Ce qui naît des abysses, Confluence #1, Sylvie Poulain.

XXIVe siècle. Après l’emballement climatique et l’effondrement de la civilisation terrestre, les rescapés tentent de se réinventer sous l’eau au sein de cités sous-marines interdépendantes. Hélas, les vieilles tares de l’humanité ont plongé avec elle…
En Atlantique Nord, la belliqueuse Atlantis flirte avec les limites de son mandat de protection, poussée par l’IA qui la dirige, tandis que les cargos sous-marins de la Hanse participent à de dangereux jeux d’influence. Les tensions se cristallisent autour de Providence, une mystérieuse colonie abyssale refusant de se soumettre.
Alors qu’une invasion tourne au désastre et que les secrets de Providence échappent aux Atlantes, un sous-officier, Wolf Douglas, découvre une jeune survivante nommée Jihane, qui ne ressemble à rien de ce qu’il connaît. Malgré tout ce qui les sépare, Wolf et Jihane sont forcés de coopérer pour survivre aux abysses, pendant qu’un sous-marin hanséatique s’efforce de récupérer les miettes du conflit.
Pris dans un jeu de pouvoir qui les dépasse, le militaire et l’adolescente doivent bientôt faire des choix lourds de conséquences…

Le résumé du premier tome de cette trilogie m’emballait beaucoup et, une fois tournée la dernière page, je ressors conquise de cette lecture !
Sylvie Poulain nous entraîne dans un univers post-apocalyptique différent de ce que j’ai pu lire jusque-là : la Terre étant ravagée, ce qu’il reste de l’humanité évolue essentiellement sous les eaux. Or, cela commence assez mal, puisque la flotte d’Atlantis, armée jusqu’aux dents, est déployée pour un assaut sauvage sur l’ancienne station de Providence, pendant qu’un sous-marin de La Hanse se charge de faire l’observateur – presque – neutre, dans son propre sous-marin.
Vous l’aurez compris : l’autrice nous sert une ambiance SF militaire mâtinée de post-apo, le tout dans un décor abyssal du plus bel effet, suffisamment original pour me donner l’impression, en sus, d’être en plein planet-opéra !

La narration alterne, de façon assez classique, entre les points de vue à bord du sous-marin atlante, du sous-marin hanséatique, et de la station de Providence (auquel vont s’ajouter ensuite d’autres personnages) : on saute d’un acteur à l’autre, embrassant les ambitions et préjugés des uns et des autres. Un procédé classique certes, mais qui a fait ses preuves et fonctionne ici à merveille.
De fait, avec ce système, on suit de nombreux personnages et, l’intrigue débutant vraiment in medias res, j’ai eu un peu de mal au début à comprendre d’une part les enjeux et, d’autre part, qui était avec qui. En même temps, c’est ce qui rend le début si prenant, donc je me suis laissée guider le temps de deux ou trois chapitres avant d’y voir plus clair ! Et quels chapitres !
Assez vite, l’autrice pose les enjeux, installe une tension palpable et nous donne à voir un univers aux décors pour le moins dépaysants – et très salés. J’ai beaucoup aimé la façon dont enjeux techniques et politiques s’entremêlaient, et la géopolitique qu’elle a inventée pour les biens du récit. Post-apo oblige, l’ordre mondial a été bouleversé et on raisonne en zones plus qu’en pays. Toutefois, le concept de la nation « neutre » a été conservé, avec La Hanse, réseau commercial qui se charge de relier les zones entre elles et assure le transport des denrées d’un bord à l’autre. Évidemment, plus on avance, plus l’intrigue remet en question cette neutralité un brin utopique.
Le récit repose de fait sur une construction d’univers très sérieusement menée, ce qui fait que j’ai hautement apprécié cette lecture. D’ailleurs il y a quelques scènes absolument incroyables dans les abysses, et qui pour certaines m’ont donné la chair de poule, tout en réduisant clairement mes velléités de plongée !

J’ai trouvé que, en filigrane, Ce qui naît des abysses parlait en fait vraiment bien de notre univers. Évidemment, l’histoire débute car le réchauffement climatique n’a pas été enrayé et que l’humanité subit des conséquences désastreuses. Mais ce n’est pas tout !
Au fil des chapitres, l’autrice interroge avec pertinence notre dépendance à l’IA et la toute-puissance de celle-ci. Un sujet vraiment brûlant d’actualité et qui m’a fait froid dans le dos (comme à chaque fois ou presque que je suis confrontée à une IA romanesque !) tant les dérives sont ici bien exploitées. Mais il y a aussi toute une réflexion sur la dualité collectif (la façon dont vit Providence) et individuel (les autres modèles). Différents modèles de survie et philosophiques s’opposent et c’est vraiment passionnant – d’autant que si chacun est présenté comme idéal, on s’aperçoit que chaque système a ses défaut, voire peut virer à la dystopie à tout moment.

L’intrigue est également soutenue par un rythme que j’ai trouvé vraiment prenant. Il y a bien sûr toutes les scènes dans les abysses, où il est question de manque d’oxygène, de batailles navales rangées ou de lutte contre l’environnement (et ses grosses bestioles en goguette) et qui tiennent en haleine. Mais pas que ! La cohabitation entre les différents membres d’équipage dans le sous-marin de la Hanse est vraiment bien mise en scène. De plus, l’autrice a creusé le passé de la plupart des personnages (pas tous, mais ça viendra peut-être dans la suite). D’une part, cela m’a rappelé l’excellentissime L’Espace d’un an de Becky Chambers. D’autre part, cela assure un certain nombre d’arcs narratifs secondaires bien menés et qui pimentent idéalement l’intrigue (notamment avec un brin d’espionnage qui débouche sur des réflexions sociétales, lesquelles complètent parfaitement le panorama du roman). Les chapitres courts, l’équilibre des scènes d’action, contribuent aussi au fait que le roman se lit aussi vite que bien – et que j’ai maintenant diablement envie d’en savoir plus !

Bref, avec ce premier de tome de Confluence, Sylvie Poulain fait du neuf avec du vieux, et le fait bien. Le vieux, c’est l’univers terrien, que l’on connaît bien et qui permet d’emblée une immersion en eaux profondes. Le neuf, c’est cette dystopie qui va piocher à différents râteliers pour aérer quelque peu un genre qui commence à être vu et revu. De fait, Ce qui naît des abysses tient aussi du space opera dans un planet opera, lorgne clairement vers la SF militaire, tout en s’autorisant un crochet vers le cyberpunk et les réflexions plus sociétales auxquelles la dystopie nous a habitués. C’est dense pour un premier tome, mais en même temps cela crée des bases solides pour avancer par la suite – que j’ai d’ores et déjà hâte de découvrir !

Confluence #1, Ce qui naît des abysses, Sylvie Poulain. Bragelonne, 1er février 2023, 544 p.

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Lettre P !

Le Grand jeu, Benjamin Lupu.

