Royaume de vents et de colères, Jean-Laurent Del Socorro.

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1596. Deux ans avant l’édit de Nantes qui met fin aux guerres de Religion, Marseille la catholique s’oppose à Henri IV, l’ancien protestant. Une rébellion, une indépendance que ne peut tolérer le roi. À La Roue de Fortune se croisent des passés que l’on cherche à fuir et des avenirs incertains : un chevalier usé et reconverti, une vieille femme qui dirige la guilde des assassins, un couple de magiciens amoureux et en fuite, et la patronne, ancienne mercenaire qui s’essaie à un métier sans arme. Les pions sont en place. Le mistral se lève. La pièce peut commencer. 

En 1596, Marseille était une République. Et Henri IV avait beau n’être qu’un souverain convers mal accepté, ce petit coin de république titillait sa royale autorité. Et il n’y a rien de moins tâtillon qu’un roi au règne contesté. Ni une ni deux, il va donc faire marche sur Marseille.

À Marseille, chacun vit sa vie. Axelle et Gilles, anciens mercenaires, sont devenus aubergistes. Gabriel, ex-protestant converti au catholicisme, chevalier, loge chez Axelle et Gilles, à la Roue de Fortune et offre ses services au consul marseillais. Armand et Roland, des Artbonniers, magiciens redoutés, fuient le pouvoir royal qui aimerait les avoir sous sa coup, et prennent une chambre à l’auberge. Victoire, de son côté, dirige la très lucrative et très canaille guilde des savonniers, couverture de la pègre locale, et fomente l’assassinat du consul de Gabriel. Et loge, justement ce jour-là, à la Roue de Fortune.
La Roue de Fortune devient, assez vite, le centre névralgique de l’affaire. Chacun, à sa façon, a un rapport avec l’ost royal qui s’apprête à débarquer, mais les rôles vont être bien partagés. D’autant que, si les trajectoires passent toutes par l’auberge et s’entrecroisent, elles n’ont parfois que peu de rapport – hormis celui, géographique, de cette auberge.

L’histoire est conçue à la manière d’une pièce de théâtre. Chapitre après chapitre, on découvre une nouvelle voix, qui lève le voile sur un petit coin d’intrigue. Chaque personnage permet d’éclairer une part du conflit en cours et, peu à peu, l’intrigue socio-politique se construit. Ce qu’il y a de fantastique, c’est que l’histoire ne manque ni d’adrénaline, ni d’hémoglobine. Mais c’est vraiment l’intimité des personnages qui construit toute l’intrigue ! D’ailleurs, la longue analepse centrale permet, d’une part, de mieux comprendre les différents parcours et, d’autre part, de mieux situer les différents personnages sur l’échiquier.
Cette partie centrale entretient aussi un savant suspens : on a laissé tous les personnages en plan dans le présent en mourant d’envie de savoir ce qu’il va leur arriver et leurs parcours respectifs sont, eux-mêmes, pleins de tension ! On se surprend à ronger son frein en progressant dans l’histoire !
Hormis cette analepse, l’intrigue se déroule sur seulement 24 heures, et entièrement à Marseille : une vraie pièce de théâtre, vous dit-on !

Le contexte historique est fascinant : on a l’impression de déambuler dans les rues de la cité phocéenne, de découvrir les différents quartiers, tout en se familiarisant avec la (complexe !) politique de l’époque. Le roman, d’ailleurs, tient presque plus du roman historique que de la fantasy historique, tant la magie y est ténue et, surtout, bien ancrée dans le paysage – comme les croyances de l’époque, somme toute. L’équilibre entre les deux est tout bonnement excellent.

