Les huit coups de l’horloge, Maurice Leblanc

Une fois n’est pas coutume, Les huit coups de l’horloge n’est pas un roman, mais bien un recueil de nouvelles, mettant en scène le célébrissime gentleman-cambrioleur.

Au sommet de la tour :
Cette nouvelle liminaire est aussi celle qui connaît la plus longue exposition (puisqu’elle va servir à installer les personnages phares du recueil).
On y rencontre donc le Prince Rénine (qu’on imagine être Arsène Lupin, dont le titre Prince Sernine est un pseudonyme connu !) et Hortense Daniel. C’est justement elle qui est au centre du récit, puisqu’elle cherche à s’enfuir avec un homme (qu’elle n’aime pas) pour échapper à l’emprise de sa belle-famille.
Le récit est court mais fournit une aventure complète et assez trépidante, avec juste ce qu’il faut de mystère et de résolution d’énigmes insolubles par Lupin.
Même si le titre de la nouvelle ne l’indique pas, c’est elle qui donne son titre au recueil, puisqu’à l’issue, il est convenu qu’Hortense et Rénine vivront sept aventures de plus, en hommage aux huit coups de l’horloge qui ont permis de résoudra la première affaire. Ce qui est très malin, vu que ça va nous dispenser d’exposition des personnages dans les sept nouvelles suivantes !

La carafe d’eau :
On a là une affaire bien emberlificotée et pleine de tension, un homme risquant d’être décapité en fin de compte ! On n’est pas en huis-clos mais presque, puisque l’affaire se déroule essentiellement dans un bâtiment au rez-de-chaussée duquel se trouve un restaurant.
On retrouve le talent d’Arsène Lupin pour les combats psychologiques entre lui et les personnes qu’il a dans le collimateur. Hortense est plus spectatrice qu’actrice dans cet opus.
Comme souvent dans ses aventures, Arsène Lupin se paie le luxe d’appeler la Sûreté pour qu’elle soit témoin de sa résolution de l’affaire (ça fait partie de son petit côté cabotin que j’apprécie). Là encore, la machination était bien ficelée et, contrairement à la première nouvelle, elle sera démontée à temps !

Thérèse et Germaine :
On quitte Paris pour Étretat (on retourne aux sources) et les premières lignes mentionnent nommément Arsène Lupin – Hortense et Rénine discutant de l’Aiguille Creuse. Le mystère est bien présent, puisque Rénine ambitionne d’empêcher un meurtre, dont il connaît le lieu et l’heure. Finalement, un autre meurtre est commis et c’est celui qu’il va tâcher de résoudre.
Comme dans le texte précédent, la tension réside essentiellement dans le combat psychologique qu’il livre contre ses adversaires. Le rythme est donc soutenu, bien qu’il n’y ait pas d’action – et Hortense est de nouveau complètement spectatrice.

Le film révélateur :
Nouvelle ambiance ! Rénine et Hortense, au cinéma, regardent évoluer la demi-sœur d’Hortense avec qui elle n’a plus de contact. Or, Arsène Lupin est certain que son partenaire à l’écran est un dangereux psychopathe, ce que semble confirmer la disparition soudaine de la jeune actrice.
J’ai trouvé cette nouvelle particulièrement moins prenante que les autres : c’est confus, et on ne s’interroge pas sur les délires de Lupin (qui, pour une fois, fait totalement fausse route). De plus, je dois dire que j’ai commencé à trouver le cliché de la damoiselle en détresse assez lassant à la longue (car oui, Hortense s’évanouit encore et c’est agaçant) !

Le cas de Jean-Louis :
Où l’on résout l’affaire d’un jeune homme qui a deux mères, car à la naissance simultanée de deux bambins, suivie immédiatement de la mort de l’un d’eux, on n’a plus su déterminer qui était la mère légitime.
Celle-ci, je l’ai trouvée à la fois rigolote (le point de départ est quand même salé) et à l’image du Lupin qui manipule son entourage en mode « la fin justifie les moyens », donc avec un aspect assez affreux (je vous laisse découvrir sa manigance). Le temps est assez resserré, donc pas le temps de souffler dans cette contre-enquête vraiment originale.

La dame à la hache :
Une sombre affaire de tueur en série qui enlève puis découpe des dames à la hache. Glauque, non ?
Si on passe sur le syndrome de la princesse à sauver (et oui, ENCORE cette pauvre Hortense), cette nouvelle-ci était assez plaisante. Je lui ai retrouvé le rythme hyper prenant de 813, par exemple, puisqu’ici aussi il y a une notion de compte à rebours qui rend tout très palpitant. De plus, Lupin est dans le noir, et ça change un peu des autres textes. Cela m’a réconciliée avec un recueil que je commençais à trouver un brin lassant !