1885, Constantinople.
Le tsar est tombé depuis 60 ans et une nouvelle puissance s’est levée à l’est. Le Nouvel Empire russe est devenu la première dictature industrielle. Ses dirigeables géants, ses chars et ses exosquelettes à vapeur ont assis sa domination face à l’Alliance de l’Ouest. L’Empire ottoman survit dans une fragile neutralité et sa capitale est le théâtre d’un jeu d’espions sanglant.
Martina Krelinkova, aventurière et monte-en-l’air, débarque à Constantinople avec une réputation sulfureuse alors que le Primat Imperator russe s’apprête à restituer au sultan un diamant légendaire : le Shah. À peine arrivée, elle découvre que sa sœur a mystérieusement disparu.
Tandis qu’un jeu du chat et de la souris s’enclenche à un rythme effréné, les obstacles se multiplient pour la voleuse. Parviendra-t-elle à retrouver sa sœur et à s’emparer du Shah, tout en mettant au jour les sombres intrigues du Grand Jeu ?

Du steampunk, un peu d’uchronie, un cambriolage audacieux, de l’espionnage, le tout avec Constantinople en toile de fond ? Je signe avec enthousiasme !

Le Grand jeu regorge d’excellentes idées. Tout d’abord, l’auteur a pris soin de rebattre les cartes géopolitiques de l’époque. Le monde semble divisé entre deux grandes puissances : le Nouvel empire russe, une dictature industrielle qui a pris le pas sur le pays des tsars et l’Alliance de l’Ouest. Entre les deux, notre toile de fond : l’empire ottoman, qui tente de se faire tout petit tout en conservant sa neutralité.
C’est dans ce panorama politique à peine stable que débarque Martina, bien décidée à faire main basse sur une merveille de plus, tout en retrouvant sa sœur disparue.

On suit essentiellement le personnage de Martina (hormis quelques infidélités) : si elle est parfaitement campée, les autres personnages sont plus effacés, quasiment tous au même niveau de personnages secondaires.

À partir de là, l’intrigue alterne entre plusieurs fils narratifs : la préparation du casse, la traque de la sœur disparue, la montée en puissance de l’empire russe sur les terres ottomanes, et le parcours d’un homme infiltré au sein de la dictature industrielle. Tout cela contribue à créer une intrigue certes linéaire, mais néanmoins assez dense, car le début du récit accumule les scènes apparemment sans liens les unes avec les autres.
En effet, les intérêts sont multiples et il faut un long moment avant que l’on ne discerne le schéma général qui sous-tend le récit. De plus, l’univers est lui aussi assez complexe. L’auteur utilise un vocabulaire spécifique pour désigner les inventions et machines de l’empire russe qu’il faut rapidement assimiler. À cela s’ajoute de nombreux passages de dialogues, d’exclamations ou d’interjections en russe ou en turc… sans forcément de traduction. Tout cela est parfait du point de vue de l’immersion et de l’originalité du récit mais pour une raison qui m’échappe, cela m’a plus embrouillée qu’autre chose.

Pourtant, le rythme est entraînant, et le mélange d’uchronie et d’espionnage vraiment bien trouvé. Il y a un côté roman d’aventures mâtiné de découvertes hyper sombres (notamment dans le camp russe !) qui fonctionne à merveille.

En bref, Le Grand Jeu est un roman d’aventures mêlant steampunk et uchronie sur une toile de fond originale et bien trouvée. L’intrigue, dense à souhait, joue sur plusieurs trames narratives qui se nourrissent les unes les autres, tout en dessinant un univers complexe.  C’est finalement lui qui m’aura empêchée de profiter à fond de ma lecture, me sentant un peu larguée dans les diverses ramifications de l’histoire.

Le Grand jeu, Benjamin Lupu. Bragelonne, février 2021, 360 p.

Aurora, Kim Stanley Robinson.

Notre voyage depuis la Terre a commencé il y a des générations.
À présent, nous nous approchons de notre destination.
Aurora.

Cela faisait un moment que je n’avais pas lu de science-fiction et en moins d’un mois, j’ai enchaîné deux très bonnes découvertes : L’incivilité des fantômes (que je chroniquerai peut-être un jour) et Aurora !

C’était mon premier roman de cet auteur et j’ai l’impression que j’ai commencé par le bon ! Du résumé, je ne connaissais que ce qui est écrit ci-dessus et ma première surprise a été de remarquer qu’en fait… on n’allait pas exactement suivre ce que je m’étais imaginé ! En effet, alors que le roman semble se profiler comme une aventure de planet opera assez classique avec colonisation à la clef, on se dirige très vite, dans les premiers paragraphes, vers une chronique du voyage interstellaire.
Avec énormément de questions à la clef, la première étant : comment maintenir en vol un vaisseau parti depuis plus de 200 ans ? Et comment faire survivre deux mille personnes enfermées dans un vaisseau ?
Le roman évoque aussi l’écologie et l’évolution. En effet, le brassage génétique de la population à bord est forcément limité, aussi les voyageurs stellaires commencent-ils à ressentir le syndrome d’insularité. Si vous ne savez pas de quoi il s’agit, pas de panique : tout est expliqué dans le roman !

De fait, le contenu scientifique est assez important – après tout, c’est de la hard SF. Je ne vous cacherai pas que certaines explications m’ont parfois semblé quelque peu obscures, surtout lorsqu’il était question de physique (après tout, je ne suis pas titulaire d’une thèse scientifique !) mais cela ne gêne aucunement la compréhension du récit, ou des enjeux. En effet, les principes scientifiques dont il est question sont généralement suffisamment explicités pour que, d’une part, on comprenne en quoi cela va impacter le récit et, d’autre part, pour que l’on comprenne les enjeux du principe scientifique en question.

Mais ce que j’ai trouvé vraiment intéressant, ce sont les volets politique et sociologique auxquels s’intéresse le récit. Comment faire en sorte que la société du vaisseau reste stable et que les voyageurs continuent de s’entendre les uns avec les autres et à vivre ensemble sans sombrer dans la tyrannie ? (Ce qui arrive, notamment, dans L’Incivilité des fantômes). Comment garde-t-on le moral des troupes au beau fixe alors qu’aucun des voyageurs n’a choisi d’être là et aurait peut-être préférer passer toute sa vie sur le plancher des vaches ? En lisant ce roman, je me suis posé des milliers de question auxquelles je n’avais jamais vraiment songé en lisant des romans qui parlent de colonisation spatiale : que fait-on des déchets qu’on ne parvient plus à recycler ? Comment on stocke le carburant ? Quel est l’impact de son poids et de son volume dans les calculs de trajectoires ? Bref : j’étais à fond dedans.

