, donc) ! Mais si j’ai tant tardé à rédiger cette chronique c’est que, à la fin de ma lecture, je n’étais pas capable de vous dire autre chose que : « Lisez cette série, elle est tellement géniale ! ». Vous conviendrez que niveau arguments, c’est un peu plat. Maintenant que la pression est un peu retombée, on va tâcher de faire un peu plus consistant.

J’ai été ravie de retrouver les personnages à peu près là où on les laissait dans le tome 5. Et, fait étrange, bien que ce soit en pleine action et en plein questionnement, j’ai trouvé que le début était un peu indolent – sans que ce soit gênant, notez, car sur 762 pages de lecture, on peut bien commencer en douceur.
Rapidement, le rythme reprend tout son allant et on est bien vite accaparé par les questions qui s’accumulent. En effet, le mystère autour de la disparition des parents de Sophie reste (assez longuement) entier, ce qui induit un suspens latent dans l’intrigue. À celui-ci s’ajoute un suspense plus courant car outre la disparition des parents de Sophie, la petite bande a fort à faire. Il faut en effet découvrir les dessous du projet Polaris, les petites cachotteries des Invisibles, le plan secret (et sans doute machiavélique) de Lady Gisela et, bien sûr, l’allégeance finale de Keefe, toujours en balance suite à sa trahison (à la fin du tome 4). Encore une fois, c’est donc un tome riche en questions ; on ne peut pas dire que Shannon Messenger soit avare en réponses mais, ce qui est sûr, c’est qu’à l’issue du volume, les réponses ont apporté de nouvelles questions – ce qui présage sans doute de nouveaux tomes pleins de suspense.

Pour autant, l’histoire avance réellement. D’une part parce que la diplomatie prend une nouvelle tournure. Alors que, jusque-là, on avait (assez schématiquement) les elfes VS les autres espèces magiques (celles-ci étant en position de dominés), une certaine partie de la population elfe fait enfin preuve d’un peu d’ouverture d’esprit – et franchement, vu d’où l’on partait, ce n’est pas du luxe. De même, Shannon Messenger s’attache à démonter les apparences de la société elfique, si parfaite de premier abord et qui s’avère finalement raciste, fermée et pleine de préjugés. Là où cela devient passionnant, c’est lorsque l’on se met à repérer des petits travers de notre société – et qui semblent d’autant plus condamnables ainsi mis en intrigue. De même, l’intrigue, par moments, fait écho à de nombreux faits historiques réels. La transposition est intéressante et cela montre, si c’était encore nécessaire, que les littératures de l’imaginaire sont tout à fait aptes à questionner le réel.

Dans ce volume, on a également affaire à de nouveaux personnages : certains sont des personnages que l’on connaît déjà, mais que l’on découvre sous un nouveau jour – Dimitar, par exemple, qui s’est complètement révélé dans ce volume – tandis que d’autres sont totalement neufs. C’est le cas de Romilda – Ro pour les intimes – qui apporte un peu de sang neuf et nous fait découvrir la société ogre sous un tout nouvel aspect ! Il est vrai que les personnages étaient déjà fort nombreux, mais Ro s’intègre parfaitement à l’intrigue et à l’équipe.

Bon, tout cela pour dire que cet opus m’a encore fait passer par toutes les couleurs. Comme je l’ai dit, le suspens est au rendez-vous, aussi étais-je très impatiente de reprendre ma lecture. En même temps, j’ai été ravie de découvrir de nouvelles facettes de la société elfique et de l’univers et d’autant plus ravie de voir qu’au bout de 6 gros tomes, Shannon Messenger était toujours capable de nous surprendre. J’ai hautement apprécié que l’histoire mêle aussi habilement intrigue magique et petits tracas du quotidien : il ne faut pas oublier que nos personnages sont des adolescents et qu’ils ont donc, sans trop de surprises, des problèmes d’adolescents. Amitiés, amours, relations familiales, tout cela est traité assez habilement et vient coller au reste de l’histoire. Les relations familiales occupaient d’ailleurs une grande place dans l’intrigue car Sophie se retrouve tiraillée entre l’amour qu’elle porte à Grady et Edaline et celui qu’elle porte à ses parents humains, tout en sachant qu’eux l’ont complètement oubliée. À ce titre, je dois confesser que Shannon Messenger a su me tirer quelques larmes, au cours d’une scène proprement déchirante !

