[2021] Petit bilan d’octobre

Octobre aura été un petit mois de lecture : seulement 4 romans, quelques albums jeunesse et une bande-dessinée. Pas la meilleure pioche de l’année !

Carnet de lectures

Rayon bulles

J’ai lu, en fin de mois, le tome 1 de l’adaptation en BD de Dune, faite par Brian Herbert et Kevin J. Anderson (le duo d’auteurs qui a repris la série suite au décès de Frank Herbert), illustrée par Raúl Allén et Patricia Martín (éditée par Huginn & Munnin).
Je n’ai toujours pas lu le roman (ça va venir), mais j’avais envie, après être allée au cinéma, de continuer ma découverte de cette œuvre.
Assez bizarrement, je me suis sentie plus démunie face à la BD que face au film. En fait, heureusement que j’ai découvert la BD en second, car le visionnage du film m’a apporté pas mal de clefs de compréhension pour ma lecture ! La BD est sans doute une très bonne adaptation, mais j’ai l’impression qu’elle s’adresse plus à un public de connaisseurs qu’à des néophytes.
Les graphismes sont sympa, mais beaucoup plus froids et sévères que la très belle couverture (puisque les illustrateurs de l’intérieur n’ont pas réalisé la couv’, comme souvent en comics).

Rayon romans :

J’ai profité d’un week-end hyper ensoleillé pour engloutir Lullaby, de Cécile Guillot (édité au Chat noir). L’histoire se déroule aux États-Unis, dans les années 20. Hazel aime écrire des histoires horrifiques, rêve de devenir écrivaine et soupire après sa jolie voisine, Blanche. Rien qui soit du goût de ses parents qui, lorsqu’ils découvrent ses penchants et aspirations, la font tout simplement internet à Montrose Asylum. Là, Hazel rencontre la fougueuse Jo et la fragile Lulla qui, comme elle, entendent une mystérieuse berceuse s’élever la nuit, dans les couloirs déserts. Une berceuse qui les emmène dans un jardin abandonné, au milieu de la bâtisse…
Le récit, très court, nous plonge immédiatement dans un début de XXe siècle incroyablement puritain, qui ne laisse aucune chance à Hazel d’assouvir ses passions (aucune d’entre elles, d’ailleurs). Hazel narre ses déboires (puisqu’elle n’a plus le droit d’écrire), ce qui donne une vision directe de ce qui se déroule au sein de l’asile (et c’est effrayant). Si le style est hyper fluide, j’ai pourtant eu du mal à ressentir l’horreur et l’angoisse que devraient susciter l’asile et les horreurs qui s’y déroulent, sans doute parce que le récit est assez descriptif (et laisse donc peu de place aux suggestions). De même, le fait d’être directement dans la tête d’Hazel, qui analyse en permanence ce qu’elle traverse, ne m’a pas permis de ressentir ses doutes et ses angoisses, ce qui fait que j’ai eu du mal à m’impliquer dans le récit. Malgré cela, j’ai apprécié les nombreuses incises de poèmes de Renée Vivien, qui m’ont bien donné envie de lire son œuvre !

Côté ciné :

Eh bien on prend les mêmes et on recommence, ai-je envie de dire ! Je suis donc allée voir Dune, de Denis Villeneuve.
Normalement, j’aime bien avoir lu d’abord les romans adaptés au cinéma mais bon, vu que j’ai bien procrastiné sur cette lecture, j’ai fait l’inverse. Je n’allais pas manquer la possibilité de voir Dune sur grand écran ! (Parce que je trouve que les films de SF, ça s’apprécie mieux sur grand écran).
Et donc, que dire ? Eh bien j’ai adoré. A tel point qu’en sortant j’avais envie de retourner au ciné pour un second visionnage dans la foulée !
Déjà, j’ai trouvé que le film situait vraiment bien les enjeux de l’univers, les différentes factions en présence, et les trajectoires des personnages. Sans avoir lu le roman, j’ai quand même suivi, sans me sentir perdue et c’était hyper confortable. (En même temps, j’avais conscience des raccourcis, donc ça m’a donné encore plus envie de le lire).
La photographie est superbe. Les images du désert sont absolument incroyables et les décors, les costumes et les différentes prises de vue contribuent à créer une immersion parfaite. Avec ça, j’ai trouvé le jeu d’acteurs très convaincant. Du coup… je n’ai pas vu passer les 2h30 ! J’ai donc hâte (et espoir !!) de voir la partie 2 du film !