Côté personnages, l’auteur joue sur les personnages choisi pour nous surprendre. Ainsi, le capitaine de la garde est une femme, qui a fini par s’installer avec son homme dans une auberge, pour fonder une famille. Problème : si les repas n’ont plus de secrets pour elle, le concept de «famille» semble lui poser quelques soucis et elle s’interroge sur son rapport à la maternité et aux armes – et c’est passionnant ! En fait, chacun ou presque permet de développer un thème. La conversion de Gabriel va permettre de parler de la foi et de la religion ; les Artbonniers, l’addiction (au pouvoir, à la drogue…). Et tout ça habilement intégré dans le récit : l’auteur ne fait pas de thèse, ne nous inculque aucune leçon, c’est génial ! (Mais peut-être l’ai-je déjà dit ?).

Finalement, ma seule réserve viendra de la nouvelle placée en fin d’ouvrage, qui développe le personnage de Gabin, nous expliquant son histoire, son lien avec certains des personnages et comment il en est arrivé à la Roue de Fortune. Diablement intéressant, mais j’aurais préféré l’apprendre dans le corps du récit ; je ne suis pas fan de la nouvelle additionnelle, de fait. Par ailleurs, si j’ai adoré l’effet «pièce de théâtre», en fermant le livre, je me suis fait la réflexion… que c’était trop court à mon goût, j’en aurais voulu plus !

Royaume de vents et de colère est le premier roman de Jean-Laurent del Socorro, et quel roman ! L’auteur offre une brève aventure de fantasy historique au cadre léché, et au sujet très original, puisque l’intrigue se déroule sous la République de Marseille. Les personnages sont complexes à souhait et l’intrigue socio-politique se dessine au travers de leurs ambitions et parcours, dans un récit qui n’est pas sans rappeler une pièce de théâtre rondement menée. En somme, voilà un premier roman de fantasy historique de haut vol !

Royaume de vents et de colère, Jean-Laurent Del Socorro. Actusf, 2015, 280 p.

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24 commentaires sur “Royaume de vents et de colères, Jean-Laurent Del Socorro.

  1. Ce livre a vraiment l’air interessant et je sens qu’il va vite arriver dans ma PAL 🙂

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  2. Et bien, je ne connais pas du tout mais ça a l’air vraiment super et tu me donnes bien envie 🙂

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  3. BlackWolf dit :

    Une excellente lecture qui donne envie d’en apprendre plus. Par contre contrairement à toi j’ai bien aimé l’aspect nouvelle additionnelle, ça permet de rester un peu plus dans l’univers et je ne suis pas vraiment sûr qu’à l’intérieur du récit l’histoire de gabin aurait eu la même force.

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    • Sia dit :

      Je me rends compte que mes désirs sont totalement irréalisables : avoir cette histoire dans le roman aurait été nettement moins percutant, comme tu le soulignes. En fait, je ne suis pas du tout familière de la nouvelle additionnelle : ce n’est peut-être qu’un coup à prendre ! En tout cas, je guetterai l’actualité de l’auteur 🙂

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  4. Camille dit :

    Oh ça donne envie! 😀

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  5. Ptitetrolle dit :

    Je n’ai pas craqué aux Imaginales mais avec la promo numérique d’ActuSF, je n’ai pas pu résister 🙂

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  6. […] et les mauvais genres), Nicolas Winter (Just a Word), Sandrine Brugot Maillard (Mes Imaginaires), Sia (Encres & Calames), Siana (Vampires et Sorcières), Thomas Riquet (Mythologica) et Yannick (Prose […]

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  7. Be Lecture dit :

    Le livre a beau en lui-même ne pas m’attirer, ta chronique pourrait me faire changer d’avis 🙂

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  8. Lupa dit :

    Parce que je ne veux surtout pas passer à côté lors d’une prochaine fièvre acheteuse, je le mets bien précieusement en tête de ma liste d’envies, merci 🙂

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  9. […] Nicolas Winter (Just a Word), Oriane (La Pile à Lire), Sandrine Brugot Maillard (Mes Imaginaires), Sia (Encres & Calames), Siana (Vampires et Sorcières), Thomas Riquet (Mythologica) et Yannick (Prose […]

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