Passé déterré, Clément Bouhélier.


Quelque part dans la campagne autour de Vernay, un car scolaire conduit par un chauffeur saoul s’écrase dans le fossé. Sept enfants périssent dans l’accident. Six ans plus tard, lorsque l’ancien conducteur du car est retrouvé assassiné chez lui, les souvenirs se réveillent. Marquée par la disparition de son fils, Estelle Baupin est aspirée dans le tourbillon de l’enquête. Elle comprend rapidement que des forces mystérieuses œuvrent dans l’ombre, bien décidées à faire payer les responsables du drame. Alors que les morts se multiplient, Estelle sait que pour les arrêter, elle doit découvrir le lourd secret qui pèse sur Vernay. Et faire face à son propre passé.

J’ai lu ce roman dans la semaine qui comprend les festivités d’Halloween/Samhain et dire que le thème collait pile poil au moment frise l’euphémisme. Je ne sais pas trop à quoi je m’attendais. Du thriller, oui, sans doute un peu de fantastique, mais certainement pas à flipper autant ! À tel point que j’ai dû alterner avec un roman mettant moins en péril mon p’tit cœur (surtout le soir, histoire de dormir). Mais ça m’ennuyait quand même de ne pas savoir ce qu’il allait advenir des personnages. Bref, tout ça pour dire que Passé déterré m’a à la fois terrifiée et tenue en haleine, du début à la fin !

Le début nous plonge directement dans le vif du sujet avec une scène de meurtre assez glauque, mais peu explicite : qui agit ? Ou… quoi ? Le fait de changer, directement après le prologue, d’environnement, instaure donc dès le départ un climat de tension. Laquelle ne va pas redescendre avec la scène du fameux accident de bus, meurtrier s’il en est, et qui est le point de départ de tout. Lorsque l’on fait un nouveau bond dans le temps pour arriver six ans plus tard, où des événements énigmatiques commencent à se produire, on est déjà baignés par une ambiance des plus étranges.

Et c’est vraiment à quoi tient tout le roman. Car pour être honnête, au départ, il ne se passe pas grand-chose : on suit des familles endeuillées qui ont du mal à se relever, un village qui vit un peu replié sur lui-même… Rien que de très banal, somme toute, quand on pense au traumatisme subi. Sauf que derrière ces descriptions ordinaires, on sent planer un malaise certes diffus, mais bien prégnant, qui ne tarde pas à virer à la menace sourde. Là, il n’aura guère fallu plus que la mention de créatures errant dans les rues, les yeux rouges et à la recherche de sang frais (de préférence extrait violemment) pour me faire frémir ! C’est d’ailleurs par toutes petites touches subtiles que Clément Bouhélier installe l’ambiance fantastique et ces petits détails dynamisent incroyablement l’histoire. Et cela démarre tellement vite que je me suis retrouvée à attaquer la deuxième partie en ayant à peine vu passer la première – c’est dire si j’étais dedans.
De plus, on fait quelques allers-retours entre passé et présent, en retournant non pas à l’époque de l’accident, mais à la fin de l’Occupation, alors que Vernay était sous la coupe allemande. Et même si l’on ne voit pas, de prime abord, ce qui lie les deux époques, le récit distille suffisamment d’indices pour que l’on commence à se poser pas mal de questions – ce qui ne fait que le rendre plus prenant.

Il y un autre point qui a certainement joué dans le fait que j’ai autant accroché : les personnages. Parmi ceux-ci, celle qui se détache vraiment est Estelle, la mère d’une des victimes de l’accident. On la suit dans son quotidien de professeure de lettres, dans le marasme qu’est devenue son existence depuis la perte de son petit garçon. Évoquer le deuil, ce n’est jamais facile mais Clément Bouhélier est parvenu à trouver un excellent équilibre et ce pour chacun de ses personnages. On suit principalement Estelle, mais elle n’a pas été la seule à subir le drame et l’auteur montre combien on peut réagir différemment au traumatisme (et surtout qu’il n’y a pas de réponse toute faite, chacun fait comme il le peut). Ce choix collait vraiment bien à l’intrigue car, évidemment, on en vient à se demander s’ils ne sont pas tous fous (tout simplement), et que l’accident a causé bien plus de ravages que ce qu’on aurait pu penser. Avant que l’on ne bascule donc complètement dans le fantastique, il y a donc un léger entre-deux artistiquement maintenu, et qui a sans doute contribué au fait que j’aie tellement accroché à cette histoire.

Passé déterré m’a donc tenue en haleine du début à la fin, en plus de me faire hérisser les cheveux sur la tête à plusieurs reprises – et m’empêcher de dormir, soit dit en passant. L’intrigue vire très vite au fantastique, avec moult créatures sombres et attaques inexpliquées, qui ne font que faire piétiner l’enquête – pas mal cantonnée au point mort, il faut dire, ce qui n’empêche pas la tension de s’installer, ni de durer. J’étais tellement prise par le récit que la fin est même arrivée un brin trop vite à mon goût… Pour me laisser, en plus, sur un retournement de situation échevelé qui remet presque tout en question ! Voilà un auteur dont je note assurément le nom !

Passé déterré, Clément Bouhélier. Critic, octobre 2017, 380 p. 

Les Plieurs de temps #1-2, Manon Fargetton.

Anthony est un Plieur de temps. Grâce à son horloge magique, il peut revenir 5 minutes en arrière. Mais un super-pouvoir peut-il rendre super-heureux ?

Manon Fargetton s’est lancée dans une nouvelle série autour d’un thème aussi sympathique que mystérieux : les voyages dans le temps. Les deux premiers tomes, Anthony : à cinq minutes près et Robin : à la dernière seconde, pouvaient se lire dans l’ordre que l’on souhaitait (j’imagine que les suivants nécessiteront tout de même d’avoir lu ou les aventures de Robin, ou celles d’Anthony – ou les deux). J’ai donc commencé par celles d’Anthony, puisque ce sont les premières qui me sont tombées sous la main.