J’étais donc très impatiente de lire ce sixième tome, qui ne m’a pas déçue, malgré un début un peu indolent et (tout de même) une ou deux facilités glissées dans l’intrigue. J’y ai retrouvé tout ce qui me plaît dans cette saga : un univers original, une intrigue palpitante et fournie, des personnages nuancés et un intéressant mélange entre les sous-intrigues purement liées à la quête magique et celles liées à la vie quotidienne de la petite bande d’adolescents. Comme dans les tomes précédents, on s’aperçoit que la société elfique, d’apparence si parfaite et si géniale, est percluse de petits travers, qui ne sont pas sans rappeler ceux de notre propre société. Du coup, la série est divertissante à souhait, mais permet également de réfléchir à ce qui se passe dans notre société. Il va sans dire que j’attends désormais de lire la suite !

◊ Dans la même série : Gardiens des cités perdues (1) ; Exil (2) ; Le Grand Brasier (3) ; Les Invisibles (4) ; Projet Polaris (5) ;

Gardiens des Cités Perdues #6, Nocturna, Shannon Messenger. Traduit de l’anglais par Mathile Tamae-Bouhon.
Lumen, novembre 2017, 762 p.

J’ai lu ce roman de concert avec Allisonline ! Et on a aimé toutes les deux !

Projet Polaris, Gardiens des Cités Perdues #5, Shannon Messenger.

Après un passage mouvementé par Exillium, l’école réservée aux bannis, Sophie et ses amis sont de retour à l’académie Foxfire, où la jeune Télépathe n’est pas la seule, cette fois, à bénéficier de la protection d’un garde du corps. Car certains masques sont tombés : les nouveaux membres du Cygne Noir, ainsi que leurs familles, sont plus que jamais en danger… D’autant que les Invisibles, ces rebelles qui menacent les Cités perdues, multiplient les attaques.
Tandis que la tension monte avec les ogres, forçant les elfes à accepter des changements drastiques de leurs modes de vie, notre petite troupe tente d’en découvrir plus sur le plan de l’ennemi. Sophie ne dispose pourtant que de maigres indices : son nom de code est « Projet Polaris », un étrange symbole semble en être la clé et il serait depuis le début lié à… Keefe !

Vous aurez sans doute l’impression que je me répète (et j’espère bien continuer avec les tomes suivants), mais chaque nouveau tome me semble meilleur que le précédent !
À la fin du quatrième tome, la petite équipe se trouvait séparée et devait faire face à des convictions opposées : pas toujours facile à vivre au sein d’un groupe d’amis.

Cette fois, l’intrigue prend de nets accents de thriller, Sophie se chargeant de l’enquête sur le fameux Projet Polaris, cherchant à savoir de quoi il retourne et en quoi elle est concernée, au juste. Ce qui est particulièrement prenant, c’est que cette partie de l’intrigue s’entremêle merveilleusement à la partie plus politique. Depuis les événements du tome précédent, celle-ci s’avère de plus en plus complexe : les elfes et les ogres sont à couteaux tirés et leurs différends risquent de faire aussi sombrer les autres peuples des Cités Perdues, gnomes, gobelins et autres créatures magiques incluses. De fait, on sent qu’on s’achemine doucement mais sûrement vers une guerre ouverte.
D’autant que chez les elfes, le Conseil est loin de faire l’unanimité et on dénombre pas moins de trois factions, en comptant le Cygne noir et les Invisibles, chacune ayant des choses à reprocher aux autres et des intérêts pas toujours convergents. Ce qui pimente allègrement la partie et tient le lecteur en haleine de bout en bout.

L’autre excellent point, c’est la façon dont se tissent et se développent les les relations entre les personnages. On l’a vu, les dissensions entre le petit groupe viennent alimenter le débat. Plus que jamais, c’est l’union qui fera la force mais il est difficile de rester unis lorsque l’on a des points de vue totalement opposés. Mais Shannon Messenger ne se contente pas de mettre en avant nos jeunes héros. J’ai trouvé qu’elle accordait un soin particulier à ses personnages secondaires et à leurs relations, notamment du côté des adultes (les parents et Sandor ont ainsi droit à leur quart d’heure de gloire) et j’ai vraiment apprécié qu’on ne se concentre pas uniquement sur les protagonistes, tout en leur accordant aussi le soin nécessaire.