Des pas sur la neige :
Cette fois, Hortense, en convalescence à la campagne, raconte par lettre une scène à laquelle elle a assisté et qui va titiller l’imagination de Rénine. Une seule chose à dire : le père, le fils, la bru, l’amant potentiel et une situation explosive au bout.
De nouveau, on renoue avec l’enquête ardue : tous les indices sont là, les témoins clés aussi, l’affaire est donc dans le sac ou presque, lorsque Lupin fait irruption dans l’enquête pour proposer une vue de côté… pas inintéressante ! J’étais de nouveau dans mon élément dans cette nouvelle, avec moult détails qui ne sautent pas aux yeux, une interprétation en apparence farfelue, mais logique, des faits et une résolution à l’avenant. Dois-je signaler qu’Hortense fait surtout potiche ? Non, je suis sûre que vous aviez deviné !

« Au dieu Mercure » :
Dernière nouvelle et qui offre deux histoires en une. De fait, au début des aventures, Hortense a mis Rénine au défit de lui retrouver une agrafe de corsage en cornaline qui avait disparu des années plus tôt. Ce à quoi il va s’employant, tout en essayant à toutes forces de faire succomber la jeune femme à son charme – en effet, au terme des sept aventures et des huit coups de l’horloge, il était entendu qu’il se passerait quelque chose.
La machination est, encore une fois, bien ficelée. Mais la conclusion ne m’a pas follement satisfaite car, si Hortense finit par succomber (après moult signes de faiblesse en cours de route, on ne change pas une équipe qui gagne), j’ai trouvé que c’était vraiment hyper rapide et mal amené (cela fait plusieurs nouvelles qu’elle lui dit assez clairement d’aller voir, quand même). Alors oui, ça colle à l’ambiance habituelle des Lupin mais cette fois-ci, je ne ressors pas totalement convaincue.


Cela faisait un moment que je n’avais plus lu de « nouvel » Arsène Lupin (même si je suis sûre qu’il m’en reste certains que je n’ai pas encore lus !), aussi étais-je très contente d’enfin lire ce recueil de nouvelles. Et si j’ai passé une agréable lecture dans l’ensemble, je dois avouer que ce n’est clairement pas mon titre préféré. Les nouvelles sont intéressantes et souvent originales, avec des plans machiavéliques bien troussés. Mais parfois on passe un peu vite sur les détails ou développements (format nouvelle oblige) et au bout de trois-quatre répétitions, le syndrome de la faible femme en détresse a commencé à me taper sur les nerfs (je sais que c’est l’époque, tout ça, mais au bout d’un moment : trop, c’est trop). Quoi qu’il en soit, j’ai retrouvé ce que j’apprécie dans les aventures du personnage : le verbe haut, une confiance excessive en soi, des batailles psychologiques acharnées, des raisonnements tortueux mais brillants et des récits bien tournés.

Les huit coups de l’horloge, Maurice Leblanc. Le Livre de Poche, 1966, 315 p.

Le second visage d’Arsène Lupin, Boileau-Narcejac.


Arsène Lupin a légué au Musée du Louvre les trésors de l’Aiguille creuse et a tiré sa révérence. Finis les cambriolages effectués d’une main de maître, les évasions pleines de panache, les billets d’excuse adressées aux victimes… La Griffe a pris le relais et ne fait pas de quartiers : cambriolages avec effraction, enlèvements, brutalité, et meurtres. Arsène Lupin ne peut pas laisser cet individu entacher la profession et semer la terreur. D’autant plus que La Griffe le défie avec insolence. Lupin doit contre-attaquer. Il est certes cambrioleur, mais gentleman avant tout !

En 2019 (je pensais pourtant que c’était l’an dernier !!), j’ai lu avec un immense plaisir La Poudrière, deuxième épisode (sur cinq) du pastiche d’Arsène Lupin écrit par le duo Boileau-Narcejac. Comme j’ai passé un excellent moment, je me suis offert la suite (on verra plus tard pour le tome 1, donc !), avec Le second visage d’Arsène Lupin.

Avant même de commencer, j’étais hyper emballée (déjà par la perspective d’un nouveau pastiche), mais aussi parce que mes deux titres préférés de la série originelle (La double vie d’Arsène Lupin et La femme aux deux sourires) comportent l’idée de dualité dans leur titre. Je me suis donc dit que c’était de bon augure !