Le roman est court, aussi ne se perd-on pas en détails inutiles. Malgré tout, Manon Fargetton dresse le portrait de personnages attachants et bien pensés. Mais revenons sur la question du personnage attachant car, dans le cas d’Anthony, ce n’était pas vraiment gagné : en effet, Anthony est le gros dur de la classe, celui qui a tendance ) asticoter ses petits camarades, pour le simple plaisir semble-t-il. Ce qui est intéressant, c’est que Manon Fargetton apporte des explications sensées à son comportement. Peu à peu, on en vient à comprendre ce gamin mal dans sa peau et qui se sent délaissé par ses parents, notamment son père, et cherche donc à asseoir son autorité. Toutefois, si elle trouve des explications à son comportement, elle ne l’excuse en aucun cas : ce n’est pas parce qu’il est sympa qu’il est en droit de terroriser ses petits camarades. Mieux : Anthony progresse au fil de l’intrigue, comprend en quoi son comportement n’est pas acceptable et se met à s’amender.

Au travers du personnage d’Anthony, Manon Fargetton évoque donc les thèmes du harcèlement scolaire, mais aussi (et surtout) des relations familiales et de l’amour filial : c’est très touchant !
Et tout cela s’inscrit dans une problématique un tantinet plus fantastique : celle du voyage dans le temps.
Dans le cas d’Anthony, le temps qu’il passe dans l’horloge magique de la cave lui permet de remonter en arrière de 5 minutes autant de fois que nécessaire (et dans la limite du temps engrangé). Un pouvoir bien pratique lorsqu’il s’agit de briller (momentanément) en classe, éviter une sanction, ou se décharger de ses mots noirs sans qu’il y ait de conséquence.
L’ennui, c’est qu’avoir un super-pouvoir ne fait pas forcément de vous quelqu’un de super-heureux et de bien dans ses bottes et Anthony va avoir quelques petites leçons du même acabit à apprendre. De fait, cela participe de son évolution, et c’est ce qui rend le roman si prenant.

S’il est si prenant, c’est aussi parce que l’action y est bien calibrée et que le style est très fluide. Résultat : on se retrouve à enchaîner les chapitres et à arriver à la fin quasiment sans s’en rendre compte. Le texte étant très accessible, c’est un roman qui devrait, en outre, plaire aux jeunes lecteurs (dès 9-10 ans).

Bonne première pioche, donc, que cette aventure d’Anthony. Je suis d’ailleurs ravie d’avoir attaqué par son aventure car, si je l’avais d’abord entraperçu par les yeux de Robin, je l’aurais sans doute moins apprécié (sans compter que la vue par les yeux de Robin aurait un tantinet gâché l’évolution du personnage). Ici, j’ai vraiment apprécié la façon dont Manon Fargetton nous dresse le portrait d’un jeune garçon très antipathique (il est même au-delà de l’anti-héros) qui, peu à peu, va s’amender, réfléchir et évoluer. Un très beau parcours ! Et ce d’autant qu’il est servi dans l’écrin d’une intrigue fantastique qui tient bien la route, tout en évoquant des sujets qui parleront sans aucun doute aux jeunes lecteurs. Voilà une série jeunesse que je suivrai sans aucun doute !

Les Plieurs de temps #1, Anthony : à cinq minutes près, Manon Fargetton. Illustrations de Noémie Chevalier. Rageot, mai 2017, 224 p.

Robin est un Plieur de temps. Grâce à son horloge magique, il peut arrêter le temps. Mais suffit-il d’avoir un super-pouvoir pour devenir un super-héros ?

Hop ! L’envers du décor, cette fois ! Je confirme que les deux romans peuvent se lire indépendamment ; toutefois, dans Anthony : à cinq minutes près, on assiste à une scène réunissant tous les protagonistes et Robin : à la dernière seconde s’arrête juste avant cette scène. Donc si vous les lisez dans le même ordre que moi, attendez-vous à un léger spoiler quant aux relations des enfants et quant à leurs histoires respectives (rien de dramatique, cependant, mais c’est bon à savoir).

Ici on a donc un personnage qui, au premier abord, est moins torturé que ne l’était Anthony. Pourtant, sous des dehors de bon élève, Robin a lui aussi quelques complexes. Si son histoire est moins torturée que celle de son camarade de classe, elle balaie elle aussi quelques questionnements qui peuvent traverser la tête d’enfants de son âge : placement dans la fratrie, définition du courage, volonté d’être juste et d’être un bon ami…

L’histoire est, à nouveau, bien menée et mêle vraiment bien la partie fantastique à la partie vie quotidienne.
Le texte est fluide, les péripéties s’enchaînent à bon train, entre quelques pauses plus réflexives : on ne voit pas la lecture passer ! Et, point bonus, le langage est assez soutenu (tout en restant accessible). Les illustrations de Noémie Chevalier, de leur côté, viennent souligner et aérer la lecture !

Avec ces deux titres, Manon Fargetton initie une série fantastique à la fois divertissante et évoquant avec justesse la vie quotidienne des jeunes enfants, ce qui fait qu’elle devrait plaire aux plus jeunes lecteurs, dès 9 ans. Tout le mystère n’a pas encore été levé autour des deux horloges, ce qui fait qu’à l’issue des deux premiers volumes, je suis très curieuse de découvrir la suite !

Les Plieurs de Temps #2 : Robin : à la dernière seconde, Manon Fargetton. Illustrations de Noémie Chevalier.
Rageot, mai 2017, 224 p.

La Nuit des cannibales, Gabriel Katz.

