Il, Loïc Le Borgne.

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À Templeuve, personne n’aime les fauteurs de troubles. Les ados du coin jouent les caïds et les adultes se méfient comme de la peste des inconnus. Cet été-là, Élouan, treize ans, passe les vacances chez sa cousine. Il suffit de quelques jours pour que son comportement attire l’attention de tout le village. Il a un lien particulier avec les animaux et anticipe les réactions de chacun comme s’il lisait dans les pensées. Ce garçon n’est pas normal, il ressemble à ces «mutants» dont on parle aux informations. À Templeuve, les hommes ne se laissent pas impressionner. Que la traque commence.

Et voilà le nouveau roman de Loïc Le Borgne, au rayon jeunesse ! Dès les premiers chapitres, le ton est donné : Élouan n’est même pas encore arrivé à Templeuve qu’on sent planer une ambiance pesante sur le village. Il est bordé par une friche industrielle – une entreprise ayant fermé – dans laquelle les petits caïds locaux jouent à se faire peur et à devenir de vraies terreurs reproduisant, pour certains, les comportements de leurs parents. C’est ainsi que l’on découvre Valentin, jeune coq chef de bande ayant néanmoins bon fond, dont le second, nettement moins modéré, aspire à être calife à la place du calife. Et pour un simple différend avec Élouan, ceux-là vont décider d’emblée que le garçon est étrange, un peu trop pour son bien.

Mais que lui reproche-t-on, au juste ? Si l’on regarde bien, ce que l’on reproche à Élouan, c’est de ne pas entrer dans le moule, de ne pas être dans la sacro-sainte «norme». Et, si l’on y pense bien, c’est un problème assez courant. Réfléchissez bien : combien de personnes, dans votre entourage, harcelées pour ne pas se conformer au cliché qu’on attend de les voir respecter ? Malheureusement, le sujet est pile poil dans l’actualité…
Loïc Le Borgne va, ainsi, évoquer plusieurs sujets de société au travers de l’histoire. Le harcèlement, donc, mais aussi les maltraitances (dont est victime Valentin) qu’elles soient issues de camarades ou de membres de la famille. À côté de cela, il y a aussi l’aveuglement collectif et la malsaine émulation à laquelle peut mener un groupe. Terrifié, le village se regroupe autour de ses leaders, aux idées rétrogrades et bascule, peu à peu, dans un système répressif qui n’a rien à envier aux heures les plus sombres des gouvernements totalitaires. Si la famille de Romane est « gentiment » priée de dégager, il est prévu de, au mieux, remettre Élouan – en sa qualité de mutant – aux autorités, au pire, le passer par les armes.

Si le roman, avec la présence des mutants aux capacités cognitives supérieures à celles de l’Homo Sapiens, flirte du côté de l’anticipation, il n’en est pas moins réaliste. En effet, si l’on se penche sur l’Histoire, on s’aperçoit assez vite que plusieurs espèces humaines ont cohabité (Néandertal et Homo Sapiens, par exemple), avant qu’une ne supplante l’autre. L’arrivée d’une nouvelle espèce, issue de mutations génétiques spécifiques, est donc loin d’être tirée par les cheveux. L’auteur a choisi de placer son récit en 2019 mais la validité de l’hypothèse scientifique, le fait que les paysages soient familiers (l’histoire se déroule dans le Nord de la France et l’environnement est identique à celui d’aujourd’hui) et, enfin, les réactions bêtes et méchantes mais malheureusement hyperréalistes des villageois contribuent à rendre le roman extrêmement réaliste. Et c’est bien ce qui rend cette anticipation si terrifiante : si on se sentait moins proche de ce qu’il décrit, on ne s’effraierait pas de lire le compte-rendu tragique des événements…

Heureusement, tout n’est pas si pourri au royaume de Templeuve. Car si l’histoire prouve que le groupe fait rarement preuve d’intelligence et qu’il est extrêmement difficile de s’y opposer sans y laisser des plumes, l’auteur nous taille quelques belles figures de résistants, capables de camper sur leur position, malgré les déchirements que cela implique. Ainsi, il évite tout effet de sinistrose et permet de réinsérer une belle note d’espoir dans un roman, globalement, assez sombre.

Il est donc un très bon roman d’anticipation, très lisible et facile d’accès. L’histoire démarre assez vite et on se sent happé dès les premières pages par l’ambiance excessivement pesante qui règne sur le récit. À travers l’histoire de ces mutants persécutés, Loïc Le Borgne évoque des sujets de société d’importance avec autant de justesse que d’intelligence. Voilà un roman qui met en avant de belles valeurs et fait réfléchir sur notre monde ! À mettre entre toutes les mains. 

Il, Loïc Le Borgne. Syros, 2015, 259 p. 

3 commentaires sur “Il, Loïc Le Borgne.

  1. Lupa dit :

    Je ne connaissais pas du tout ce roman, et comme toujours quand je passe par ici, ton enthousiasme est communicatif 😉 Merci !

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    • Sia dit :

      Merci à toi ! J’avais lu un autre roman de Loïc Le Borgne quand j’étais plus jeune (le titre m’échappe mais je suis presque sûre que c’était chez Autres Mondes) et j’avais beaucoup aimé aussi.

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