Comme dans La Poudrière, Arsène Lupin va endosser son costume d’enquêteur, plutôt que celui de cambrioleur, même si sa vraie nature ne va pas tarder à revenir sur le premier plan de la scène. Car en effet, un autre cambrioleur de génie ose le défier et s’en prendre directement à sa réputation ! Cela mérite de sortir de sa retraite !

L’intrigue se déroule en fait juste après L’Aiguille creuse. Au vu de la fin, Arsène Lupin est tout simplement en train de cuver sa dépression et a complètement raccroché les gants. J’ai trouvé vraiment intéressant que les auteurs se glissent dans les interstices de la chronologie du personnage, et qu’ils exploitent les éléments des romans d’origine. Là, on est face à un Lupin au fond du seau, plus torturé que jamais et, comme dans le tome précédent, parfaitement écrit. Contrairement au tome précédent, il est aussi assez seul : son organisation a été dissoute et il se retrouve quasiment sans appui. Or, dès qu’il se lance dans la bagarre, cela peut jouer en sa défaveur… ce qui ajoute grandement au suspense général de l’intrigue.

Celle-ci reprend les codes que j’apprécie dans les Arsène Lupin : des opposants déterminés, des faux-semblants, des machinations menées de main de maître et des déguisements, beaucoup de déguisements ! D’ailleurs, il y a un côté très amusant quand on songe à la Griffe, qui se grime en Arsène, ce qui fait un peu pastiche dans le pastiche. Donc on est dans un vrai (ou presque !) Arsène Lupin, avec ce que cela comporte de moments de tension, mais avec en plus un petit côté comédie parodique bien agréable.
Comme je le disais un peu plus haut, l’intrigue est particulièrement prenante. J’avais deviné l’identité de l’opposant avant la fin (je pense que j’ai lu trop d’Arsène Lupin, maintenant, cela joue en ma défaveur), mais j’ai quand même passé un excellent moment de lecture avec ce titre. Je suis même carrément déçue de savoir qu’il ne m’en reste plus que trois à lire !

Encore une excellente pioche donc, dans la série de pastiche commise par le duo Boileau-Narcejac. Le style est impeccable et, s’ils se sont parfaitement approprié l’œuvre originelle, ils proposent une intrigue complètement originale, mais aussi particulièrement prenante, qui m’a tenue en haleine (et ce malgré le fait que j’aie deviné la fin). Je suis donc très, très curieuse de lire les trois tomes de la série qu’il me reste à découvrir !

Arsène Lupin : le second visage d’Arsène Lupin, Boileau-Narcejac.
Éditions du Masque, réédition 2013, 217 p.

L’île aux trente cercueils, Maurice Leblanc.

Autour de l’île de Sarek en Bretagne, cette île mystérieuse qui terrifie la population du continent, se trouvent trente cercueils. La légende dit que trente personnes doivent mourir sur l’île, dont quatre femmes en croix.
C’est dans cette ambiance que Véronique d’Hergemont, venue chercher son fils après quatorze ans d’absence, a la désagréable surprise de voir ses initiales sur les bornes, sur les portes des chapelles et son visage sur un dessin de femme crucifiée !… et quel rapport avec la légende de la « Pierre-Dieu qui donne mort ou vie » ?

J’ai lu ce roman quand j’étais à la fac (ou à la fin du lycée, je ne sais plus) et j’en ai gardé l’impression d’un roman assez angoissant !
L’heure fatidique des tâches administratives fastidieuses ayant sonné, j’ai décidé de le relire, sous forme de livre audio. Et ce format était un excellent choix !

La version audio est lue par Philippe Colin, qui accompagne merveilleusement ce texte : la narration est excellente et les voix très bien interprétées (mêmes les femmes). La piste audio est, en plus, truffée d’effets sonores du plus bel effet : bruits de rames ou de cordages aux moments adéquats, ou effets musicaux qui viennent souligner la tension du récit (voire me faire sursauter alors que je fermais seule la bibliothèque un soir !).

L’intrigue est hyper mystérieuse. Je crois que c’est le tome le plus mystérieux et étrange d’Arsène Lupin que j’aie lu. Le récit joue vraiment sur l’ambiance sombre, un peu glauque, voire légèrement fantastique. En effet, la mort des habitants de l’île, les 30 cercueils, les quatre femmes en croix… Tout est surplombé par une très ancienne prophétie à laquelle croit toute la région. A tout cela s’ajoute la sombre histoire de Véronique d’Hergemont, la protagoniste du roman : enlevée alors qu’elle était jeune, elle finit par épouser son ravisseur, avec qui elle a un enfant (Leblanc n’est pas très clair là-dessus, mais ça n’a pas l’air particulièrement consenti…). Or le bébé est enlevé à son tour par le grand-père et tous deux périssent en mer. Et la même Véronique voit son monogramme et sa signature de jeune fille absolument partout depuis son arrivée en Bretagne, qui forment un macabre jeu de piste (elle trouve quand même un cadavre en suivant la piste, même si celui disparaît par la suite).