En lisant Projet Polaris, j’ai eu l’impression qu’on franchissait un cap. Jusque-là, Sophie était une enfant débarquée dans un monde d’adultes mais là, on sent clairement pointer l’adolescente (Sophie a désormais quatorze ans). Elle est plus mature et cela se ressent dans ses prises de positions, dans ses réactions, dans sa façon d’appréhender l’échiquier sur lequel elle se place. Comme c’est une adolescente, elle traverse aussi une phase qui fait la part belle aux sentiments (avec des scènes qui laisseront sans aucun doute les lecteurs sur des charbons ardents). Mais, là encore, cela sert à Shannon Messenger à étoffer son univers et à en démonter un des aspects censément utopiques : pour l’occasion, on découvre comment se marient les elfes – via des listes de compatibilité établies par une agence assermentée – ce qui permet à Shannon Messenger de dénoncer la théorie eugéniste qui gouverne la société elfique.
Ce trait, que l’on retrouve à chaque tome, fait partie des raisons pour lesquelles cette série me plaît tant. Lorsque l’on a découvert les Cités Perdues, dans le premier volume, Shannon Messenger nous les a présentées sous des traits parfaitement idylliques mais, au fil des volumes, elle nous montre comment la société elfique s’est construite sur des parti-pris parfois monstrueux. C’est fait intelligemment et subtilement et c’est donc d’autant plus percutant !

Dans cet opus, le rythme est, lui aussi, très soigné. Impossible de décrocher, car il n’y a aucun temps mort. Mieux : au fil des pages, on s’aperçoit que chaque paragraphe compte et que tout vient alimenter l’intrigue générale. Et si vous trouviez que le tome 4 se terminait sur un insupportable retournement de situation, attendez de découvrir l’incroyable conclusion choisie par Shannon Messenger : de quoi vous faire regretter de lire la série au fil des dates de parution, tant l’attente pour le tome 6 va sembler longue !

Après l’excellente surprise du quatrième tome, j’attendais ce volume de pied ferme et je n’ai pas été déçue par ce qu’a inventé, cette fois encore, Shannon Messenger. L’intrigue est hautement prenante et on ne s’ennuie pas un seul instant. L’intrigue, délicieusement dense, vient compléter un univers lui aussi merveilleusement complexe, et dont on découvre sans cesse de nouveaux aspects. Mieux : la fin est telle que l’on pressent une suite elle aussi palpitante ! Que j’attends donc, vous l’aurez compris, avec une certaine impatience. 

◊ Dans la même série Gardiens des Cités Perdues (1) ; Exil (2) ; Le Grand Brasier (3) ; Les Invisibles (4) ;

Gardiens des Cités Perdues #5, Projet Polaris, Shannon Messenger. Traduit de l’anglais par Mathilde Tamae-Bouhon. Lumen, février 2017, 664 p.

Les Invisibles, Gardiens des Cités perdues #4, Shannon Messenger.

les-invisibles-gardiens-des-cités-perdues-4-shannon-messenger

Finis les cours à Foxfire et les messages énigmatiques envoyés par le Cygne Noir, Sophie rejoint enfin la mystérieuse organisation clandestine qui lui a fait voir le jour ! Accompagnée de Fitz, Biana, Keefe et Dex, elle quitte les Cités perdues pour Florence, où se trouve le premier indice qui la mènera jusqu’au repaire du Cygne Noir. Là-bas, la jeune fille espère en apprendre plus sur elle-même, mais aussi sur les Invisibles, le groupe de rebelles qui cherche à déstabiliser le monde des elfes. Pour comprendre l’étrange épidémie qui décime les gnomes, préparer l’évasion de Prentice, prisonnier d’Exil, et affronter la menace grandissante que représentent les ogres, la jeune Télépathe va devoir s’appuyer sur ses camarades et se retenir de foncer tête baissée vers le danger ! D’autant que si de nouveaux alliés apparaissent, des traîtres sortent aussi de l’ombre…

