La Marche du prophète, Aeternia #1, Gabriel Katz.

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Leth Marek, champion d’arènes, se retire invaincu, au sommet de sa gloire. Il a quarante ans, une belle fortune et deux jeunes fils qu’il connaît à peine. C’est à Kyrenia, la plus grande cité du monde, qu’il choisit de les élever, loin de la violence de sa terre natale. Lorsqu’il croise la route d’un culte itinérant, une étrange religion menée par un homme qui se dit prophète, l’ancien champion ignore que son voyage va basculer dans le chaos. À Kyrenia, où l’on adore la Grande Déesse et les puissants du Temple s’entredévorent, une guerre ouverte éclate entre deux cultes, réveillant les instincts les plus noirs. La hache de Leth Marek va de nouveau tremper dans le sang. Le plus violent des combats est celui que l’on mène contre ses propres croyances.

Nouvelle série pour Gabriel Katz ! Et on retrouve le même univers, puisque l’on va à … Kyrenia. La capitale des arts, des lettres, de la beauté et de la civilisation, déjà citée dans Le Puits des Mémoires et Maîtresse de guerre néophytes, rassurez-vous : toutes ces histoires sont indépendantes. Kyrenia est un havre de paix qui fait rêver Leth Marek, solide gladiateur à l’orée de sa retraite et au faîte de sa gloire. Gloire d’arène, uniquement : car Leth Marek, désormais fort riche, récupère deux fils adolescents dont il n’a pas le mode d’emploi, qu’il espère bien voir grandir tranquillement, mais à qui il n’a, somme toute, pas grand-chose à dire. Ce qui l’ennuie au plus haut point et le déstabilise. Mais c’est bientôt le cadet de ses soucis, car la petite famille croise la route d’un culte itinérant rendu à une obscure divinité sortie des tréfonds du richissime panthéon : Ochin. Ochin qui menace, évidemment, l’hégémonie du culte officiel, dont les sbires – armés jusqu’aux dents – n’aiment rien moins que traquer les fidèles – surtout s’ils sont jeunes et jolies. C’est comme ça que démarrent les ennuis de Leth Marek qui, bien malgré lui, met le pied dans ce qui n’est encore qu’un petit conflit, mais devient bientôt une bonne guerre de religion dans les règles de l’art.

Puisque le gros mot est lâché, allons-y : comme il faut s’y attendre, on ne rigole pas devant Aeternia. Mais, pas de panique, la gouaille habituelle de l’auteur est là : moins prononcée que dans ses autres romans, peut-être, mais pas totalement absente non plus – et il faut bien rire, de temps en temps, de la bêtise crasse des hommes si on ne veut pas se mettre à sangloter bêtement. N’empêche que le sujet est terrible : il n’est, en temps normal, pas difficile de percevoir l’inanité de telles luttes, mais quand on y assiste par le prisme de la fiction, on se rend compte à quel point les querelles sont vides de sens.
Du sens, justement, la vie de Leth Marek n’en a plus beaucoup – et ça aussi, c’est assez terrible. Arraché par les tenants de la Déesse, remis en cause par ceux d’Ochin, le sens de la vie de Leth Marek joue à la girouette et les émotions du type avec, ce qui est particulièrement intéressant, car l’auteur s’attache finement à la psychologie des personnages. Leth est une grosse brute, avouons-le, mais une grosse brute au cœur d’or, qui en a très certainement un peu trop vu pour son propre bien. Rapidement, il va fonctionner en duo avec un autre guerrier, plus fin, Desmeon – un genre de Nils en plus bavard et bravache. Radicalement opposées, les deux personnalités se complètent à merveille, offrant (notamment) des dialogues assez savoureux. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont des philosophies de vie assez différentes, qui font ressortir une pluralité de point de vue bienvenue. Et l’auteur ne s’arrête pas à l’attachant duo ! Il choisit aussi pour protagoniste (ou antagoniste ?) un jeune disciple de la Déesse, Varian, modéré, mais quasiment sûr d’être dans son bon droit. On passe donc d’une bande à l’autre au gré des chapitres, chacun ayant l’occasion d’afficher ses convictions et points de vue : c’est riche cela nous permet de peser le pour et le contre. Entre le trio se coulent également quelques figures féminines bien tournées, qui viennent tour à tour exalter, tempérer ou soutenir les personnages.
Le plus intéressant, finalement, c’est de les voir se poser des questions, douter de leurs convictions, remettre en cause les assertions et commandements de leurs supérieurs et figures tutélaires. C’est vraiment ce qui fait la richesse du roman !