Tops/Flops

Ce mois-ci, je n’ai pas été hyper convaincue par Lullaby, cité ci-dessus ni par Time Salvager, de Wesley Chu, qui démarrait pourtant plutôt bien. On y suit un Chronman, un agent temporel, chargé (dans la Terre post-apocalyptique) d’aller piller le passé afin de récupérer des ressources énergétiques vitales pour la population de son époque. Le postulat est intéressant, mais les personnages ne sont pas assez creusés, ni les enjeux des voyages temporels : passée une très bonne première partie, le roman reste plutôt côté divertissement. Donc c’est très sympa… mais il m’a vraiment manqué quelque chose !

Côté très bonnes découvertes, en revanche, il y a eu le troisième tome du Cycle de Syffe, j’ai nommé Les Chiens et la Charrue de Patrick K. Dewdney (Au Diable Vauvert). J’étais ravie de retrouver Syffe (surtout après avoir enchaîné les deux premiers tomes). Comme dans les opus précédents, celui-ci est coupé en différentes parties, correspondant aux étapes du parcours de Syffe. Celui-ci passe encore une fois par un tas d’épreuves, qui rendent le récit particulièrement palpitant. L’aspect politique est encore plus prégnant ici que dans les tomes précédents, ce qui rajoute encore au suspense du récit. Bref : que du bonheur. J’attends la suite avec grande impatience !

Citations

« Travailler. Tu n’y penses pas. Pourquoi travailler alors qu’un mari peut subvenir à tous tes besoins ? »
Lullaby, Cécile Guillot.

« Le Chronocentre avait diligenté une étude quelques années plus tôt sur ce taux de suicide élevé parmi ses agents. Les chercheurs avaient émis l’hypothèse que l’excès de voyages temporels provoquait des lésions au cerveau. James aurait pu leur épargner cette perte de temps et d’énergie en leur expliquant la vrai raison du problème : c’était un boulot de merde. »
Time Salvager, Wesley Chu.

« J’ai le sentiment que toutes les époques avant la nôtre étaient meilleures. On ne fait que lécher les miettes de la civilisation. »
Time Salvager, Wesley Chu.

« Alex fait la grimace.
– Ne dis rien à maman, s’il te plaît !
– C’est une blague, j’espère ? rugit son interlocutrice. Tu te farcis l’air de rien un putain de dignitaire étranger – qui, au passage, est tout de même un homme – pendant le plus gros événement avant l’élection, dans un hôtel bourré à ras bord de journalistes, dans une ville truffée de caméras, alors que le scrutin est tellement serré que son résultat pourrait littéralement basculer à cause d’une connerie de ce genre, c’est juste la réalisation d’un de mes pires cauchemars, et tu me demandes en plus de mentir à la présidente ? »
My Dear Fuck*** Prince, Casey McQuinston.

L’Enfant de poussière, Patrick K. Dewdney.

La mort du roi et l’éclatement politique qui s’ensuit plongent les primeautés de Brune dans le chaos. Orphelin des rues qui ignore tout de ses origines, Syffe grandit à Corne-Brune, une ville isolée sur la frontière sauvage. Là, il survit librement de rapines et de corvées, jusqu’au jour où il est contraint d’entrer au service du seigneur local. Tour à tour serviteur, espion, apprenti d’un maître-chirurgien, son existence bascule lorsqu’il se voit accusé d’un meurtre. En fuite, il épouse le destin rude d’un enfant-soldat.

Vraiment, il est temps que je vous parle de ce bouquin, lu au mois de mai 2018 (groumpf)… et relu cet été (oui, même avec des super notes, ça faisait un peu loin pour la chronique, comme pour enchaîner avec la suite). Surtout que  maintenant, vous avez dû en entendre parler à peu près partout et pas seulement parce qu’il  a été multiprimé – Julia Verlanger 2018, Grand Prix de l’Imaginaire 2019, Pépite à Montreuil, sélections aux Prix Imaginales, excusez du peu. Bref, mieux vaut tard que jamais, L’Enfant de poussière !

Les premières pages nous plongent dans un univers de fantasy rude et sombre – sans doute car il est vu par les yeux d’un orphelin des rues, en plus issu d’une peuplade nomade, clairement méprisée par les villageois brunois.
L’intrigue déroule un roman d’apprentissage découpé en plusieurs grandes parties, chacune dominée par un maître qui prend Syffe en charge, du première-lame Hesse au guerrier-var Uldrick, en passant par le primat Barde Vollonge et le chirurgien Nahir (dont certains font vraiment figure de père de substitution). Chaque apprentissage occasionne son lot de découvertes et d’épreuves qui, peu à peu, forgent le caractère de Syffre. Cela pourrait sembler classique mais j’ai plutôt eu l’impression d’être dans un anti-roman d’apprentissage tant le destin s’abat chaque fois plus violemment sur Syffe, qui semble ne jamais pouvoir en être le maître ! C’est peut-être aussi ce qui donne au récit ces allures de dark fantasy : entre autres calamités, il doit passer outre plusieurs enlèvements,  passages à tabac, mutilations et autres complots visant à le faire pendre. À tout juste sept ans !

