
Deux pays s’affrontent depuis des siècles : l’immense empire de Nikara et une petite île voisine, Mugen. Jeune orpheline, Rin décide de tout faire pour échapper au mariage qu’ont arrangé ses parents adoptifs. Aidée d’un bibliothécaire qui s’est pris d’affection pour elle, elle se met à étudier en vue du concours Keju, qui ouvre aux enfants les plus brillants du pays accès à l’académie militaire de Sinegard, chargée de former les futures élites de l’Empire. Sous l’égide d’un vieux maître fantasque et mystérieux, elle s’éveille peu à peu aux pouvoirs chamaniques qui sont les siens, mais quand la guerre larvée éclate de nouveau, sous les coups de boutoir de Mugen, l’Académie est dissoute et ses membres affectés à l’une des douze divisions des Douze Provinces qui composent l’Empire. Rin rejoint les sicaires de l’Impératrice…
Voilà un roman de fantasy qui m’a fait de l’œil dès l’annonce de sa parution. Et une fois terminé ? Eh bien, je suis ravie de l’avoir découvert, et suis curieuse de lire la suite.
La guerre du pavot se découpe, globalement, en deux grosses parties aux ambiances marquées.
La première met à l’honneur le récit d’apprentissage. On y suit Rin lorsqu’elle prépare ardemment le Keju (redoutable concours donnant accès aux académies du pays) et ce qu’il y a après ce fameux concours.
Cette partie m’a vraiment rappelé Le Nom du vent de Patrick Rothfuss, tant les parcours des personnages sont proches (un.e étudiant.e sans le sou qui tente par tous les moyens d’intégrer une académie très sélect, laquelle accueille plutôt des candidats fortunés). Mais les ressemblances s’arrêtent là, puisque le contexte des aventures de Rin est bien différent – mais j’y reviens plus tard. Au cours de cette – copieuse – première partie, émergent des thèmes assez courant dans un récit d’initiation comme la quête de soi, ou la formation. Et on ne parle pas uniquement de la formation estudiantine ou magique, puisque Rin va avoir le déplaisir de découvrir le monde merveilleux des menstruations, dont elle ignorait tout jusque-là et auquel un tierce personnage va la former. J’ai trouvé ça intéressant, car le sujet n’est pas si fréquent en littérature de l’imaginaire (il me semble), même si l’héroïne trouve un moyen un peu radical de résoudre ses problèmes.
Outre cet aspect, on assiste aux révisions acharnées des uns et des autres, comme aux cours (parfois exotiques !) auxquels ils assistent.
– Toute guerre est fondée sur la tromperie.
En vue du Tournoi, la classe entière s’accrochait au dix-huitième Postulat de Sunzi. Les élèves cessaient d’utiliser les salles d’entraînement accessibles à tous durant les heures de cours communes. Ceux qui avaient hérité des arts martiaux de leur famille s’étaient soudainement arrêtés de pavoiser à leur sujet. Nezha lui-même avait renoncé à ses démonstrations du soir.
– C’est comme ça tous les ans, avait dit Raban. Je trouve ça un peu débile, honnêtement. Comme si les pratiquants d’arts martiaux de votre âge avaient quelque chose à cacher.
Débile ou non, les étudiants de leur classe paniquaient sincèrement. On accusait tout le monde de dissimuler une arme dans sa manche, et on soupçonnait ceux qui n’avaient jamais fait démonstration d’un art hérité d’en couver un dans le secret.
Un soir, Niang confia même à Rin que Kitay avait hérité du Poing venteux du nord, un art oublié qui permettait à son pratiquant de neutraliser ses adversaires en touchant quelques points de pression précis.
– J’ai peut-être contribué à propager la rumeur, avoua Kitay quand Rin l’interrogea sur le sujet. Sunzi qualifierait ça de guerre psychologique.
Rin poussa un grognement.
– Sunzi appellerait ça des grosses conneries.