L’arrivée sur l’île m’a vraiment fait penser à Ils étaient dix d’Agatha Christie, surtout dans la partie où on a vraiment le décompte des survivants, alors que les personnages sont abattus les uns après les autres sans qu’on s’explique vraiment comment.
Je dois quand même avouer qu’à un moment, je suis allée repêcher la jaquette du CD en me disant « Mais c’est vraiment un Arsène Lupin, celui-là ? ». De fait, oui. Mais Arsène apparaît hyper tard dans l’intrigue – dans les cinq derniers chapitres, peut-être ! Plus le récit avançait, plus j’attendais et, comme je ne me souvenais pas trop bien de l’intrigue, j’ai tiré (un peu vite) des plans sur la comète. En effet, à peine arrivée en vue de l’île, Véronique croise une vieille dame appelée Honorine. Or, si ma mémoire est bonne, c’est le nom de la vieille nourrice d’Arsène Lupin. (Rien à voir, puisque vérification faite, la vieille nourrice s’appelle en fait Victoire.) Ce qui fait que j’ai essayé de le reconnaître sous les traits de chaque personnage rencontré, alors qu’il intervient fort tard.

Mais quelle intervention ! Maurice Leblanc s’est surpassé côté déguisements, cette fois ! Comme toujours, Arsène Lupin use de stratagèmes savants – qui nous sont dévoilés à la fin, façon Hercule Poirot. Mais face à lui, la machination est proprement machiavélique. J’ai beaucoup aimé que le grand plan des opposants, précisément monté, fasse appel aux légendes locales – les druides des celtes ont une grande importance dans l’histoire. C’est aussi ce qui donne au récit cette aura légèrement fantastique pas désagréable !

Bref, une très bonne redécouverte et je suis ravie d’avoir testé l’audio pour Arsène Lupin (je vais donc continuer). Cet épisode présente à la fois les caractéristiques d’un bon roman de la série (grands stratagèmes, humour, aventures échevelées), et une ambiance oppressante teintée de surnaturel très originale et qui renouvelle agréablement la saga.

L’Île aux trente cercueils, Maurice Leblanc. Première édition : 1919.
Version audio lue par Philippe Colin.
La compagnie du savoir, 2014, 658 min.

Arsène Lupin : la poudrière, Boileau-Narcejac.

1912. Alors qu’il sort du théâtre du Châtelet, le prince Sernine, alias Arsène Lupin, sauve la comtesse de Mareuse de deux gaillards mal intentionnés. Bien décidé à nouer contact avec elle, le prince déchante rapidement : la jeune femme lui a donné une fausse adresse et en a profité pour filer à l’anglaise. Voilà qui titille la curiosité du gentleman-cambrioleur. Alors qu’il remonte sa piste, il se fait enlever puis séquestrer par des geôliers parlant difficilement le français. Puis c’est au tour d’un détective privé fraîchement trucidé, et manifestement sur la piste de la comtesse lui aussi, de croiser sa route. Il n’en faut pas plus pour piquer pour de bon la curiosité du prince Sernine, d’autant qu’une jolie jeune femme est concernée. Qui sont exactement les deux groupes impliqués, et que cherchent-ils à obtenir de la comtesse ?

Comme vous le savez peut-être, j’adore la série des Arsène Lupin et ne résiste jamais à la tentation d’un bon pastiche (même si certains sont moins bons que d’autres). Du duo Boileau-Narcejac, je pense avoir lu étant plus jeune un opus de la série Sans Atout, mais cette lecture s’est perdue dans les limbes. La poudrière n’est peut-être pas le meilleur roman pour découvrir leur œuvre littéraire propre, puisqu’il s’agit du pastiche de l’œuvre d’un autre, mais ce qui est certain, c’est que ce roman m’a donné envie d’en savoir plus à leur sujet !