« Le réveil, déjà… Il est sept heures. Bizarre, j’aurais juré l’avoir réglé sur huit. Sous ma main, la table de nuit est plus basse que d’habitude. La radio gueule un truc qui ressemble à Madonna, ou Lady Gaga bref, ce n’est pas France Info. Je me lève dans le noir et me demande d’où vient cette infâme odeur de pieds. Je n’ai jamais senti des pieds de ma vie, et même si j’ai assez bu pour me réveiller dans un lit qui n’est pas le mien, ça n’a jamais fait puer personne. L’interrupteur, enfin, me tombe sous les doigts. J’allume.
Je regarde mon bras… qui n’est pas mon bras. Mon nez me paraît pointu, mes pommettes aussi. Putain, je ne suis pas moi. »
Lorsque Maxime de Retz, homme d’affaires de 43 ans, se réveille dans le corps d’un ado, la situation est pour le moins embarrassante. Mais, quand on essaie de l’assassiner, là, tout part carrément en vrille.

Si vous êtes familiers de ce blog, vous savez que Gabriel Katz fait partie des auteurs habitués. Évidemment, lorsque j’ai vu qu’il publiait un nouveau titre – quoique hors de son univers fantasy – j’ai eu envie de le découvrir, d’autant que son incursion dans le polar m’avait bien plu. D’ailleurs, j’ai retrouvé dans La Nuit des cannibales un ton et une efficacité similaires ! C’est exactement le genre de roman que j’aurais aimé lire cet été, non pas parce que c’est de la littérature de gare, mais parce qu’il était à la fois léger et particulièrement prenant : une bonne combinaison !

Dès le premier paragraphe, on est happé par le personnage de Max, qui nous raconte l’histoire d’un ton mi-désabusé, mi-sarcastique. Et on ne peut pas dire que ça commence bien pour lui : non seulement la soirée à laquelle il a assisté était nulle mais, en plus, c’était la dernière puisque dès le lendemain il est passé dans le corps d’un adolescent boutonneux répondant au doux prénom d’Aubert. Bref, si vous avez suivi, c’est la cata car non seulement Maxime n’est pas lui-même, mais il renoue avec les joies de l’adolescence, crises avec les parents et préparations du bac incluses.

Partant de là, on peut comprendre que Maxime fasse tout, absolument tout, pour se sortir de sa situation et ce avec d’autant plus de vigueur qu’il manque assez régulièrement de se faire canarder. Le roman prend assez vite des accents de thriller. Et, pour ce qui est du fantastique, le titre pouvait laisser deviner des vrais cannibales ou, à défaut, des zombies : finalement, on ne croisera ni l’un ni l’autre, du moins pas au sens premier du terme. Derrière ce vocable de cannibales, Gabriel Katz dissimule en fait un groupe actif de personnes aux talents… rares ! C’est donc là que le roman se pare d’atours hautement fantastiques car tout cela ne sera guère explicité, au profit d’une intrigue truffée d’action.

De fait, on n’a ni le temps de s’ennuyer, ni celui de souffler. On passe de guet-apens en stratégies de haute volée, de grandes réussites en trahisons douloureuses : les péripéties s’enchaînent à bon train et malmènent joyeusement les personnages.
C’est d’ailleurs sans doute la limite que j’ai trouvée à ce roman : j’ai eu l’impression que tout allait trop vite, que j’avais à peine le temps d’effleurer les choses avant de passer à autre chose. C’est sans doute dû à la forme du roman – qui ne relate rien moins qu’une gigantesque course-poursuite, finalement. Mais, voilà. J’en aurais voulu plus, ou plus calmement. Heureusement, la maîtrise du retournement de situation qu’a l’auteur fait rapidement oublier ces petites récriminations.

Et il faut également compter sur les personnages ! On suit essentiellement Maxime, bien sûr. Mais, rapidement, celui-ci va rencontrer d’autres personnages en butte aux mêmes problèmes que lui : s’ils ne vont pas immédiatement se serrer les coudes, il aura au moins un léger soutien. Car il est difficile de savoir sur qui on peut compter… et il est également difficile de savoir à quel jeu joue notre protagoniste : sur la corde raide quasiment de bout en bout, on se posera de nombreuses questions sur ses motivations, ses idéaux ou sur le bord auquel va sa loyauté !
Et cet entre-deux est là, lui aussi, pour maintenir le suspens, d’autant qu’on peut se demander, à plusieurs reprises, comment on aurait agi à la place de l’infortuné – et il n’est pas dit que l’on aurait mieux fait.

En somme, si je suis restée un tantinet sur ma faim avec ce nouveau titre de Gabriel Katz, et que je ne suis pas certaine de m’en souvenir dans 10 ans, je dois reconnaître que je n’ai pas boudé mon plaisir et que j’ai passé un très bon moment avec ce roman. Sur les traces de Maxime de Retz, on enquête sur les cannibales et leurs redoutables capacités, dans une intrigue menée à un rythme implacable et au féroce retournement final.

La Nuit des cannibales, Gabriel Katz. Pygmalion, mars 2017, 375 p.

Les Écailles d’or, Yin et le Dragon #2, Richard Marazano et Xu Yao.

Yin et son grand-père se sont habitués à la présence du Dragon d’or, qui les aide dans leur pêche quotidienne. Mais la guerre fait rage à Shanghai : derrière les assauts de l’armée japonaise, qui donnent lieu au terrible massacre de Nankin, c’est le Dieu Xi Qong, maître des Dragons, qui s’exprime pour dominer le monde des hommes. Tandis que Yin et ses amis survivent tant bien que mal à l’invasion japonaise, le dragon d’or, qui s’est affranchi de Xi Qong, va tenter d’affronter son ancien maître. Mais sera-t-il assez puissant face à ces forces de l’ombre ?

Le premier tome dégageait une certaine douceur mais, cette fois, on est passés aux choses sérieuses et, dès le début de ce tome 2, on sent que l’ambiance s’est considérablement noircie.
Shanghai vit toujours sous occupation japonaise et on sent que les soldats ne sont pas là pour faire dans la dentelle. D’ailleurs, les auteurs évoquent sans détour le massacre de Nankin perpétré par les troupes japonaises à la même époque. La précision historique fait partie des bons points de cette bande-dessinée ; ceci étant, l’histoire est majoritairement narrée du point de vue de Yin, aussi reste-t-elle tout adaptée à un public jeunesse.