En effet, le récit débute alors que le protagoniste est très jeune (et il ne doit pas avoir plus de 12 ou 13 ans à la fin du premier tome). Mais le récit est fait, a posteriori, par le personnage plus âgé, ce qui induit deux décalages que j’ai trouvés vraiment intéressants. D’une part, un décalage de langage. Je me souviens très bien, à ma première lecture, d’avoir relu les premières pages en me demandant si j’avais bien suivi : en effet, le niveau de langue semble un peu élevé par rapport à l’âge du personnage.
Le second décalage tient à la politique : dès le début, on sait que le roi meurt, mais cela a peu d’incidence (du moins cela semble ne pas en avoir) sur la vie des protagonistes. En fait, Syffe est trop jeune, à l’époque, pour comprendre en quoi cette mort lointaine a quoi que ce soit à voir avec lui. Comme il nous raconte l’histoire avec ses souvenirs de l’époque, avec assez peu d’interventions de son présent, on a l’impression que toute la partie politique se déroule complètement en arrière-plan, sans que l’on en voit réellement les rouages. En fait, on en distingue plutôt les conséquences et c’est tout aussi prenant, d’autant qu’on a souvent l’impression que cela aura un impact fort sur la suite.

Le récit se déroule sur un rythme assez lent. L’intrigue prend tout son temps pour se développer et cela colle vraiment bien à sa richesse et à sa densité. D’ailleurs, l’auteur maîtrise à la perfection le rythme du récit, et sait étirer le temps ou l’introspection lorsque le suspense est nécessaire. Il en sort des scènes extrêmement détaillées et une savante façon de laisser monter la tension (avec une mention spéciale pour les scènes de procès, qui m’ont fait dresser les cheveux sur la tête aux deux lectures, tant j’en appréhendais la fin annoncée !). Ce luxe de détails permet aussi d’introduire toutes les spécificités de l’univers : magie, théologie, spiritualités, philosophie. C’est vraiment riche et dense ! De fait, l’apparente lenteur du récit se nourrit de toutes ces précisions. Du coup, difficile de s’ennuyer durant cette lecture, tant tout est bien amené et construit !

« La clairière obscure avait été envahie par un vol de lucioles. Elles virevoltaient en silence, des milliers de lueurs minuscules qui tournoyaient autour du chêne central, comme une procession de bougies féeriques.
Parfois, il y avait un bruissement furtif, un chasseur ailé piquait dans la clairière, une luciole s’éteignait brusquement, et autour, cela faisait comme une vague lumineuse, comme les rides sur l’eau lorsqu’il pleut. Fasciné par le spectacle phosphorescent, j’en oubliai quelque temps les bleus et l’épuisement.  » J’ai toujours aimé les bois de Vaux pour ça », fit Uldrick doucement. « A chaque fois, c’est quand tu commences à ne plus la supporter que cette forêt se rachète pour la lune qui vient. Comme si elle avait besoin qu’on l’aime. » J’acquiesçai, la bouche entrouverte, envoûté par la danse lumineuse.  » On dirait des fées « , fis-je.  » On dirait que c’est la nuit qui… qui ondule.  » Uldrick me lança un regard étrange par-dessus le feu. « C’est vrai « , fit-il.  » On dirait que la nuit ondule. »

Il faut aussi dire que la plume de Patrick K. Dewdney, ciselée, envoûtante, souvent poétique, rend la lecture aussi fluide que prenante. Les passages dédiés à la nature ou à la philosophie alternent avec des scènes d’une grande intensité qui m’ont parfaitement ferrée. La lecture coule d’elle-même et on se retrouve à avaler les 600 pages sans s’en apercevoir.

En bref, L’Enfant de poussière est un excellent tome d’introduction qui réussit à accorder autant d’importance aux personnages, qu’à l’univers et à l’intrigue : chaque élément est creusé, nuancé, d’une riche complexité. Portée par la plume envoûtante de l’auteur, j’ai littéralement dévoré le roman et suis très curieuse de lire les six tomes suivants !

Le Cycle de Syffe #1 : L’Enfant de poussière, Patrick K. Dewdney. Au Diable Vauvert, mai 2018, 624 p.