L’autre point que j’ai trouvé vraiment génial, c’est le choix du narrateur. Et pourtant, ça partait mal. J’avoue que j’ai eu très peur en lisant les premiers chapitres qui sont narrés dans un style particulièrement aride et froid. Mais cela s’explique rapidement, le narrateur omniscient n’étant autre que… l’IA du vaisseau. Or, celle-ci n’a pas été programmée pour apprendre à raconter des histoires et ne va intégrer des principes de narratologie que sous la poussée de Devi, une ingénieure du bord. Il y a donc quelques tâtonnements, puisque l’IA découvre successivement les temps de conjugaison, les métaphores, le choix de la focale sur tel ou tel personnage. C’est vraiment très bien fait et j’avoue que ça rend le tout hyper prenant. D’ailleurs, il y a toute une partie où l’IA est seule à bord, donc on lit un très très long monologue : avec quelques longueurs, certes, mais aussi prenant que le reste.

Le projet narratif tel que Devi l’a esquissé pose un sérieux problème, qui devient de plus en plus évident à mesure que le processus se poursuit. Le voici:
Premièrement, il apparaît que les métaphores n’ont aucun fondement empirique, et qu’elles sont souvent opaques, inutiles, ineptes, imprécises, trompeuses, mensongères et, pour tout dire, futiles et idiote.
Et pourtant, le langage humain est, dans son mécanisme de base, un gigantesque réseau de métaphores.
Donc, syllogisme évident : le langage humain est futile et idiot. Ce qui revient à considérer que les narrations humaines sont futiles et idiotes.

Si je devais trouver un bémol, ce serait les personnages, qui ne sont pas tous hyper creusés et restent assez archétypiques. Pour autant, ça ne m’a pas vraiment gênée – mais peut-être que ça aurait pu faire passer le roman du rang de très bonne découverte à « coup de cœur ».

En somme, première lecture de Kim Stanley Robinson et excellente découverte. Le fond est absolument passionnant, et soutenu par une forme originale, qui rend le récit particulièrement prenant. Je suis passée à un cheveu du coup de coeur avec cette lecture, qui m’a donné bien envie de lire d’autres titres de l’auteur !

Aurora, Kim Stanley Robinson. Traduit de l’anglais par Florence Dolisi.
Bragelonne, réédition janvier 2021, 595 p.

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Rose de sang, Wyld #2, Nicholas Eames.

Tam Hashford en a assez de travailler dans la taverne de son quartier, de servir à boire à des mercenaires connus dans tout Grandual et d’écouter les bardes chanter de glorieuses épopées à mille lieues de sa petite bourgade perdue.
Alors quand Rose de Sang arrive en ville à la tête de sa redoutable bande et qu’on propose à Tam de devenir leur barde, la jeune fille n’hésite pas longtemps. Elle veut de l’aventure, eh bien ! elle va en avoir. Avec le reste du groupe, elle s’engage dans une quête qui ne pourra se terminer que de deux manières : la mort ou la gloire.
Il est temps d’aller faire un tour du côté du Wyld…

En fin d’année dernière, j’avais adoré le premier tome de cette série, La Mort ou la Gloire. Autant dire que j’étais assez emballée à l’idée de lire cette suite. Une fois la dernière page tournée, mon enthousiasme n’a pas décru !

Contrairement à ce que je pensais, le récit, qui se déroule six ans après la fin du premier, n’est pas centré sur Rose. Elle est présente, bien sûr, elle est même au premier rang des protagonistes, mais le récit est plutôt vu par les yeux de Tam, une jeune femme rêvant d’aventure et désespérant de servir des bières à la taverne du coin, et qui s’enrôle en tant que barde dans la roquebande de Rose, Fable – car elle maîtrise le luth, une chance. Malgré le taux de mortalité très élevé des bardes dans les roquebandes, Tam part donc avec enthousiasme. Direction : le lieu de villégiature d’un monstre légendaire pour une mission grassement payée – alors que toutes les roquebandes du pays se dirigent, elles, vers la horde du Wyld qui menace de passer les frontières. De fait, l’intrigue semble au départ extrêmement similaire à celle du premier tome (les monstres sont sur le point de déferler) – mais cela change après.

J’ai été un peu surprise par le changement de ton du roman. Le premier était extrêmement drôle et c’est un point que j’avais adoré. Celui-ci l’est également, mais nettement moins que l’opus précédent, et porte des réflexions beaucoup plus profondes (et donc surprenantes).
Ainsi, le thème qui traverse toute l’intrigue, cette fois, est celui de la parentalité. Surprenant en fantasy, non ? Mais si l’on récapitule, tous les personnages ou presque ont une sous-intrigue qui tourne autour de ce thème. Il y a ceux qui voudraient sortir de l’ombre de leurs augustes parents (Rose, bien sûr, mais Tam aussi, dont le père était mercenaire, et la mère une légendaire barde) et des rôles qu’on leur a assignés. Celui de la princesse en détresse pour Rose, notamment. Car malgré ses exploits à Castria, c’est toujours ainsi qu’on la voit : la fille dont le papa a traversé le pays et la horde d’envahisseurs pour la sauver. Mais c’est aussi une problématique pour Nuage Libre et Brune, dont les pères ont toujours une forte emprise sur eux, bien qu’ils soient tous plus que majeurs et vaccinés !
Il y a aussi ceux qui portent des questionnements sur l’autre versant de la parentalité : comment, après avoir été un héros aux épiques combats, on devient un parent avec d’autres types de responsabilités ? (Réponse : c’est pas évident. Comme dans la vraie vie, quoi.). D’ailleurs, j’ai aimé que Rose soit une mère qui n’apprécie pas son rôle… et que ce ne soit pas écrit de façon culpabilisante. Voilà qui change !
Bref, j’ai aimé cette question de l’héritage parental : elle est parfaitement déclinée, sans empiéter sur l’intrigue plus purement fantasy. Cela vient plutôt l’appuyer, lui donner du corps, tout en proposant d’intéressantes réflexions.
Autre sujet phare : celui du monstre, qui est abordé sous deux angles. Tout d’abord, à travers la figure de Roderick, le manager du groupe, qui se trouve être un satyre – et donc à peine mieux considéré que les monstres du Wyld par un bon nombre d’aventuriers. Le thème est également présent en raison des combats dans les arènes. Souvenez-vous, dans le premier volume, les aventuriers ne partaient déjà quasiment plus à l’assaut du Wyld pour se castagner avec des monstres. Non, ils allaient tranquillement les affronter dans des arènes. Or, ici, on découvre les dessous de ces arrangements : des « monstres » sont capturés, drogués, jetés en pâture à des aventuriers bien nourris et surexcités, et tout à fait prêts à en découdre. Alors ? Qui est le véritable monstre ?