La partie fantastique, quant à elle, fait la part belle aux mythes chinois, notamment liés aux dragons. L’amour de la littérature du capitaine japonais nous apporte de précieux éléments sur ces fameux mythes — lesquels sont mis en scène sous forme de flashbacks. On découvre alors une sombre histoire de rivalités, qui alimente un violent désir de vengeance. Et c’est justement le pire qui guette la population : les Japonais sont certes un réel danger, mais la vengeance amoureusement préparée par Xi Qong va frapper vite et fort, et on se demande si Guang Xinshi saura enrayer la menace.

L’ambiance nettement plus sombre de l’intrigue se lit également dans le graphisme : on retrouve, comme dans le premier tome, les cases opposant des tons gris-bleutés aux ors lumineux du Dragon d’Or mais, maintenant, on trouve aussi des couleurs nettement plus sombres, liées à Xi Qong, le dragon maléfique : noirs, rouges et anthracites dominent les cases. Les contrastes sont clairement lisibles et le tout très réussi !

Malheureusement, je n’ai pu m’empêcher de me sentir un tantinet déçue ; alors que le premier tome installait une ambiance assez douce (mais néanmoins tendue), ici j’ai eu l’impression que tout était nettement survolé. Les événements s’enchaînent, c’est assez peu approfondi et, au final, on n’a pas vraiment l’impression d’avoir tout à fait suivi les événements.

Si Les Écailles d’or est clairement un tome de transition, il sert à installer une ambiance prenante, empreinte d’un réel suspense. Il annonce, au passage, un tome 3 qui mettra en scène la confrontation entre les deux dragons et qui s’annonce terrible ! Voilà une série de bande-dessinée mêlant Histoire et intrigue fantastique, qui plaira aux jeunes lecteurs, et dont j’ai hâte de lire la suite et fin. 

◊ Dans la même série : Créatures célestes (1) ;

Yin et le Dragon #2, Les Écailles d’or, Richard Marazano et Xu Yao.
Rue de Sèvres, avril 2017, 60 p.

Flow, Mikaël Thévenot.

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Josh, 16 ans, souffre d’épouvantables crises de migraine depuis son enfance. Son entrée au lycée le trouble bien plus qu’il s’y serait attendu : ses migraines, qui l’avaient épargné, reviennent de plus belle et lui provoquent de drôles d’effets.
Depuis toujours, Josh confie ses doutes et émois à son blog. Or, voilà qu’un inconnu le contacte pour lui demander de le mettre hors ligne. Si Josh a de si intenses migraines, c’est parce qu’il est capable de se connecter au flot de pensées de ses congénères. Et il vaut mieux pour lui le cacher… car ses capacités pourraient en intéresser plus d’un. Au premier chef, ceux qui sont responsables de la disparition de sa mère, alors qu’il n’était encore qu’un tout petit garçon.
Josh se lance alors à la poursuite de ces mystérieuses personnes prêtes à tout ; aidé d’Axel, son meilleur ami (et le seul doué en informatique du duo, les compétences de Josh étant, au mieux, inexistantes), Josh va tout faire pour découvrir les secrets de son don, de sa famille et l’identité de son mentor. Une quête qui le mènera aux États-Unis où, douze ans plus tôt, sa mère disparaissait…

Le roman  est court, mais quel suspens ! En effet, l’aventure de Josh est menée tambour battant : Mikaël Thévenot entre assez vite dans le vif du sujet, ce qui fait que l’on n’a pas à patienter trop longtemps avant de savoir de quoi il retourne. Mais, une fois qu’il est établi que Josh est doté d’un super-pouvoir lui permettant de lire dans les pensées, c’est l’avalanche de questions : qui est la personne qui communique avec Josh ? Comment apprivoiser son don sans faire fuir ses proches et sans finir à l’asile ? Qu’est-il arrivé à sa mère ?

Histoire de bien alimenter le suspens, l’auteur alterne en plus entre passé et présent. On suit donc parallèlement l’histoire de Josh et celle de sa mère, Jenny, douze ans plus tôt, confrontée à des problématiques similaires. Et ce qui est vraiment chouette, c’est qu’outre ses aventures purement fantastiques, Josh vit aussi une vie d’ado normale (la rentrée, les copains, la gent féminine…). Du coup, il est assez facile de se sentir proche du jeune garçon car si l’on est loin de savoir ce que ça fait de lire dans les pensées des autres, on est tout à fait armés pour comprendre ses autres déboires.
Et j’ai apprécié que l’on ne s’intéresse pas qu’à Josh : les personnages secondaires sont loin d’être en reste ! D’ailleurs, au fil du texte, Mikaël Thévenot nous fait découvrir ces personnages de façon plus précises, en comparant notamment deux situations familiales assez différentes. Si Josh et Julia sont assez proches de Cosimo, leur père (mais pas au point, pour Josh, de tout lui révéler), ce n’est pas le cas d’Alex, qui a du mal à supporter l’ivrognerie et l’absence d’implication de son géniteur… Leurs histoires ne sont pas toujours rigolotes, mais l’auteur a su les rendre vraiment touchantes.
Et il faut parler du Marcheur, bien sûr ! Le Marcheur, c’est cet homme que Josh et Alex suivent depuis toujours, qui a alimenté leurs fantasmes d’espions et d’aventuriers en herbe et qui, aujourd’hui, semble croiser un peu trop souvent la route de l’enquête de Josh… Cet homme est un mystère à lui tout seul et apporte une part non négligeable de questions, tout en contribuant à l’ambiance un peu fantastico-flippante qui se dégage des pages où on le croise – imaginez un grand type au regard totalement halluciné qui erre sans fin et semble à peine avoir conscience de son entourage, le tout sur fond de bourrasques de vent et de cabane dans les bois. Ambiance garantie !