J’avais déjà écrit, à propos du tome 3, qu’il était le meilleur de la série mais la lecture de ce tome 4 a changé la donne : c’est, jusque-là, indéniablement le meilleur volume !
Cette fois, l’histoire change un peu car Sophie et ses amis ne retournent pas à Foxfire… dont ils ont été renvoyés. Nos jeunes camarades se retrouvent donc embringués dans un nouveau cycle d’apprentissage, plutôt haut en couleurs, à Exillium.
Comme souvent, il faut un petit moment avant que les événements décrits dans le résumé ne se mettent en place mais on ne s’ennuie pas pour autant : Sophie et ses camarades ont en effet fort à faire avec leurs nouveaux cours, ainsi qu’avec les entraînements auxquels ils s’astreignent afin de maîtriser leurs talents.
De ce point de vue-là, l’univers s’étoffe. Biana teste en effet tout un tas de méthode pour rendre son pouvoir efficace en toutes circonstances, y compris sur les gnomes, jusque-là immunisés.

Après avoir étudié les rouages de la société elfique, donné un bon aperçu des ogres, Shannon Messenger nous emmène sur les traces des gnomes – excellents jardiniers dans les Cités perdues – ici décimés par une mystérieuse épidémie. L’histoire est passionnante, car elle mêle plusieurs axes forts en suspens : il y a l’affrontement tripartite entre le Cygne noir, les Invisibles et le Conseil, la menace de guerre des ogres, la question de l’épidémie des ogres, mais aussi les histoires personnelles de nos jeunes aventuriers, qui viennent enrichir l’intrigue. Si Sophie n’a pas cessé d’enquêter sur les circonstances exactes de la mort de Jolie, les révélations qu’elle déterre, peu à peu, ont un impact sur l’ensemble du groupe. Or, celui-ci semble de plus en plus ne tenir que par l’effet du miracle… Soyez prévenus : révélations fracassantes, alliés inattendus et traîtres insoupçonnables sont nombreux à se révéler dans ce tome, ce qui ne le rend que plus passionnant !

Car sous l’histoire apparemment fantastique, Shannon Messenger évoque le sujet poignant de l’abandon. Nos aventuriers ne tardent pas à rencontrer deux jeunes elfes de leur génération, vivant seul, suite au renvoi de l’un des deux par leurs parents (l’autre a suivi par solidarité). Or, ces parents, plutôt que d’assumer leur rôle de protection et de soutien, ont préféré se débarrasser du problème. Tel autre souffre de l’attitude ô combien blessante de parents a priori peu aimants, très froids, le rabaissant sans cesse et dont il s’aperçoit que la loyauté est plus que douteuse. À la blessure d’amour propre s’ajoute la blessure d’amour filiale, et celle-ci peut faire des ravages. Mais ce qui est intéressant, c’est que l’auteur met tout cela en balance avec un autre système familial, apparemment plein d’amour et de bienveillance, mais dans lequel la graine de la sédition a également bien pris. Loin d’avoir un discours culpabilisant, elle montre que parfois, tout l’amour du monde ne suffit pas à changer les gens – ce qui, somme toute, est très humain. De fait, l’auteur parvient à nous surprendre avec les évolutions que connaissent ici ses personnages.

Dans le tome précédent, l’ambiance était plus sombre, et c’est à nouveau le cas ici : fini de plaisanter, la guerre est imminente, tous les coups bas sont permis et l’atmosphère s’en ressent dans le petit groupe. Si les relations qui les unissent sont toujours plus fortes et belles, elles sont mises à mal par les épreuves que nos jeunes camarades doivent affronter. Tout cela nous achemine doucement vers une fin qui laisse le lecteur sans voix. On prie pour trouver un épilogue caché et ne pas rester sur cette effroyable conclusion… Las, il faudra attendre le tome 5 pour savoir si l’on pourra s’en remettre !

Inutile de dire que l’on voit à peine passer les quelques 650 pages qu’offre ce petit pavé. Shannon Messenger nous propose à nouveau une intrigue haute en couleurs, palpitante, prenante à souhait et qui ne laisse personne indemne – ni le lecteur, ni les personnages. Ceux-ci évoluent franchement dans cet opus, ce qui en fera peut-être grogner plus d’un au vu des développements choisis par l’auteur. Il va donc sans dire que j’ai furieusement envie de découvrir le cinquième volume !

◊ Dans la même série : Gardiens des cités perdues (1) ; Exil (2) ; Le Grand brasier (3) ;


Gardiens des Cités perdues
#4, Les Invisibles, Shannon Messenger.
Traduit de l’anglais par Mathilde Tamae-Bouhon.
Lumen, 2016, 656 p.