Les personnages sont vraiment bien caractérisés et développés, avec des arcs narratifs qui leur sont propres. On ne perd jamais de vue le récit principal, mais l’auteur offre plusieurs incursions vraiment passionnantes dans les histoires personnelles de chacun. (Mention spéciale pour l’histoire de Brune, d’ailleurs).
Et, point qui change radicalement par rapport au premier tome : il y a des protagonistes féminines ! Plein ! (Plus que des hommes d’ailleurs). Et elles sont hyper réussies, avec ça. Je retire donc toutes mes râleries sur ce point contre le premier opus. Alors que le cliché de la princesse en détresse était au centre de l’intrigue du premier volume, ici il est largement piétiné (Rose se bat bien assez contre cela, d’ailleurs). Et cela aussi, cela fait du bien !

Mon début de lecture ne s’est pourtant pas fait sous les meilleurs auspices. J’ai trouvé que les premiers chapitres étaient terriblement lents et quelque peu répétitifs par rapport à la situation du premier roman. Mais cela a changé assez vite – pour se conclure d’ailleurs en apothéose, pour mon plus grand plaisir. C’est avec le même sentiment que j’ai retrouvé l’hommage au rock perceptible dans le premier tome. Je trouve ça toujours aussi original !

J’avais adoré le premier tome, et ce deuxième tome vient confirmer ma première impression. J’ai été assez surprise au départ de changer de personnages, mais cela apportait un renouveau vraiment intéressant à l’intrigue, comme à l’univers. J’ai également trouvé ce tome nettement plus riche en réflexions et en émotions que le premier. Sans toutefois oublier les bastons épiques et un suspense très prenant. Bref : que du bon !
Je terminerai en disant que les deux romans sont lisibles indépendamment (en raison du changement de personnages et de l’ellipse temporelle), mais qu’il est quand même mieux d’avoir lu le premier tome si on veut profiter pleinement de celui-ci.

◊ Dans la même série : La Mort ou la gloire (1) ;

Wyld #2 : Rose de sang, Nicholas Eames. Traduit de l’anglais (Canada) par Olivier Debernard.
Bragelonne, janvier 2020, 544 p.

 

Sorcery of Thorns, Margaret Rogerson

Élisabeth, élevée au milieu des dangereux grimoires magiques d’une des Grandes Bibliothèques d’Austermeer, le sait depuis son plus jeune âge. D’ailleurs, peu de temps après le passage à la bibliothèque du sorcier Nathaniel Thorn, un des ouvrages se transforme en monstre de cuir et d’encre, semant mort et destruction. Et c’est Élisabeth qui se retrouve accusée de l’avoir libéré. Forcée de comparaître devant la justice à la capitale, elle se retrouve prise au cœur d’une conspiration vieille de plusieurs siècles.
Bien malgré elle, elle n’a d’autre choix que de se tourner vers son ennemi Nathaniel, et son mystérieux serviteur, Silas.
Car ce ne sont pas seulement les Grandes Bibliothèques qui sont en danger, mais le monde entier… et face à ce terrible complot, Élisabeth va devoir remettre en question tout ce qu’elle croyait jusqu’ici, y compris sur elle-même.

Voilà un roman jeunesse avec lequel j’ai passé un bon moment… malgré quelques défauts.

L’intrigue nous embarque dans un univers haut en couleurs, dans lequel on trouve deux instances de même importance : le collège des Magiciens, face aux Grandes Bibliothèques. Si les premiers pactisent avec des démons pour se retrouver doués de magie, les secondes, garantes de la sécurité du royaume, veillent en permanence sur les grimoires magiques et les tiennent à l’œil, les empêchant de se transformer en Maléficts (monstrueuses créatures de cuir et d’encre qui répandent mort et terreur sur leur passage). Il est donc tout naturel, dans cet univers, de croiser des bibliothécaires lourdement armés d’épées et cartouchières de fer et de sel, tant pour repousser les grimoires puissants que les démons. La classe, non ?

Élisabeth, l’héroïne, est donc une apprentie bibliothécaire, dont la vie s’arrête alors qu’elle est jugée coupable d’avoir libéré un Maléfict. L’intrigue débute donc comme un roman d’apprentissage classique (avec les aventures, si l’on peut dire, d’Élisabeth à la bibliothèque), mais prend rapidement des accents de polar, puisque la jeune fille va tenter de déterminer qui l’a ainsi mise dans la panade et ce qu’il se trame réellement.

Je dirais que le premier point d’achoppement se situe dans ces eaux-là. En effet, en quittant sa pampa natale, Élisabeth, désormais à la capitale, finit par comprendre assez tardivement – et le lecteur avec – que les sorciers ne sont peut-être pas si maléfiques qu’on le lui a fait croire – la faute à des professeurs un peu datés. Ce flou artistique donne aux premiers chapitres un côté un peu brouillon, comme si l’univers n’était pas encore bien défini.
Rapidement, un intérêt amoureux se profile et il faut reconnaître que cette partie-là de l’intrigue n’est pas franchement surprenante. Pourtant, une fois n’est pas coutume, je n’ai pas tellement plissé le nez devant les multiples étapes de cette romance, puisque j’ai trouvé qu’elle s’intégrait assez bien à l’aventure en général.

Celle-ci est rondement menée : les péripéties s’enchaînent sans qu’on ait le temps de souffler, les révélations aussi, le tout avec une bonne dose d’actions et de suspense. Mais là encore, tout n’est pas rose ! En effet, Élisabeth et Nathaniel ont (je trouve) la désagréable manie de se sortir du guêpier où ils sont fourrés en un tour de main ! C’est même à la limite du crédible. Exemple typique : après avoir été discréditée, Élisabeth aurait grand besoin de s’introduire frauduleusement à la Bibliothèque royale pour voler des documents. Par chance, une domestique vient de démissionner ! Elle obtient tout naturellement le poste et peut gambader à loisir dans la Bibliothèque – et commettre son larcin. C’est un peu trop facile !

Malgré cela, je me suis laissée emporter par le récit car l’univers mis en place m’a beaucoup plu. Évidemment, gros coup de cœur pour les bibliothèques infestées de pou de livres, abritant de dangereux grimoires prêts à vous arracher la tête quand vous passez devant. C’est sans doute une déformation professionnelle, mais j’ai adoré !

Décrocher un emploi à la Bibliothèque royale se révélé moins compliqué qu’Élisabeth l’avait cru. Par chance, une domestique avait donné son congé le matin même parce qu’un énorme pou de livres lui avait grimpé sur la jambe, et l’établissement avait besoin de trouver rapidement une remplaçante. Élisabeth démontra à l’intendant qu’elle était une parfaite candidate en soulevant le coin d’une commode de son bureau pour débusquer un pou de livres qui se cachait dessous. Elle l’écrasa même d’un coup de talon, au grand plaisir d’un jeune apprenti qui passait par là. Elle s’assit ensuite face à lui pour répondre à une série de questions telles que : à quelle vitesse pouvez-vous courir ? ou, accordez-vous une importance cruciale au fait de conserver l’ensemble de vos dix doigts ? L’intendant parut impressionné qu’Élisabeth trouve son interrogatoire tout à fait raisonnable. C’était d’ordinaire le moment, lui expliqua-t-il, où les postulants s’enfuyaient à toutes jambes.