Comme le sujet de la discorde est religieux, l’auteur en profite pour étudier la chose sous tous ses – tristes – angles : fanatisme borné, propagande abusive, extrémisme brutal, prosélytisme à outrance, manipulations subtiles, auto-aveuglement… toutes les dérives y passent et on perçoit avec acuité combien c’est idiot. Idiot et tragique. Je l’ai déjà dit, on ne se marre pas des masses avec Aeternia, non pas parce que le livre manque d’humour (loin de là !), mais parce que le sujet est affreusement bien traité et renvoie à l’actualité.

Mais parmi toutes ces bonnes choses, il y a quand même un – tout petit – point qui fâche : l’univers semble moins complexe et travaillé que précédemment. En soi, ce n’est pas gênant, mais quand on pense à l’agréable complexité de l’univers de Maîtresse de guerre, on déplore quelque peu de ne pas retrouver la même chose ici !

Malgré ce point minime, La Marche du prophète introduit le diptyque Aeternia avec l’efficacité que l’on connaît à Gabriel Katz : l’histoire est extrêmement fluide et l’auteur démontre à nouveau sa grande maîtrise de l’art du cliffhanger – notamment sur la fin… patience, le tome 2 débarque fin août ! 
Le sujet, autour des guerres de religion et de la manipulation, est rudement bien traité et, vu la façon dont tout cela s’est agencé jusque-là, promet de beaux développements. En somme, voilà encore une affaire à suivre !

◊ Dans la même série : L’Envers du monde (2).

◊ Dans le même univers : La Traque (1) ; Le Fils de la Lune (2) ; Les Terres de Cristal (3).
La Maîtresse de guerre.

Aeternia #1, La Marche du prophète, Gabriel Katz. Scrinéo, 2015, 374 p.

 

ABC Imaginaire 2015

 

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21 commentaires sur “La Marche du prophète, Aeternia #1, Gabriel Katz.

  1. Camille dit :

    Oh la la moi qui ne savait pas trop comment écrire ma chronique, je devrais copier la tienne! 😛 Tu as tout dis bien justement! Par contre, je n’aurais pas comparé Desmeon à Nils… Je le trouve complètement différent!

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    • Sia dit :

      Ho, tu trouves ? Je me suis fait la même réflexion en lisant ta chronique !!
      En fait quand Desmeon a débarqué, j’ai pensé à Nils et, bien qu’ils soient en effet totalement différents, ça m’est resté ^^

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      • Camille dit :

        Je lui trouvais un petit air Olen au départ moi! ^^ Mais j’ai vite vu qu’il n’était pas du tout pareil! Et puis Olen me donnait envie de le taper alors que Desmeon je l’aime bien! Mais j’ai envie d’en savoir plus sur lui, il est trop mystérieux!

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      • Sia dit :

        Hooo maintenant que tu le dis, c’est vrai qu’il a aussi un petit côté Olen 😀 Pareil, j’ai trop envie d’en savoir plus !

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  2. bea285 dit :

    Je pense commencer par Le puits des mémoires. Mais j’ai vraiment hâte de commencer la plume de Gabriel Katz. D’autant que l’auteur est plus que sympathique en dédicace. 🙂

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  3. solessor dit :

    Ah ah, on sent les adeptes de Desmeon par ici ! Je pense que vous allez (qu’on va, en fait) être servies dans le tome 2 ! 😉
    Je n’ai pas ressenti ce manque par rapport au monde en arrière-plan, parce que je n’ai pas lu ses autres romans pour l’instant. Du coup, je suis hyper curieuse, ça va être dur de ne pas s’y attaquer tout de suite !

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  4. Miss Violette dit :

    Ah, alors il va me falloir lire « La Maîtresse de guerre » d’urgence (le seul Katz qu’il me reste pour le moment à découvrir). Merci, en tout cas, pour cette belle critique, elle reflète ce que j’ai ressenti à la lecture de ce roman.

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  5. Lupa dit :

    Moi aussi je pense commencer par Le puits des mémoires. C’est la Katz-mania en ce moment j’ai l’impression ! Je vais sûrement devoir succomber très vite, sous peine d’être complètement has benn très bientôt 😀

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  6. valeriane dit :

    Beaucoup d’avis fort positifs par rapport à ce livre!
    Ca donne envie de l’ajouter à sa « Liste à Lire »….
    Je ne connais Katz que de nom (vu dans la Pile à Lire de ma comparse Acr0)… et il me tente quelque peu.

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