Du côté de l’enquête, comme je l’ai dit au début, pas moyen de s’ennuyer : que l’on soit en train de suivre les interrogations et progrès de Josh ou l’enquête qui piétine de l’agent Kyle du FBI, il y a du suspens à se mettre sous la dent. Et, plus l’on avance, plus l’on se dit que Josh est en train de se frotter à plus gros poisson que lui – sans hurler au complot, on perçoit assez vite les possibles manipulations malhonnêtes cachées derrière l’accident de la mère de Josh. Et plus l’on avance vers la fin du premier tome, plus les révélations se précipitent, jusqu’à l’ultime rebondissement, qui m’a clairement fait regretter de n’avoir pas la suite sous la main !

Un premier tome hyper efficace, donc, que j’ai lu d’une traite, tellement j’étais pressée de connaître la suite et fin des aventures de Josh. J’ai aimé que l’auteur nous livre une intrigue à la fois fantastique, policière et familiale, avec des thèmes maîtrisés qui se mêlent avec bonheur. De plus, le suspens ne se dément jamais et la fin nous offre un retournement de situation magistral !

Flow #1, Mikaël Thévenot. Didier jeunesse, juillet 2016, 187 p.

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De retour en France, Josh est encore sous le choc de la découverte qu’il a faite aux États-Unis. Avec l’aide de son ami Alex et celle de Kyle, un ancien agent du FBI, il va poursuivre son enquête à New-York. Mettant au service de sa mission ses pouvoirs de télépathe, il ne reculera pas devant les dangers qui l’attendent !

On ne change pas une recette qui gagne ! Comme le premier tome, celui-ci se déroule à toute vitesse et ne laisse aucun répit au lecteur.
L’alternance passé/présent reprend et, plus l’on avance dans le récit, plus les pièces du puzzle commencent à s’agencer. Mais avant qu’on ait toutes les réponses, il y a pas mal de suspens, et ce jusqu’aux dernières pages, ce qui pousse à lire le roman d’une traite.
Ceci dit, il y a quand même une question qui reste, jusqu’au bout, sans réponses : d’où vient le pouvoir de Josh et Jenny ? D’autres personnes le possèdent-elles ? Là-dessus, mystère !

Avec cette seconde partie de sa quête, Josh parvient à faire se rejoindre les trames du passé et du présent ; du coup, et c’est intéressant, on découvre des personnages qui, jusque-là, étaient confinés au passé – et aux États-Unis, soit dit en passant. Après les avoir vus agir avec 12 ans de décalage, on se retrouve enfin avec Leonard Cooper et l’agent Kyle du FBI, dans le présent. Cela apporte du sang-neuf et de nouvelles compétences ! À ce titre, Alex gagne l’appui non négligeable d’Héléna, brillante hackeuse de son état.
Tout cela contribue à rendre l’histoire et les personnages crédibles : Josh est une quiche en informatique et a besoin d’Alex ; lui-même n’est pas omnipotent et a besoin de l’assistance d’Héléna. Et, si les deux garçons partent bille en tête pour enquêter aux States, une fois arrivés sur place, il faut être réalistes : ils n’ont que 16 ans et ont besoin d’aide – celle de Kyle, donc, qui apporte un soutien logistique et stratégique non négligeable.

Dans cette succession très prenante de péripéties survoltées, une chose m’a quand même un peu gênée : les dialogues. Dès l’instant où l’on se trouve aux États-Unis, les deux-trois premières répliques de chaque dialogue sont tout en anglais, et non traduites, bien sûr. Alors, certes, cela permet de se mettre dans l’ambiance, au moins jusqu’à ce que l’on repasse au français. Au final, c’est plus agaçant qu’autre chose et, pour tout lecteur non armé en anglais, cela peut s’avérer un tantinet ardu à lire.
Heureusement, le dynamisme de l’histoire fait que l’on passe rapidement outre ces difficultés.

En somme, Mikaël Thévenot propose un diptyque diablement efficace et prenant qui flirte avec le thriller et le fantastique – les pouvoirs de Josh n’étant pas explicités. Tout au long de l’histoire, l’auteur évoque, en filigrane, les relations parents-enfants et montre que, définitivement, la fin ne justifie pas toujours les moyens. Entre passé et présent, Poitiers et les États-Unis, on suit une quête haletante et souvent émouvante, qui tient en deux tomes courts et prenants. 

Flow #2, Mikaël Thévenot. Didier Jeunesse, septembre 2016, 219 p.

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Le vent te prendra, Camille Brissot.

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Écrivain en quête d’inspiration, Locke Wood a loué un appartement au mystérieux Heathcliff dans une haute tour enveloppée de brume. Bientôt le fantôme d’une jeune femme aux cheveux noirs vient hanter ses nuits.
Lorsqu’il se confie à Heathcliff, ce dernier réagit si violemment que Locke, intrigué, se lance sur les traces de son passé…

Prise d’une envie subite de lecture légère, j’ai sorti cette courte romance de ma pile-à-lire. N’ayant qu’une connaissance assez parcellaire des Hauts de Hurlevent, je me fourvoyais totalement sur le compte de cette excellente réécriture !
Car, en effet, Le vent te prendra est une libre réécriture des Hauts de Hurlevent. Et, comme l’œuvre originale, c’est bien plus une œuvre romantique qu’une romance – ce qui, entre nous soit dit, est tout à fait pour me plaire – donc pas franchement « légère » – mais on y reviendra.

Dès le départ, Camille Brissot instaure une ambiance très sombre, due notamment à la ville : le paysage très vertical de Crosswind, barré de tours gigantesques (dont certaines sont délabrées), balayées par de puissantes rafales de vent glacial, marqué par l’exploitation de mines d’uranium, mérite à lui seul le statut de personnage.
Ceux-ci, de leur côté, n’allègent en rien l’ambiance générale. Locke ressemble, dès le départ, à un auteur tourmenté ; quant à Heathcliff, à qui il loue l’appartement dans la tour, « tourmenté » ne suffit pas à décrire l’état d’esprit de ce très curieux personnage. Mais là où les deux hommes s’opposent, c’est que Locke semble d’une grande naïveté et d’une grande fraîcheur, alors qu’Heatcliff semble, chapitre après chapitre, s’enfoncer plus bas dans la méchanceté gratuite. De plus, le premier est très ouvert, pose des questions, s’interroge et déterre le passé ; le second, en revanche, est tout en fermeture et en refus de communication. Du coup, c’est par toutes petites touches – et surtout par l’intermédiaire de Sarah – que l’histoire de Crosswind se dévoile.