– Mais il s’agit d’une bibliothèque, s’exclama Élisabeth avec surprise. A quoi s’attendent-ils ? A ce que les livres n’essaient pas de leur mordre les doigts ?


J’ai également aimé le système de magie, qui donne l’impression… que la magie n’existe pas, en fait. En effet, les sorciers sont obligés de connaître le nom véritable d’un démon et de passer un pacte avec lui pour être doués de magie (sans cela, ils ne peuvent rien faire). J’ai trouvé que cela changeait un peu. Et surtout, cela amène sans doute le meilleur personnage de l’histoire, en la personne de Silas, démon-domestique-attitré de Nathaniel, qui amène du piquant à l’intrigue (si on comptait sur les deux autres qui sont clairement monolithiques et quelque peu stéréotypés, c’était en effet mal barré).

Malgré quelques bémols (qui peuvent sembler rédhibitoire, et je comprends tout à fait !), j’ai passé un bon moment avec ce roman de fantasy jeunesse. L’univers inventif, l’action rondement menée et quelques petites trouvailles sympa ont suffi à me faire oublier l’intrigue parfois trop faciles et des personnages avec quelques stéréotypes. Une bonne découverte dans l’ensemble !

Sorcery of Thorns, Margaret Rogerson. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Vincent Basset.
Bragelonne (Big Bang), septembre 2020, 570 p.

La Musique du silence, Patrick Rothfuss.

Rares sont ceux qui connaissent l’existence du Sous-Monde, une toile brisée d’anciennes galeries et de pièces laissées à l’abandon qui s’étend dans les profondeurs de l’Université.
Protégée par ce labyrinthe sinueux, confortablement installée au cœur même de ces lieux désolés, vit une étrange jeune femme.
Le silence et les ténèbres semblent être ses seuls compagnons sur le chemin qu’elle se fraie dans cet univers souterrain. À moins qu’elle ne perçoive autre chose. Comme une complainte des oubliés, mêlant douceur et amertume à son existence…
Son nom est Auri. Et sa vie est peuplée de mystères.
Parmi les nombreuses rencontres de Kvothe, la plus attachante est sans nul doute celle d’Auri. Cette jeune femme, au caractère à la fois sauvage, enfantin et précieux, reste voilée de mystère. Le regard qu’elle porte sur le monde semble percevoir bien plus que celui du commun des mortels. Bientôt elle reverra Kvothe et il faudra lui offrir un présent. Il est temps de se mettre en quête.

Lorsque j’ai terminé le premier tome de Chronique du tueur de roi, je me souviens très bien avoir traversé une brève période d’intense déprime livresque, sur le mode « Jamais plus je ne lirai un livre aussi bien ». Fatalement, j’étais donc assez curieuse de tout ce que pouvait publier l’auteur dans son univers, même si l’attente du troisième tome commence à se faire bien longue… Bref, quoi de mieux, pour patienter, qu’une petite incursion dans son spin-off consacré à Auri, un personnage secondaire pour lequel j’ai eu, dès le départ, une grande affection ?

Le roman débute par un avertissement de l’auteur au lecteur dans lequel il avance deux choses : d’une part, pour un lecteur qui n’aurait pas lu Chronique du tueur de roi, il déconseille la lecture de cette novella ; d’autre part, il avertit que ce n’est pas la peine d’attendre un texte sur Kvothe, car ce n’en est pas un. Et cet avertissement n’est pas superflu !

En effet, le seul personnage que l’on suit au fil des chapitres est Auri, qui erre et vit dans le Sous-Monde, sur le territoire de l’université. Le récit se déroule entre deux rencontres avec Kvothe, sur le monde du compte à rebours. En effet, Kvothe sera présent au septième jour, et Auri tient absolument à lui offrir un présent, un objet sans pareil. Cette échéance sans cesse rappelée rythme à merveille le récit.

Celui-ci est assez particulier, aussi bien en terme de récit, qu’en terme de fantasy. En effet, Patrick Rothfuss casse tous les codes : il n’y a qu’un seul personnage, Auri. Pas de dialogue, hormis les monologues intérieurs de la jeune femme. Et il y en a ! Car Auri semble souffrir d’une compulsion, qui la pousse à arpenter sans cesse le Sous-Monde, afin de trouver à chaque objet sa juste place. Cela peut sembler étrange et, d’une certaine manière, ça l’est. Mais une fois dans le Sous-Monde, il y a une vraie logique à ce qui se déroule. En tout cas, je me suis laissée complètement embarquer par les petites marottes d’Auri.

Si vous avez suivi, il n’y a donc pas non plus d’intrigue à proprement parler : pas d’enjeux supérieurs (hormis trouver un présent pour Kvothe), pas de complot, pas de grand plan à suivre. Pourtant il y a du suspense : au fil des chapitres, je me suis surprise à me demander si Auri allait trouver ce qu’elle cherchait, et si elle allait résoudre sa quête du lieu parfait pour ses objets.
Hormis cette incessante quête, il n’y a pas non plus d’action, hormis une épique scène de fabrication de savon, durant laquelle l’alchimie – que Kvothe étudie à l’université et qu’Auri a autrefois pratiquée – est brièvement citée. Donc on ne découvre absolument pas la jeunesse ou la vie d’Auri à l’université !

Malgré tout ce qu’on pourrait envisager comme des handicaps (pas d’intrigue, pas de magie, pas d’action), j’ai trouvé le récit fascinant. D’une part parce qu’il creuse un peu l’univers déployé dans Chronique du tueur de roi. D’autre part parce que Patrick Rothfuss change complètement de style d’écriture pour cette nouvelle voix. Plus centrée sur les détails, l’importance du moment présent, la voix d’Auri est aussi nettement plus poétique. C’est ce qui fait que je me suis laissée subjuguer par ce court récit.

Celui-ci est rythmé par des illustrations de Marc Simonetti, qui donne à voir le sous-monde, mais auxquelles la version numérique ne rend absolument pas justice.

En bref, une excellente découverte. Et pourtant, on peut dire que le récit ne partait pas sous les meilleurs auspices, puisqu’il ne fait rien de ce qu’il était supposé faire. On n’apprend rien sur Auri ; il n’y a pas tellement d’intrigue, ou d’action, très peu de dialogues. Et pourtant, la novella s’avère extrêmement prenante, sans doute en raison de la poésie qui se dégage des pensées et du mode de vie d’Auri. Je ne regrette donc pas d’avoir enfin lu cette novella… et j’attends d’autant plus impatiemment le tome 3 de la série-mère !

◊ Dans le même univers : Le Nom du vent (1) ; La Peur du sage, première partie ; La Peur du sage, seconde partie ;

La Musique du silence, Patrick Rothfuss. Illustrations de Marc Simonetti.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Colette Carrière. Bragelonne, novembre 2014, 168 p.