Car Pierre Boileau et Thomas Narcejac se sont parfaitement approprié le style de Maurice Leblanc et les caractéristiques des aventures d’Arsène Lupin. À tel point qu’au cours de ma lecture, j’ai été plusieurs fois surprise d’apercevoir du coin de l’œil leurs noms sur la couverture, tant j’avais l’impression de lire un Lupin de Leblanc !
Cette aventure s’inscrit dans celles où Lupin est plus enquêteur que cambrioleur – elles ne sont pas majoritaires, mais il y en a quelques-unes. Comme souvent dans ces cas-là, l’intrigue est fortement géopolitique. Nous sommes dans les années 1910, et le spectre de la guerre mondiale hante tous les esprits, notamment celui d’Arsène Lupin, dont le patriotisme n’est plus à prouver.
De prime abord, l’intrigue semble très emberlificotée : il y a d’abord cette mystérieuse comtesse après laquelle courent des détectives privés et des étrangers prêts à tuer, un cambriolage violent démenti par voie de presse, une sœur amnésique après une tentative de suicide, la visite d’un prince étranger issu des Balkans et des papiers de la plus haute importance, qui s’avèrent être vierges. Vraiment, on patauge, d’autant qu’on a du mal à comprendre – tout comme Lupin – qui fait exactement quoi là-dedans. Et cela fait partie du charme de l’intrigue : on cogite, on place les pièces du puzzle dans différentes positions, on s’inquiète des actions que mènent les uns et les autres. Le suspense est donc très au rendez-vous.

Et pour soutenir tout cela, Lupin est plus Lupin que jamais : comme souvent, il se parle à lui-même (pour s’invectiver ou se lancer des fleurs), s’appuie sur une organisation dont les ramifications semblent sans limites, réfléchit avec plusieurs coups d’avance, se trompe, dragouille de-ci de-là, fait des filatures, se déguise, ou n’hésite pas aller se battre frontalement avec les ennemis déclarés. On retrouve tous les codes des romans de Lupin, mais savamment dosés, sans avoir l’impression que les auteurs ont essayé de tout balancer en dépit du bon sens. Et ce qui est intéressant ici, c’est que Lupin n’est pas maître des événements. Certes, il s’adapte à merveille ou provoque précisément ce qui l’intéresse, mais c’est un autre personnage qui détient les clefs du mystère, qui ne seront révélées qu’en toute fin de roman. Et c’est diablement bien fait, car les indices sont assez ténus, disséminés, et nous amènent peu à peu à une révélation d’ampleur.

Côté style, comme je le disais en introduction, Pierre Boileau et Thomas Narcejac se sont parfaitement approprié celui de Leblanc et les caractéristiques de son personnage fétiche. Clairement, on s’y croirait, ce qui rend cette lecture d’autant plus délicieuse. Comme Leblanc, lorsque l’intrigue se pare d’une dimension internationale, ils ont intégré à merveille des intérêts géopolitiques européens fictifs et réels, en les liant au contexte historique de l’époque. Et même si une partie de l’intrigue politique relève de la pure fiction, la crédibilité est au rendez-vous. En un mot, j’ai trouvé ça génial.

Excellente pioche donc que ce pastiche d’Arsène Lupin ! J’ai été littéralement embarquée dans ma lecture et conquise par la reprise faite par le duo Boileau-Narcejac. Ce qui m’a donné très envie de lire leurs autres pastiches, mais aussi leur œuvre originale !

Arsène Lupin : la poudrière, Pierre Boileau et Thomas Narcejac.
Éditions du Masque, 2013 (1987 pour l’original), 2019 p.

813, Maurice Leblanc.

Quelle mystérieuse entreprise amène à Paris Rudolf Kesselbach, le richissime et ambitieux roi du diamant sud-africain ? Que signifie ce nombre, 813, inscrit sur un coffret en sa possession ? De quel secret le nommé Pierre Leduc, qu’il recherche dans les bas-fonds de la capitale, est-il le détenteur ? Telles sont quelques-unes des questions autour desquelles s’affrontent la police – en l’occurrence un certain Lenormand, chef de la Sûreté –, l’impitoyable baron Altenheim et le gentleman-cambrioleur Arsène Lupin. Or, pour la première fois, Arsène Lupin commet l’irréparable, Arsène Lupin est coupable de meurtre ! À moins que… quelqu’un ne cherche à lui faire porter le chapeau ? En ce cas qui ? Et pourquoi ?

En ce début d’année, j’ai eu envie de me replonger dans les aventures d’Arsène Lupin, pour lesquelles j’entretiens un – gros – faible. Je me rappelais fort bien que 813 était de mes favorites, sans bien me rappeler pourquoi. Bref : le choix a donc été vite vu ! Et me voici replongée dans ce roman en deux parties, respectivement intitulées Les trois crimes d’Arsène Lupin et La double vie d’Arsène Lupin (lues dans une intégrale, donc chroniquées sous la même forme).