En effet, l’auteur use d’un procédé original. Locke, celui par qui nous arrive l’histoire, n’en est pas réellement le protagoniste. Il en est, tout au plus, le rapporteur. L’histoire, elle, se joue entre Anna, Heathcliff, Sarah, Ellis… des années auparavant, au temps de leur prime jeunesse ; une époque qui resurgit, un peu par accident, et qui hante les personnages. Et comme il faut extirper la vérité des mots de chacun, c’est avec une certaine lenteur que l’on découvre les détails, une lenteur qui sied parfaitement à l’ambiance générale.

Celle-ci est donc fortement marquée par la présence de Crosswind : les hautes tours qui barrent le paysage, le spectre de la maladie qui court, les sifflements incessants des rafales de vent et les tombereaux de neige qui déferlent sur la cité embarquent le lecteur avec une grande efficacité. Cet isolement drastique est propice à la naissance de fantômes et des plus fantastiques histoires – et celle-ci l’est indéniablement. C’est d’autant plus étrange lorsque l’on s’aperçoit que nos personnages utilisent également des téléphones portables, des ordinateurs ou internet. De temps en temps, on se rappelle donc que l’on n’est pas réellement au XIXe siècle (comme pourrait le faire croire l’atmosphère) et cela joue considérablement sur l’ambiance à la fois oppressante et onirique qui baigne le récit.

S’inspirant des Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, Camille Brissot signe un très bon pastiche, qui narre bien plus une histoire de douleur et de vengeance que d’amour. Elle s’est remarquablement approprié l’essence du roman initial pour en proposer une transposition totalement originale, qui fascine le lecteur autant qu’elle le laisse muet de stupéfaction devant les profonds tourments dans lesquels se placent les personnages. À découvrir !

Le Vent te prendra, Camille Brissot. Rageot (In Love), mars 2015, 176 p.

En proie au rêve, Saving paradise #1, Lise Syven.

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Faustine Mésanger ne croit pas à grand-chose, sinon au travail. Déterminée à réussir sa vie, la jeune étudiante a déjà presque tout prévu : l’amour, on verra plus tard, priorité à sa carrière qu’elle se charge de construire. Build the future !, c’est justement le slogan fondateur de la Fondation du Griffon, pour laquelle son chercheur de père officie. Cette ONG a pour objectif de rendre le monde meilleur. Charles Mésanger travaille donc d’arrache-pied sur le Tumorex, un vaccin contre le cancer, dont les essais cliniques vont bientôt débuter. Or, il semblerait que la Fondation dérange quelqu’un. En effet, le laboratoire du professeur Mésanger est la cible d’un attentat.
Dès lors, la vie de Faustine bascule : alors qu’elle est emmenée de l’université, elle frôle la mort. La voilà, dès lors, privée de partiels, emmenée à l’abri avec son père au Château de la Griffe Bleue, en Gironde, et mise sous la protection directe et rapprochée de Nato Braye, dont l’exotique charme ne la laisse pas franchement indifférente. Autre problème : Faustine croit entendre sans cesse la voix magnétique de l’homme qui les traque et qui se fait appeler Imago. Stress post-traumatique ? Hallucinations ? … Folie ? L’étrangeté de Chevalier, coordinatrice de la Fondation et propriétaire de la Griffe Bleue, n’arrange rien au problème. Tout le monde est sur les dents, Faustine la première. Et d’autant plus lorsqu’elle comprend que le brillant avenir qu’elle a projeté  est plus que menacé.

Il ne faut pas plus de quelques pages à Lise Syven pour nous installer dans un climat de tension extrême : après avoir appris que son père a survécu à un attentat contre son laboratoire, Faustine est extraite de l’université, mise à l’abri et manque elle-même de se faire tuer. Le récit nous place au même niveau que la jeune femme : on ne sait pas de quoi il retourne, ni comment elle s’inscrit dans la situation. Et ça ne s’arrange pas ! Car non seulement Faustine nage en plein brouillard mais, en plus, l’auteur parvient à nous faire douter de sa santé mentale. Le récit étant opéré à la troisième personne, on en vient à se demander très sérieusement quelle est la part d’hallucinations dans ce que Faustine voit et ressent…. De fait, le suspens est constamment présent.

D’autant que la situation s’y prête vraiment bien : il y a le problème lié à l’attentat, mais aussi les petites bisbilles entre chercheurs (le père de Faustine chapeautant la jeune Marianne, scientifique de génie et quelque peu accaparante), les interrogations de Faustine, le sentiment d’urgence qu’elle place autour de ses partiels et ses sentiments troubles envers son garde du corps – dont la fonction pourrait être à prendre au sens le plus littéral du terme.
Ce mélange de préoccupations est vraiment très réussi et entretient le suspens de bout en bout. En effet, le mystère est maintenu jusqu’à la fin, tant les motivations des uns et des autres restent obscures. Et, au-delà des motivations, on s’interroge aussi sur la nature des protagonistes en présence : à vrai dire, sont-ils bien tous… humains ?

Peu à peu, l’auteur instaure doucement un climat doucement fantastique parfaitement maîtrisé : on doute, on subodore, on revient sur nos hypothèses pour en échafauder de nouvelles et la solution n’est pas clairement annoncée jusqu’à la fin, qui nous laisse avec un demi-milliard de questions en tête et la tenace envie d’en savoir plus !

Côté personnages, Lise Syven a choisi une galerie vraiment intéressante. Faustine, personnage central, n’a aucun pouvoir, ni même quoi que ce soit de particulier. Sa seule raison d’être impliquée est qu’elle est la fille d’un chercheur visé par les opposants. Elle n’a donc aucun pouvoir, ni aucun talent mobilisable dans l’enquête en cours – car elle a d’autres talents ! Cela change des romans habituels où le personnage central est aussi celui qui concentre le talent indispensable. Nato, quant à lui, offre un contrepoint intéressant, notamment en raison de ses ascendances haïtiennes, qui instillent non seulement un peu d’exotisme dans l’histoire, mais aussi un terrain propice à l’installation d’un climat fantastique.