La Mort ou la Gloire, Wyld #1, Nicholas Eames.

Clay Cooper et ses hommes étaient jadis les meilleurs des meilleurs, la bande de mercenaires la plus crainte et la plus renommée de ce côté-ci des Terres du Wyld – de véritables stars adulées de leurs fans. Pourtant leurs jours de gloire sont loin. Les redoutables guerriers se sont perdus de vue. Ils ont vieilli, se sont épaissis et ont abusé de la bouteille – pas forcément dans cet ordre, d’ailleurs.
Mais un jour, un ancien compagnon se présente à la porte de Clay et le supplie de l’aider à sauver sa fille, prisonnière d’une cité assiégée par une horde de monstres sanguinaires. Même si cela revient à se lancer dans une mission que seuls les plus braves et les plus inconscients seraient capables d’accepter. Le temps est venu de reformer le groupe… et de repartir en tournée.

Quand j’ai tourné la dernière page de ce roman (en fin d’année dernière, en majorité durant un voyage épique – de 12h…- en train), je me suis dit que cela faisait bien longtemps que je n’avais pas lu un roman de fantasy aussi déjanté, marrant et bien mené !

Premier point qui m’a éminemment plu : la bande de guerriers que l’on suit. Alors qu’on a l’habitude, en fantasy, de côtoyer des guerriers fringants, on a là affaire à une roquebande (une bande de mercenaires) de vieux croulants. La gloire de Saga est loin derrière les membres qui la composent et ceux-ci n’ont pas tous hyper bien veilli. On est donc plus dans l’ambiance arthrose et tours de rein que dans la fringance. Et ça fonctionne vraiment super bien, en plus de changer un peu des poncifs du genre.
Pourtant, c’est aussi au chapitre des personnages que se situe mon seul point de râlerie. Franchement, ça manque de personnages féminins ! Alors, pour être honnête, il y en a. Mais bouh, il y avait une réduction sur les clichés ou bien ? Hormis Jane qui tire son épingle du lot (mais n’est pas follement présente), les autres sont caricaturales à souhait : prenez les méchantes Disney et vous aurez une petite idée de ce à quoi on a affaire côté gent féminine. J’espère que le tome 2 est un peu mieux loti de ce point de vue-là …

Hormis ce point-là, je dois quand même reconnaître que je me suis bien amusée dans cette lecture. Déjà parce que le roman ressemble à un album de métal ou de hard-rock. Les bandes de mercenaires sont appelées des roquebandes, elles sont cornaquées par des managers qui leur organisent des tournées triomphales. Elles sont pourvues de bardes qui chantent leurs mérites (et meurent plus souvent qu’à leur tour) et, une fois par an, elles se retrouvent dans un immense festival, simplement appelé… La Route du Roque. C’est vraiment cet aspect qui donne à l’intrigue tout son sel. Soyons honnêtes, en dehors de cela, on est plutôt dans de la fantasy hyper classique, avec un récit très linéaire, agréablement rythmé par ce qu’il faut de scènes d’actions, de descriptions et de moments plus calmes. Rien de neuf sous le soleil, mais l’ambiance générale donne vraiment l’impression que l’auteur a su faire du neuf avec du vieux – et qu’il a fait ça bien, en plus. Il aligne moult créatures classiques comme plus originales (les druines, par exemple, des hommes aux oreilles de lapin qui, malgré cela, font preuve d’une certaine classe) et un mélange entre univers médiéval (on se bat à l’épée, on circule à cheval ou en chariot) et aspects plus novateurs (comme des vaisseaux se déplaçant avec des moteurs assez spécifiques).

« Pourquoi êtes-vous venus à Kaladar ? demanda Gabriel. Pour exhiber vos peintures faciales ? Vos nouveaux tatouages ? Vos cheveux teints ? Ou êtes-vous venus pour trouver autre chose ? Une roquebande ? Un manager ? La célébrité ? La gloire, peut-être ?
En entendant le mot « gloire », Clay eut l’impression qu’on soufflait sur les braises qui lui brûlaient le ventre. Quelle importance s’il était vieux ? S’il était fatigué ? S’il s’était rassasié plus souvent qu’à son tour en buvant au calice de la victoire et de la renommée ? Un guerrier entendant le mot « gloire » était comme un chien entendant le mot « promenade » : il se mettait aussitôt à remuer la queue.»

Il faut également noter que le rythme des péripéties est particulièrement enlevé, l’auteur n’hésitant pas à jeter ses personnages dans des situations toutes plus improbables les unes que les autres. À certains endroits, je me suis demandé si je n’étais pas en train de suivre une partie de jeu de rôle, tant j’avais l’impression d’une part, d’être remise entre les mains d’un maître du jeu machiavélique et, d’autre part, de subir des décisions prises au dé.  Mais aussi incroyable cela puisse-t-il paraître, cela fonctionne parfaitement ainsi. Le côté exagéré de certaines péripéties colle parfaitement à l’ambiance générale.

Celle-ci, malgré le tragique de la quête (les mercenaires partent quand même traverser une forêt dangereuse pour tenter d’enrayer un siège…), fait la part belle à l’humour. Les réparties cinglantes fusent et certains personnages, malgré une vraie profondeur, assurent le côté comique de l’entreprise (le sorcier Moog, pour ne citer que lui. Même s’il est tout entier accaparé par sa recherche d’un remède à une maladie dégénérative, c’est difficile de s’ennuyer avec lui).

« Admire ! Les Silk Arrows ! Comme tu peux le voir, j’ai vachement recruté. Au fait, t’as vraiment une sale gueule. Qu’est-ce qui t’est arrivé à la tronche ?
Clay haussa les épaules.
– Je suis né comme ça.
– Ta mère gardait une hache entre les jambes ? L’idée est intéressante. ça tiendrait les mecs à distance.
Barrett éclata de rire.
– Je l’aime bien, cette môme, dit-il.»

Nos personnages n’étant plus de toute première fraîcheur, ils croisent fatalement des roquebandes un peu plus gaillardes et pleines d’allant, ce qui ne manque pas d’occasionner quelques affrontements mi-bon enfant, mi-prétentieux. Évidemment, c’était mieux avant, du temps de Saga et des autres roquebandes légendaires, lorsque les mercenaires partaient la fleur à la flamberge tatanner du monstre dans le Coeur du Wyld. Les petits jeunes d’aujourd’hui se contentent d’affronter des monstres sous-alimentés dans des arènes gigantesques (dont l’entrée est évidemment payante). Sous couvert d’action trépidantes et de bastons interminables, il y a donc quelques petites réflexions qui affleurent, comme ça, et c’est bien agréable.