Dès le premier chapitre, Maurice Leblanc instaure un climat de malaise : Rudolf Kesselbach se sent épié, traqué et ne sait mettre de mots sur cette indéfinissable angoisse. Qu’il ne simule pas, puisqu’il ne tarde pas à passer l’arme à gauche, de bien mystérieuse façon. S’engage alors une enquête de police qui, déjà, met au jour des indices des plus étranges – parmi lesquels le fameux nombre 813, qui nous tiendra en haleine quasiment jusqu’à la fin.
Et Lupin ? Eh bien Lupin commence fort ! S’il fait peu œuvre de cambriole dans cette première partie, les lecteurs les plus assidus le détecteront bien vite sous une de ses identités d’emprunt !

Contrairement aux autres aventures du gentleman-détrousseur (du moins celles que j’ai lues, et je dois admettre qu’il m’en manque encore quelques-unes), celle-ci est abordée sur un ton résolument sombre. D’une part car, dès le départ, il est question de meurtres, évidemment. Mais le roman touche aussi aux intérêts nationaux de la France : il est beaucoup question de l’Alsace-Lorraine et de la situation pas franchement tendue, mais pas franchement sereine non plus avec la voisine allemande à l’époque (le récit se déroulant juste avant la Première Guerre mondiale, et faisant fortement écho à la guerre de 1870). Dans le même temps, l’action est plus étirée qu’à l’accoutumée : on est plus dans la réflexion, dans la recherche que dans les péripéties échevelées, ce qui donne au roman un rythme nettement plus calme que ce à quoi on est habitués avec Lupin. En plus de cela, l’antagoniste reste très mystérieux jusqu’aux derniers chapitres, faisant planer un air de danger imminent sur le récit. Tout cela donne au roman de faux airs de roman d’espionnage pas désagréables du tout.
Et ce qui contribue sans doute à cette impression (tant de calme que d’espionnage), c’est que Lupin n’est pas totalement libre de ses mouvements – puisqu’il passe une grande partie de l’intrigue dans ses appartements de Santé-Palace. La prison, oui, elle-même. Si vous êtes adepte des romans policier hyper rythmés, pas de panique : les dialogues sont savoureux, les stratagèmes de Lupin également et on n’a absolument pas le temps de s’ennuyer.

L’autre point qui, je trouve, distingue 813 des autres romans de la série, est le caractère de l’ami Arsène. Arrêtez-moi si je me trompe, mais il ne me semble pas se montrer aussi imbuvable dans les autres aventures. Certes, on le connaît manipulateur et assez orgueilleux mais là, il faut dire qu’il atteint clairement le summum. Lui qui est habituellement si cabotin se fait ici très sombre, voire un brin inquiétant par moments. Rassurez-vous, ses piques et son caractère audacieux sont toujours bien présents, heureusement, et il faut lui reconnaître qu’il s’amende un peu sur la fin.
Tout cela s’explique peut-être par la présence d’un ennemi aussi invisible qu’implacable. Et il ne s’agit pas d’Herlock Sholmès, grand absent de cette intrigue : si le détective est bien mentionné à plusieurs reprises, on ne le croise pas une seule fois – et il ne nous inquiète pas non plus. En revanche, l’opposant principal se révèle parfaitement insaisissable, mystérieux, prêt à tout, en deux mots : parfaitement flippant. De plus, j’ai parlé rapidement de la dimension internationale du récit, mais c’est encore plus flagrant dans la seconde partie, où le patriotisme de Lupin revient au galop (si tant est qu’il avait un jour disparu). Au passage, ce volume est parfait pour réviser ses notions d’histoire et de géographie de l’Europe du début du XXe siècle (même s’ils sembleraient que les Grands-Ducs Hermann soient pure fiction).

Du côté de l’enquête, je dois dire que j’ai été servie. Certes, j’avais totalement oublié les différents ressorts de l’intrigue et la résolution du principal mystère. C’est donc presque comme une nouvelle découverte que j’ai attaqué ma relecture et, comme la première fois (il me semble), j’ai sagement attendu de voir révélés les secrets (à part des détails mineurs que j’avais bien retenus, sans me l’expliquer). Et je dois encore une fois saluer le génie de Maurice Leblanc pour les petites trouvailles, les détails de prime abord insignifiants qui s’avèrent capitaux, les différents codes à résoudre. J’en viens à regretter que ce monsieur n’ait pas conçu des escape-games, je suis certaine qu’il aurait été sensationnel !