En somme, voilà un premier tome que l’on lit avec toujours plus de questions en tête. Et, si la fin apporte quelques réponses non négligeables, il reste encore plus de points sans réponses, ce qui fait que l’on attend beaucoup de la suite – que j’ai, il va sans dire, hâte de lire !

Saving paradise #1, En proie au rêve, Lise Syven. Castelmore, octobre 2016, 319 p.

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Bastards, Ayerdhal.

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Depuis qu’il a été récompensé par le prix Pulitzer, Alexander Byrd est à court d’inspiration. En désespoir de cause, il envisage de s’inscrire au cours d’écriture créative de Colum McCann, qui attire son attention sur un curieux fait divers, une très vieille dame qui se serait débarrassée de trois agresseurs avec un outil de jardin et la seule aide d’un chat, Cat-Oldie. Entre l’écrivain et la vieille dame naît une relation étrange. Des femmes aussi félines que fatales, sensuelles, protectrices et violentes, font leur apparition dans sa vie, se révélant impliquées dans une étrange guerre dont les racines plongent profondément dans l’histoire… La quête d’Alexander se transforme en une dangereuse investigation qui ravive une guerre entre services spéciaux impliquant cette mystérieuse matriarche, et le conduit à requérir l’assistance de ses amis Norman Spinrad et Jerome Charyn…

Aaaaaah, voilà une lecture qui m’aura hautement enthousiasmée ! À tel point que je regrette de n’avoir pas lu de roman d’Ayerdhal plus tôt !

Déjà, cela commence fort bien, avec un personnage principal auteur, accablé par le syndrome de la page blanche depuis son prix Pulitzer. En recherche d’inspiration, il croise donc un tas d’autres auteurs, parmi lesquels Colum McCann, Jérôme Charyn, Paul Auster ou Norman Spinrad, dont certains tiennent même des rôles absolument capitaux !
Voilà pour les hommes. Non parce qu’en fait, ce sont plutôt les femmes qui tiennent la dragée haute dans ce roman ! Et quelles femmes ! Alex, en effet, a le don de faire tourner les têtes : s’il pense toujours à son épouse (décédée dans les attentats du 11 septembre) et passe volontiers du bon temps avec Maria, sa meilleure amie, il ne tarde pas à rencontrer quelques perles rares parmi les recrues de Cat-Oldie.
Celle-ci semble régner sur une véritable organisation matriarcale, qui regroupe des femmes aussi rusées que puissantes ! Bien vite, on se retrouve à revisiter les mythes liés au chat, à l’Égypte ancienne et, bien sûr, à la féminité. Et je vais m’arrêter là afin de ne pas divulgâcher bêtement l’intrigue, car au vu de la qualité, ce serait franchement dommage.

Ayerdhal tisse les intrigues, entrecroise les destinées des personnages et les niveaux. Résultat, l’histoire flirte avec le thriller, le roman d’espionnage et le récit à tendance mythologique. L’auteur joue des codes des trois genres en virtuose, à un rythme qui ne laisse au lecteur aucune répit. Le roman, d’ailleurs, est découpé en grands actes, à la façon d’une pièce de théâtre, avec prologues annonciateurs et pleins de mystères, entractes et épilogues réussis. Difficile de s’arrêter entre les scènes et les actes tant l’histoire est prenante !
Avec ça, l’auteur joue sur mythes de l’Egypte antique et sur ceux liés aux guerres inter-services spéciaux. Le mélange entre antiquités et hyper-modernité est parfaitement réussi ! Hormis une ou deux résolutions un peu faciles, l’intrigue est excellente de bout en bout.
Et la plume ! Volontiers poétique, riche, travaillée, elle souligne à merveille l’histoire.

Excellente découverte donc, que ce roman d’espionnage signé Ayerdhal ! C’est vif, prenant, complexe, parfois un peu baroque et génial de bout-en-bout. Au passage, l’auteur en profite pour évoquer avec une grande justesse la façon dont certains milieux très fermés organisent le contrôle du monde. Et c’est un volume unique ! Vous n’avez donc plus aucune raison de passer à côté !

Bastards, Ayerdhal. Le Livre de Poche, février 2016, 648 p. 

Créatures célestes, Yin et le dragon #1, Richard Marazano & Xu Yao.

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Shanghai 1937. L’armée impériale japonaise a fait main basse sur une large partie de la côte chinoise. En ces temps de tristesse, la menace de l’antique prophétie plane, celle de l’invincible dragon noir Gongong qui doit venir anéantir les hommes quand le désespoir et la haine régneront. Yin, petite fille d’une dizaine d’année, est élevée par son grand-père pêcheur, Liu. Un soir, alors que Liu sort en mer, Yin se faufile sur le bateau. Soudain une bête puissante se débat dans ses filets : un dragon d’or, blessé, que Yin convint son grand-père de cacher et de soigner… Une décision qui les emmènera bien plus loin qu’ils ne le pensaient. Heureusement, Yin a plus d’un tour dans son sac.

Voilà un premier tome de série réussi ! Déjà car il est difficile de ne pas craquer pour la bouille irrésistible de Yin !
Richard Marazano met en scène des personnages très attachants : Yin, on l’a vu, est une délicieuse petite fille. Débrouillarde, fine, elle a aussi bon cœur et sait faire preuve de ruse quand il le faut. Son grand-père, quelque peu dépassé par les facéties de sa petite-fille doit à la fois subvenir aux besoins de sa famille et faire avec l’occupation japonaise, qui n’est rien moins que tendre. De ce côté-là, on suit d’ailleurs un capitaine dont les motivations semblent troubles : n’est-il qu’un occupant brutal ou a-t-il des sympathies pour les occupés ? Ses actes laissent, pour l’instant, pencher pour la deuxième option, et viennent nettement nuancer les actes de ses compatriotes.