Bonne découverte, donc, que ce début de saga. J’ai aimé suivre des personnages vieillissants avec les aléas que cela implique (genoux qui craquent, dos qui se bloquent en plein combat), embarqués dans une quête héroïque et complètement désespérée. Malgré le classicisme de l’ensemble, l’intrigue qui ressemble à la tournée d’un groupe de hard rock, les péripéties façon jeu de rôle et l’humour bien présent rendent le tout hyper prenant. Mon seul regret tiendra aux personnages féminins que j’ai trouvés assez mauvais dans l’ensemble, l’auteur ayant manifestement privilégié l’option « méchantes Disney », ce qui est un peu dommage. Hormis cet aspect du roman, j’ai passé un très bon moment de lecture avec ce roman qui a, en outre, le bon goût de proposer une véritable fin.

Wyld #1 : La Mort ou la Gloire, Nicholas Eames. Traduit de l’anglais (Canada) par Olivier Debernard.
Bragelonne, octobre 2019, 576 p.

Point bonus : il y a une playlist créée par l’auteur pour accompagner le roman !

Red Flag, Feed #3, Mira Grant.

2041, Amérique post-zombie. La cabale secrète qui détient le pouvoir dans l’ombre se porte bien. On ne peut pas en dire autant des blogueurs qui ont osé révéler la vérité à la population. À peine sortis des griffes de leurs ennemis, Shaun Mason et son équipe sont de nouveau sur le sentier de la guerre. Le temps leur est compté, et les obstacles s’avèrent nombreux : une meute de savants fous, une administration politique corrompue et même un ours zombie. Une chose est sûre, dans l’Amérique d’après le Jour des Morts : la situation peut toujours empirer.

C’est plutôt rare que j’enchaîne les tomes de séries mais une fois n’est pas coutume, je n’ai pas fait de pause entre les deux derniers volumes de la série.
A l’issue de ce tome 3, avec lequel j’ai passé un bon moment, je dois quand même reconnaître que le premier restera dans ma mémoire comme le meilleur de la trilogie.

Attention, il y a des spoilers dans cette chronique. La conclusion est sûre !

Alors qu’un an s’était écoulé entre les deux premiers tomes, celui-ci reprend immédiatement après la fin du tome 2 (lequel finissait, en plus, sur un cliffhanger pas possible). Dans le tome précédent, je n’avais pas toujours trouvé Shaun hyper convaincant comme narrateur. Cette fois, l’autrice a choisi une narration alternée entre Georgia et Shaun, qui amène un certain suspense et fonctionne plutôt bien. Du moins jusqu’à ce que les personnages soient réunis. Car là, il y a eu à mon goût trop de scènes répétitives. Je vois bien l’intérêt de montrer de part et d’autre comment sont perçus les événements, mais répéter au mot près sans grand ajout (hormis quelques verbes d’incise) la scène lue précédemment n’est pas hyper passionnant. Pire, il y a même une scène où il ne se passe pas la même chose… Alors que l’une dit qu’un personnage tiers lui « tend les mains », l’autre narrateur parle carrément d’une chaleureuse accolade. On n’est pas exactement sur le même registre.
De fait, les répétitions m’ont un peu gênée dans ce volume. Car il y a en a également dans les explications. Or, celles-ci ne sont pas toujours très complètes – ou convaincantes – et ce n’est pas en les répétant mot pour mot que cela les rend meilleures. J’avais l’impression de retrouver ma prof de maths de seconde qui, à une demande de réexplication d’un point, répétait inlassablement les mêmes phrases. Spoiler alert : ça ne fonctionne pas dans la vraie vie, dans les livres non plus.
Par ailleurs, il faut reconnaître que les voix des personnages sont parfaitement indissociables. Ce qui fait qu’à partir de la réunion, le nom du narrateur apparaît subitement en haut des chapitres. C’est certes pratique… mais un peu artificiel – et c’est dommage.

J’ai également regretté que les personnages les plus détaillés soient Shaun et Georgia, car les personnages secondaires valent vraiment le coup. Vraiment, j’aurais adoré qu’Alaric, Maggie, Mahir et Becks (même si elle devient caricaturale sur la fin) prennent un poil plus de place dans la narration car à de nombreux moments, je les ai trouvés nettement plus passionnants que le duo de tête.

Autre point qui m’a quelque peu désappointée, c’est le tour pris par l’intrigue. J’avais adoré le premier tome, dont l’intrigue était très politique. Cet aspect était clairement estompé dans le deuxième et là… il est pour ainsi dire absent. Plus l’on avance dans la trilogie, plus l’on tourne vers une conspiration mondiale orchestrée par de mauvaises personnes, pour de mauvaises raisons, et que nos personnages vont tâcher de faire tomber. Or, ce n’est pas follement réaliste. Certes, le CCPM maîtrise le clonage. Autant je vois l’utilité de dépenser des mille et des cents pour cloner la Première Dame et faire ainsi pression sur le Président, autant cloner une blogueuse, certes renommée, j’ai un peu plus de mal à adhérer. Georgia est-elle si influente que cela ? On lit certes des extraits des blogs de toute l’équipe, mais le fait que la narration se fasse en première personne, par les protagonistes eux-mêmes, nous empêche de savoir ce qu’en pense leurs lecteurs et donc de se faire une idée de la réelle influence du personnage. D’où une certaine circonspection de ma part quant au plan hautement machiavélique du CCPM.

« Vous vous souvenez de ce que j’ai dit à propos des moustiques ?
– Quelle partie ? demanda Maggie. La partie qui fait peur, celle qui fait très peur, la partie proprement terrifiante, ou celle qui donne envie de se suicider en se disant qu’après tout c’est une chouette idée pour passer la soirée ? »

Malgré tout cela, j’ai quand même passé un très bon moment de lecture, car il faut reconnaître à l’autrice une plume entraînante et un bon dosage entre les rebondissements. C’est assez difficile de s’ennuyer, car les péripéties s’enchaînent à bon train. Le style est hyper fluide, ce qui fait que j’ai enchaîné les chapitres sans barguigner. Pour mon plus grand plaisir, il y a un peu plus de combats contre des zombies que dans le volume précédent, ce qui induit des scènes très rythmées. Comme dans les aventures précédentes, il y a de l’humour, un brin de cynisme et des réparties cinglantes qui portent le récit.
Pour l’anecdote, j’ai quand même halluciné devant les quantités industrielles de Coca qu’ils ingurgitent au fil des chapitres (une cannette minimum par chapitre quand même). À leur place, plus que les zombies, je pense que je craindrais plus l’hyperglycémie et les dommages sur les organes internes…

Des trois tomes, ce sera donc celui que j’ai le moins aimé, essentiellement à cause de la transformation de l’intrigue, très politique et réfléchie du départ, à une sorte de récit block-buster qui ne nécessite pas vraiment de s’interroger sur les conséquences de ce qu’il se passe. Néanmoins, le rythme reste très prenant, ce qui rend le récit palpitant et permet d’oublier que l’intrigue est nettement moins bien construite que dans le début de la série. Malgré tout, c’est quand même une série que je recommande, d’une part parce que c’est fun, d’autre part parce que, vraiment, le début est génialissime et vaut le coup d’être lu !

