La Fabrique de doute, Paolo Bacigalupi.

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Toute la vie d’Alix n’est qu’un mensonge. C’est ce que ne cesse de dire le jeune homme mystérieux qui la traque et porte des accusations troublantes contre son père. Elle commence alors à enquêter : son père serait à la tête d’une entreprise qui manipule l’information à des fins lucratives. Est-il possible qu’il couvre les méfaits d’entreprises qui ont entraîné la mort de centaines de personnes ? Le séduisant Moïse et le groupe radical de militants adolescents dont il est le leader, pourraient-ils être dans le vrai ? Alix doit faire un choix, et le temps lui est compté. Mais prendra-t-elle le risque de dénoncer le père qui l’aime et l’a élevée ?

Alix a une petite vie bien tranquille, jusqu’au jour où un gigantesque canular, au lycée, la place dans une position désagréable : 2.0, la bande qui a monté la farce accuse son père de manipuler les masses, en couvrant les méfaits d’entreprises pharmaceutiques faisant leur business sur la mort des gens qu’ils sont censés soigner. Impossible. Alix connaît bien son père et ses parents. Certes, elle fréquente une école très huppée, vit dans une gigantesque maison, et profite des moyens apparemment sans limites dont semble disposer son père. Mais quand même ! Impossible. D’ailleurs, l’affaire semble s’arrêter là… avant de repartir de plus belle et de placer Alix face à ses responsabilités.

Voilà un excellent thriller que nous propose Paolo Bacigalupi ! Tout d’abord à cause de la personnalité d’Alix. Si elle en a l’air, la jeune fille n’a rien d’une petite dinde écervelée : elle a un cerveau et elle n’hésite pas à s’en servir, et plutôt bien avec ça ! Mais contrairement à la plupart de ses congénères (entendons les héros et héroïnes de récits young-adults), Alix n’embrasse pas la cause avec autant de ferveur que d’aveuglement crasse en deux secondes. Loin de là. Lorsqu’on lui demande de trahir les siens, Alix accepte. Avant de prévenir qui de droit du double-jeu qu’on lui demande de jouer. Et ça, c’est parfaitement réaliste.
En effet, Alix a foi en ses parents : ne pas se livrer au chantage est donc une réaction parfaitement normale. Au vu de la promptitude des protagonistes habituels à jeter aux orties leurs convictions passées dans les romans, on peut dire que la franchise et la confiance (peut-être naïve, certes !) d’Alix sont rafraîchissantes !

Ce réalisme se retrouve dans l’intrigue elle-même. Point de théorie du complot ou de touches de science-fiction : et pourtant, l’histoire fait aussi froid dans le dos qu’un bon roman d’anticipation. Imaginez un peu, des sociétés dont le travail consiste à procurer une virginité aux géants pharmaceutiques afin de dissimuler les torts – mortels – qu’elles causent et à ensevelir les rapports publics mettant en doute la sécurité des produits, en les taxant de manque d’objectivité. 2.0 appelle la société du père d’Alix « La Fabrique de doute ».
Et on parle de centaines de milliers de victimes, à peine évoquées dans les journaux et autres publications grand public, enterrées sans plus de cérémonie par le travail colossal fourni par la Fabrique. Or, la façon dont Paolo Bacigalupi présente les montages et l’ensemble de l’affaire est, elle aussi, parfaitement réaliste… et donc terrifiante. Difficile, après ça, de prendre sereinement les banals antidouleurs qu’on peut avoir l’habitude de sortir au moindre bobo.

Et avec ça, on touche du doigt à un sujet – malheureusement ! – au cœur de l’actualité la plus brûlante : la dissimulation de la vérité dans l’espace public ou, pas mieux, la déformation de l’information publique pour de l’argent afin de permettre à des magnats de l’industrie et à des politiciens véreux de continuer à faire leur beurre. Et il faut se rendre à l’évidence : lutter contre cette engeance-là est loin d’être une évidence.

Du coup, 2.0 (et Alix, dans une certaine mesure) est obligé de mettre les bouchées doubles afin de trouver des solutions efficaces et innovantes, aptes à, d’une part, contrecarrer les plans de la Fabrique et, d’autre part  – point plus essentiel – à attirer l’attention des médias (le nerf de la guerre dans ce genre d’affaires). Parallèlement, on voit comment le père d’Alix et ses comparses – milices privées et FBI à l’appui – essaient de les contrer. Le jeu des uns envers les autres est passionnant.
La narration, de son côté, s’intéresse tour à tour à tous les personnages et ça aussi, c’est passionnant. Car, mine de rien, à force de les suivre tous, ils s’humanisent et on se retrouve à compatir sincèrement aux angoisses et questionnements de tout un chacun, même les plus pourris. Et encore plus intéressant, si c’était possible : l’auteur ne fige pas son récit. Malgré les péripéties et les progressions, c’est sur une fin ouverte que s’achève l’histoire, ce qui rend le propos d’autant plus percutant !

Avec La Fabrique de doute, Paolo Bacigalupi signe un excellent thriller, porté par des personnages creusés et très humains. L’ensemble est parfaitement mené et atteint un degré encore supérieur dans le dernier quart, véritable concentré d’action, de suspens et d’émotions. Sans se montrer vindicatif ou adepte de théories complotistes, l’auteur cherche à sensibiliser le lecteur avec une intrigue qui interroge l’éthique pharmaceutique. Et il y arrive. Un vrai coup de cœur !

La Fabrique de doute, Paolo Bacigalupi. Au Diable Vauvert, 2015, 457 p.

10 commentaires sur “La Fabrique de doute, Paolo Bacigalupi.

  1. Zina dit :

    Tiens j’étais passée à côté de cette sortie ! Je note !

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  2. […] coup de cœur (deux dans le mois, du jamais vu !) pour La Fabrique de doute, de Paolo Bacigalupi, un thriller young-adult qui tire la sonnette d’alarme sur les […]

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  3. Acr0 dit :

    Ces derniers mois, je suis de très loin les nouvelles parutions. Donc j’ai été étonné de trouver ce livre-ci en littérature jeunesse dans une des librairies que je « côtoie ». Même la couverture ne me donnait pas d’indice. Mais du coup, je suis intriguée ! A voir si le côté thriller peut me convenir 🙂 Bon, tu lui as décerné un coup de cœur, quand même.

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    • Sia dit :

      Eh bien j’avais raté son annonce de sortie aussi, figure-toi. J’aime beaucoup la couverture, je la trouve parfaite pour l’intrigue ! Et je ne me suis rendue compte du coup de cœur qu’après avoir terminé (comme souvent, d’ailleurs).

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  4. NovaBaby dit :

    Cette revue m’a motivée, il vient de rejoindre ma wish-list !

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  5. Lupa dit :

    Je trouve le contexte de ce roman vraiment intéressant, et connaissant le talent de l’auteur, découvert dans La fille automate, je suis convaincue que ce nouveau titre doit en avoir dans le ventre ! Merci pour cette découverte fort alléchante 🙂

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  6. […] romans noirs, thrillers. Une terre d’ombre, Ron Rash. La Fabrique de doute, Paolo Bacigalupi. Au fer rouge, Marin […]

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