Ce premier volume sert à mettre en scène personnages, décor et ambiance. De ce côté-là, l’intrigue mêle avec une grande habileté Histoire chinoise et intrigue proprement fantastique liée au dragon et à la prophétie, les deux pans occupant des parts égales. Et difficile de savoir lequel passionne le plus. Au premier rang, on observe la façon dont les Japonais s’approprient le territoire et la façon dont les habitants tentent de cohabiter malgré la peur et les sévices. De l’autre, Marazano met en scène la – très – difficile cohabitation entre Yin, son grand-père et le dragon. Y parviendront-ils ? Question que l’on peut, de fait, appliquer aux Chinois et Japonais.
Autre inquiétude : que manigancent, au juste, ces derniers ?

Si l’histoire est assez posée et suit un rythme plutôt calme, ces questions en suspens induisent un suspens qui se maintient tout du long. Et ce n’est pas la révélation finale qui le fait retomber !

Xu Yao, au dessin, magnifie l’histoire de son trait plein et rond, souligné par des couleurs sombres, relevées par les ocres du dragon. En un mot : sublime !

Créatures célestes débute en douceur la trilogie. En mêlant aussi habilement mythologie chinoise et guerre sino-japonaise, Richard Marazano et Xu Yao signent un album soigné, dynamique, très prenant et dont on attend – évidemment – impatiemment la suite. 

Yin et le dragon #1, Créatures célestes, Richard Marazano et Xu Yao. Rue de Sèvres, janvier 2016, 54 p.

Le Dernier songe de Lord Scriven #1, Eric Senabre.

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Christopher Carandini, dit Toph, est un journaliste fini. Lui qui a régalé ses lecteurs de scandales et de révélations croustillantes a chatouillé le client riche et bien introduit de trop. Le voilà sans travail, à la rue, et interdit de rédactions. Il postule alors à une petite annonce l’invitant à travailler à Portobello Road, pour le compte d’un certain Arjuna Banerjee… sur le sommeil duquel il doit veiller. Facile, non ? Sauf que Banerjee est un genre d’enquêteur, sorte de Sherlock Holmes surdoué… du songe. Pour résoudre les problèmes qu’on lui soumet, après avoir écouté un topo complet de la situation, il se livre à une sieste de vingt-six minutes – pas une de plus ! – qui lui permet de démêler l’écheveau.
Cette fois, on leur demande d’enquêter sur le très mystérieux décès de Lord Scriven, marchand d’armes de son état, retrouvé mort dans son bureau hermétiquement clos de l’intérieur… et manifestement assassiné. Mais le plus bizarre, c’est que c’est Lord Scriven lui-même, dont l’âme s’est réfugiée dans le corps de son secrétaire, qui leur demande d’enquêter ! Qui avait intérêt à ce que Lord Scriven meure ? Qui pouvait en vouloir à sa famille, à son industrie ? Mystère… Voilà Carandini et Banerjee lancés aux trousses des malfaiteurs !

Le Dernier songe de Lord Scriven est un roman aux multiples influences et facettes, qui se lit avec plaisir !
C’est avec précautions que l’auteur nous plonge dans son univers : on découvre tout d’abord, via l’embauche de Christopher, les méthodes fort peu conventionnelles – mais néanmoins efficaces – de Banerjee. L’élément fantastique surgit dès qu’il est question de la transmigration des âmes, avec le passage de celle de Lord Scriven dans le corps de son secrétaire – élément qui, jusqu’à la fin, reste bien présent, mais en arrière-plan, comme simple donnée de l’univers.

Ce sont les enquêtes qui ont la part belle, notamment celle autour du décès de lord Scriven (il y en a quelques-unes avant que l’on n’attaque le gros morceau). Alambiquée et complexe, elle fait appel à la géopolitique et au contexte international : l’histoire se déroule au début du XXe siècle et la politique internationale de l’époque ne laissait guère de place à la fête ! Par ailleurs, le décor est extrêmement soigné : entre la boutique d’antiquités de Banerjee dans Portobello Road, les salles de rédactions (que l’on imagine enfumées) et les manoirs classieux faisant étalage de domestiques, on s’y croirait réellement. D’autant que tout est à l’avenant !

Le rythme est maintenu de bout en bout, ce qui fait qu’on ne s’ennuie pas un instant. On aurait pu croire, au vu des méthodes utilisées par Banerjee et Carandini, que la lassitude s’installerait rapidement mais pas du tout ! En fait, les recherches oniriques menées par Banerjee, hautement symboliques, précèdent un certain nombre d’actions proprement trépidantes, notre duo d’enquêteur ne reculant devant rien pour obtenir des infos. D’ailleurs, plus on galope vers la fin, plus le suspens est prenant.

Finalement, la seule limite vient du côté légèrement superficiel des personnages : si l’on sait que Banerjee est un maître de spiritualité et qu’il y a des choses dans le passé de Christopher, difficile d’en apprendre vraiment plus. Par ailleurs, leurs interactions se limitent à l’enquête en cours : ainsi, entre Leonora et Christopher, rien n’arrive en dehors de l’enquête – rien qui ne nous soit rapporté, en tout cas. C’est un peu dommage mais, dans la mesure où l’auteur annonce un deuxième tome, on peut espérer (au vu de la conclusion) en apprendre plus par la suite !

Avec Le Dernier songe de Lord Scriven, Éric Senabre nous propose un très bon roman policier destiné aux adolescents (dès 12-13 ans). L’intrigue, complexe, est servie par une ambiance délicieusement victorienne, dans une Angleterre prise par les enjeux politiques internationaux et par des enquêteurs aux méthodes fort peu banales, que l’on a hâte de retrouver dans une prochaine aventure. 

Le Dernier songe de Lord Scriven #1, Éric Senabre. Didier Jeunesse, février 2016, 250 p.

ABC-imaginaire-2016

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