Même après relecture, 813 reste une des aventures d’Arsène Lupin que je préfère, pour sa complexité, et pour l’heureux mélange qu’elle propose entre espionnage, enquête et lupinades audacieuses. L’intrigue est bien menée et Maurice Leblanc parvient à garder certains mystères quasi intacts jusqu’à la fin, tout en donnant régulièrement quelques indices (minces) pour les résoudre. Suspense garanti, donc ! Bien que le récit et le personnage soient plus sombres qu’à l’accoutumé, on retrouve avec plaisir les cabotinages d’Arsène, ses grands plans géniaux et son sens de la répartie. En bref : que des bonnes choses !

813, Maurice Leblanc. 1910. Réédition R. Laffont (Bouquins).

 

Il y a plein d’autres lectures lupinesques sur le challenge illimité orchestré par Mypianocanta !

Les Nouvelles aventures d’Arsène Lupin #1, Les Héritiers, Benoît Abtey & Pierre Deschodt.

les-nouvelles-aventures-d-arsène-lupin-les-héritiers-benoît-abtey-pierre-deschodt

Qui est-il? D’où vient-il? Nul ne le sait. Arsène Lupin est partout mais personne ne connaît son véritable visage. Il est le plus célèbre malfaiteur de son temps, le plus distingué aussi. Seulement, on ne s’en prend pas aux puissants de la terre sans subir leur colère…
En 1897, au lendemain de l’incendie du Bazar de la Charité – temple de la bonne société parisienne – Lupin disparaît. On le rend responsable du drame. Athéna, surtout, l’amour de sa vie, meurt dans le brasier. Plus rien, désormais, ne compte à ses yeux.
Dix ans plus tard, un scandale éclate et le ressuscite. Lupin, changé en monstre, serait-il passé à l’ennemi? Un quotidien, le Patriote, l’accuse d’avoir dérobé des secrets militaires pour les vendre à l’Allemagne ! La guerre est imminente.
Lupin va-t-il enfin sortir de son silence?

Si vous êtes familiers de ce blog, vous savez qu’Arsène Lupin est un des rares personnages à être entré dans mon Panthéon personnel. Aussi un pastiche le mettant en scène ne pouvait-il que m’interpeller !

Une chose est sûre, Benoît Abtey et Pierre Deschodt maîtrisent leur sujet et s’y connaissent en lupineries. Tout y est ! On trouve dans cette nouvelle aventure un contexte géopolitique à la mesure des aventures de notre gentleman-cambrioleur préféré : la guerre est proche, les nations s’entre-déchirent et le climat social n’est guère au beau fixe. De plus, les auteurs investissent quelques faits divers qui ont fait les gros titres à l’époque, comme l’incendie du Bazar de la Charité (dont Gaëlle Nohant a tiré un fabuleux roman, La Part des flammes, soit dit en passant), en y plaçant judicieusement Lupin et ses relations.
Les péripéties sont nombreuses et variées : on a à peine le temps de souffler et le roman est, de ce point de vue, extrêmement divertissant.

Malheureusement, il y en a un peu trop pour être honnête. Les auteurs ont repris tous les codes des romans de Lupin et les ont tous réutilisés : Lupin disparaît, semble mourir mais renaît toujours de ses cendres, se coule dans les déguisements les plus improbables, usurpe des identités, manigance, parvient à ses fins et rencontre – bien sûr – des ennemis coriaces avec de solides raisons de lui en vouloir. L’ennui, c’est que les auteurs abusent de ces stratagèmes alambiqués et grand spectacle. Qu’on en ait un, voire deux par roman, pourquoi pas. Au-delà, cela devient franchement lassant et tue le suspens dans l’œuf. On ne s’inquiète donc guère pour l’ami Arsène, qui bénéficie ici d’une chance insolente et s’en sort toujours haut la main.
L’épilogue m’a, par ailleurs, laissée dubitative. Soit j’ai décroché pour les raisons citées ci-dessus et loupé une étape, soit les auteurs font intervenir un personnage bel et bien décédé depuis longtemps, sans aucune cohérence ni raison valable. Les dernières pages m’ont donc laissée franchement perplexe.

Malgré tout, j’ai passé un moment plutôt sympa car, comme je l’ai dit en ouverture, les auteurs savent s’y prendre et proposent, dans l’ensemble une bonne aventure d’Arsène Lupin, avec tous les ingrédients qu’il faut pour contenter le lecteur – suffisamment pour me donner envie de tenter une autre potentielle aventure de Lupin sous la plume de Benoît Abtey et Pierre Deschodt, malgré ce qui m’a chagrinée dans celle-ci. 

Les Nouvelles aventures d’Arsène Lupin #1, Les Héritiers, Benoît Abtey & Pierre Deschodt.
XO Éditions, mars 2016, 351 p.

Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être :

aventures-extraordinaires-arsène-lupin-maurice-leblanc

Les Aventures extraordinaires d’Arsène Lupin, Maurice Leblanc.

 

aventures-extraordinaires-arsène-lupin-maurice-leblanc

Vers quelle aventure glisse sa silhouette élancée ? Quel nouveau bon coup fait briller son œil malicieux ? Ou peut-être vient-il de séduire une sublime duchesse ? Arsène Lupin, l’intrépide dandy cambrioleur, est insaisissable.

Cet ouvrage comprend deux enquêtes d’Arsène Lupin : L’Aiguille creuse et Le Bouchon de cristal.

Arsène Lupin! Le gentleman cambrioleur! Rarement surnom aura été si bien porté. Dans L’Aiguille creuse, comme dans Le Bouchon de cristal, le monte-en-l’air fait preuve d’humanisme et de sensibilité. Oh, avant toutes choses, oubliez le film récemment sorti… car il propose un condensé d’un grand nombre d’aventures et reste assez loin de l’esprit réel du roman!

L’Aiguille creuse… imaginez un secret d’état, précieusement conservé par les Rois de France, jusqu’à Louis XVI… un secret permettant de faire la fortune et la sécurité de la famille royale, un secret qui a fait couler beaucoup d’encre, et a même envoyé des indiscrets en prison. Voilà le secret que tente de percer un jeune homme, se heurtant sans cesse à Arsène Lupin, sa bande, son ingéniosité, et son opiniâtreté. Le récit suit essentiellement le point de vue du jeune Isidore réfléchissant, enquêtant, se démenant. Lupin est ici insaisissable, et c’est ce qui donne toute sa force au récit. Invisible, on ne sait jamais lorsqu’il va frapper, ni quelles sont ses intentions. Dans les plaines de la Creuse, au sommet de collines balayées par le vent marin, on suit les pérégrinations des personnages, qui conjuguent enquête policière et histoire (rêvée) de France.

Dans Le Bouchon de cristal, Arsène Lupin montre un autre visage: ce n’est plus le cambrioleur tout-puissant mais un homme perdu, confronté à une intelligence sinon supérieure, du moins équivalente à la sienne. Suivant cette fois Arsène Lupin, on apprécie les circonvolutions de son puissant esprit, même s’il semble toujours un peu à la traîne. C’est peut-être dans ce roman que la sensibilité du bandit est la plus grande ; obnubilé par le sort du jeune Gilbert, il fera tout pour le délivrer, autant pour sa conscience que pour apaiser la mère éplorée de son complice.

Ce premier tome permet donc de plonger dans la psychologie ô combien complexe du personnage de Maurice Leblanc, les deux récits montrant tour à tour différentes facettes de l’homme. Quoi qu’il en soit, ce fut un réel plaisir de suivre à nouveau l’intrépide gangster dans ses glorieuses aventures. Dans un style enlevé, Maurice Leblanc propose des entreprises audacieuses, servies par un personnage caustique et plein d’outrecuidance qu’il est difficile de ne pas apprécier. Son style ne manque pas d’un certain panache aux doux accents de début de siècle dernier. En bref, de formidables aventures, rythmées et enthousiasmantes, tant par leur contenu que par leur forme.

Parlons d’ailleurs de la forme plus particulière de ce livre précis: édité par Point 2, le livre est de tout petit format poche (il rentre d’ailleurs très bien dans les poches de jeans, je me suis empressée de me livrer à ce test!) et le texte est présenté dans la largeur, de sorte que le livre se lit verticalement. Imprimé sur papier bible, il est extrêmement léger, et propice à la lecture couché sur le dos, les bras en l’air, sans causer la moindre fatigue. Léger, maniable, il se prêtera également aisément à la lecture dans une rame de train bondée, sans même déclencher les foudres de vos voisins de voyage, vu le peu de place qu’il prend. Voilà donc un format révolutionnaire, qui permet de présenter les pavés en un tout petit format, et réconciliera peut-être ceux qui ont peur des gros livres par cette présentation originale et attractive.

Voilà un roman qu’il sera agréable de trimballer en vacances, ou partout ailleurs, aussi bien pour le format que pour le récit! 

 

Et je remercie donc Livraddict et les éditions Point 2 de m’avoir permis de découvrir cet opus.
 Les Aventures extraordinaires d’Arsène Lupin : L’Aiguille creuse & Le Bouchon de cristal, Maurice Leblanc. Point 2, 2012 (1ère édition 1909), 787 p.
9,5/10