L’autre thème qui émerge est celui du racisme, auquel Rin est confrontée en tant qu’orpheline de guerre mais aussi en tant que ressortissante du sud du pays. Sa peau basanée (et décrite ainsi dans le roman) est mal perçue par ses snobinards de camarades de classes, issus de l’élite et donc dispensés de travail au grand air dans leur jeune âge. À ce stade, j’imagine qu’il faut toucher deux mots de la couverture : il est vraiment dommage que le personnage représenté dessus colle si peu à la description donnée dans les pages. Celle-ci est pourtant sommaire… tant elle se concentre sur le teint de l’héroïne. Vraiment, c’est dommage.
La seconde partie, quant à elle, nous fait changer radicalement d’ambiance, puisque la guerre est arrivée. On quitte donc le récit d’apprentissage pour plonger dans la dark fantasy militaire, qui s’impose par des scènes nettement plus nerveuses, où prédominent l’action, la violence et la peur. Ce sentiment est hyper présent et j’ai apprécié cet aspect. Certes, les personnages que l’on suit sont des miliaires de carrière… mais la plupart sont encore étudiants et ne se sentent pas vraiment à la hauteur de la tâche.
Ceci étant dit, plus l’on avance vers la fin, plus ils s’y mettent : la violence va grandissant, et l’autrice ne nous épargne aucune des scènes terribles que l’on pouvait attendre de la guerre (tortures, viols, etc.), avec une description par le menu de toutes les atrocités. Il faut parfois s’accrocher.
C’est également dans cette partie que se développe le système de magie. Alors que, jusque-là, Rin tâtonne avec ses pouvoirs, elle est amenée à les exploiter de plus en plus. Le système, fortement inspiré du shamanisme (d’ailleurs les guerriers dotés de pouvoirs sont appelés des shamans) est assez simple, mais peut-être sera-t-il un peu plus détaillé par la suite car certains aspects sont laissés un peu en suspens. En tout cas, l’idée est vraiment intéressante !
Bien que l’ambiance de la seconde partie soit bien différente, les thèmes ébauchés dans la première sont toujours présents en toile de fond, notamment celui du racisme. Cela s’explique peut-être par l’inspiration du roman. En effet, au vu des sonorités des noms, et des atrocités décrites, il est difficile de ne pas penser aux guerres sino-japonaises. J’ai eu l’impression de lire de la fantasy historique, même si j’aurais du mal à le classer dans cette catégorie, dans la mesure où l’univers est clairement fictif. Quoi qu’il en soit, on assiste à certaines scènes (notamment dans les laboratoires) qui rappellent fortement des faits réels.
Dès le départ, je me suis laissée embarquer par l’ambiance et l’intrigue. Les péripéties s’enchaînent sans submerger les lecteurs, et l’autrice s’est attachée à développer ses personnages. Toutefois, j’ai trouvé le dernier tiers nettement moins prenant. D’une part, j’ai eu l’impression que la logique d’enchaînement des événements était parfois étrange – comme si tout arrivait trop vite, ou trop à point nommé. De plus, les relations entre personnages ne sont pas hyper développées – ou alors elles sont racontées et pas tellement mises en scène. L’intrigue, de plus, semble un peu plus brouillonne dans cette partie-là, avec des enchaînements que j’ai trouvés soit peu logiques, soit un peu trop faciles. Ce qui m’a laissé une impression de dernier tiers un peu bâclé (ou en tout cas, moins travaillé que les deux précédents), et m’a parfois fait décrocher. Malgré tout, j’ai lu le roman avec intérêt jusqu’au bout, c’est simplement que celui-ci était un peu moindre sur la fin.
Malgré un dernier tiers en demi-teinte, j’ai trouvé ce roman particulièrement prenant. J’ai apprécié l’univers et le système de magie (même si celui-ci reste assez simple), comme l’apparente inspiration historique. Je dois dire que j’ai été assez surprise (positivement !) par le brusque changement de ton entre la première et la seconde partie, mais cela a fait redoubler mon intérêt pour ce que j’étais en train de lire. Je trouve que ce premier tome (car oui, c’est une trilogie) a un bon potentiel, et je suis assez curieuse de lire la suite.
La guerre du pavot #1, R. F. Kuang. Traduit de l’anglais (américain) par Yannis Urano.
Actes Sud (Exofictions), juillet 2020, 565 p.
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