◊ Dans la même série : Feed (1) ; Deadline (2).

Feed #3 : Red Flag, Mira Grant. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Benoît Domis.
Bragelonne, janvier 2014, 501 p.

Deadline, Feed #2, Mira Grant.

Shaun Mason est un homme à la dérive. Même le site d’information qu’il a construit avec sa sœur Georgia n’exerce plus le même attrait. Et jouer avec les morts-vivants ne semble tout simplement plus aussi amusant quand on a tant perdu.
Mais quand une chercheuse du CCPM simule sa propre mort et apparaît sur le pas de sa porte avec une horde de zombies affamés sur les talons, Shaun est soulagé de trouver un nouveau but à sa vie. Parce qu’elle apporte des nouvelles : le monstre qui est responsable de la mort de Georgia a peut-être été détruit, mais le complot est loin d’être enterré.
Shaun est bien décidé à découvrir la vérité, au bout d’un fusil s’il le faut.

Attention, cette chronique contient des spoilers sur le tome 1.

J’avais eu un énorme coup de coeur en lisant le premier volet de cette trilogie, Feed (et qui pouvait se lire indépendamment du reste. L’inverse n’est pas vrai). J’avais bien envie d’une petite histoire de zombies, donc je me suis dit qu’il était temps de lire la suite de cette trilogie. Même si au cours de ma lecture, je me suis plusieurs fois interrogée sur le choix judicieux de lire un roman de zombies… en pleine pandémie, tant les réflexions sur la santé (catastrophique) du milieu hospitalier entraient en résonance avec la réalité.

Le Jour des Morts a anéanti la communauté médicale. Les médecins et infirmières qui se trouvaient en première ligne ont subi l’infection de plein fouet, plongeant les hôpitaux du monde entier dans une grave situation de sous-effectif, même après que les premières batailles contre les zombies ont été livrées et, en théorie, gagnées. Je dis « en théorie », parce que j’ai du mal à considérer comme une victoire un conflit ayant fait autant de victimes.

Je me souvenais particulièrement bien de la fin (insoutenable !) du premier tome, ce qui m’a grandement aidée dans cette reprise. Cette fois, le narrateur est Shaun. Mais pas le Shaun baroudeur et tête brûlée que l’on a rencontrée dans le tome précédent. Shaun est au bout du rouleau, a quitté les irwins pour prendre la direction du site et… parle à sa sœur morte (l’année précédente) à longueur de journée. Heureusement, il ne faut pas longtemps pour qu’un complot mondial lui tombe dessus, ce qui lui redonne un peau de baume au coeur.
D’un strict point de vue narratif, j’avais préféré Georgia ; Shaun est moins convaincant, d’une part parce que ses sautes de génies viennent souvent de son dialogue intérieur avec sa sœur (ce qui n’est pas toujours très crédible), d’autre part parce que…. eh bien parce qu’il me sortait par les trous de nez avec sa violence permanente. Je pense qu’à la place de ses collègues, le holster m’aurait quelque peu démangée !

Le récit est d’ailleurs centré autour de quelques personnages, parmi lesquels beaucoup de rédacteurs et rédactrices du site – dont je ne me souviens pas vraiment s’ils étaient présents au tome 1. L’étaient-ils ? Dans la mesure où c’est toujours Shaun qui parle (et qu’il est handicapé des relations sociales), les portraits de ses collègues sont assez vite brossés, souvent en s’appuyant sur leurs fonctions au sein du site (rédacteurs, irwins ou bardes). C’est au début un peu schématique, mais cela s’améliore au fil des pages – et j’espère recroiser certaines têtes dans le tome 3. L’autrice réintroduit également des personnages secondaires croisés ou évoqués dans le tome 1, comme les Dr Joseph Wynne et Kelly Connolly du CCPM (l’institut qui chapeaute toutes les histoires de zombies), plus adaptés au monde médical et scientifique qui prend ici toute la place.

L’intrigue est donc assez logiquement dans la droite lignée de la précédente – sauf que, cette fois, on sait bien plus vite qu’il se trame des choses très louches. Toutefois, on quitte la sphère politique pour la sphère purement scientifique, puisqu’il est essentiellement question des recherches qui sont menées (ou, justement, ne le sont pas) sur le virus Kellis-Amberlee. Si on retrouve le mélange entre enquête et rebondissements à base de zombies, j’ai trouvé ceux-ci nettement moins présents que dans le premier opus. Les confrontations sont rares et brèves, ce qui induit un peu moins de suspense. Malgré tout, le rythme est présent, car si les rencontres sont moins présentes, elles ne sont pas moins stressantes. Et puis il faut dire que le complot, même quand on commence vaguement à le discerner, est un brin stressant aussi.

– Pourquoi est-ce que les trous du cul dans votre genre se sentent toujours obligés de balancer leurs plans diaboliques aux médias avant de nous éliminer ? demanda Becks. (Elle semblait d’un calme olympien. Je n’avais jamais été aussi fier d’elle.) C’est une exigence de votre syndicat, ou quoi ?

L’autre point qui m’a un peu gênée, c’est que j’ai trouvé l’intrigue parfois un brin confuse. Ainsi, les personnages ont des raisonnements logiques… dont la logique m’a parfois échappé (exemple type : aller directement chez les bad guys, en se présentant poliment à l’entrée, pour enquêter sous leur nez). Dans le même ordre d’idées, ils arrivent parfois à des conclusions alors que j’avais l’impression que le raisonnement n’avait pas encore démarré. Cela reste globalement à la marge, mais cela m’a donné l’impression que le tome était un poil moins efficace que le précédent. Heureusement, l’ensemble est plutôt bien mené et l’idée du complot bien trouvée. De plus, la dernière partie retrouve l’allant qu’il y avait dans le tome 1 en nous offrant rebondissements incroyables, retournements de situations improbables (mais bien amenés) et une tension très appréciable. Le roman met du temps à démarrer, mais quelle fin ! Car l’autrice a de nouveau ménagé un (double !) cliffhanger incroyable – et je suis ravie d’avoir déjà le tome 3 sous la main. Ce n’est pas possible de rester sur une telle conclusion !!

Départ mitigé donc, mais une fin à la hauteur de mes attentes. Si j’ai regretté que l’intrigue quitte la sphère politique pour les sciences et la médecine, l’autrice a su rendre l’ensemble intéressant, malgré un cheminement parfois un peu confus. Heureusement, la dernière partie, qui retrouve le niveau d’efficacité du tome 1, s’avère particulièrement palpitante. D’autant qu’elle conclut de nouveau sur un retournement de situation qui laisse sur des charbons ardents !

◊ Dans la même série : Feed (1) ;

Feed #2 : Deadline, Mira Grant. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Benoît Domis.
Bragelonne, 2013, 498 p.