Rébellion, Le Secret de l’inventeur #1, Andrea Cremer.

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Imaginez un monde où l’Empire britannique aurait écrasé la rébellion qui a donné naissance aux États-Unis d’Amérique… Dans ce XIXe siècle alternatif, Charlotte, seize ans, vit loin de ses parents, descendants des révolutionnaires américains, qui continuent la lutte contre les sous-marins et les machines volantes de Britannia. Entourée d’autres fils et filles de la rébellion, elle habite dans un réseau de grottes souterraines non loin de la ville flottante de New York, où les artisans de la Ruche et les ouvriers de la Grande Fonderie côtoient l’aristocratie des vainqueurs.
Un matin, elle croise dans la forêt un garçon amnésique, poursuivi par les machines de l’Empire, et lui sauve la vie. Mais quand elle le ramène dans les Catacombes, où elle attend comme tout le petit groupe d’amis qui l’entoure de rejoindre la lutte quand elle atteindra sa majorité, l’équilibre de son existence est bouleversé : l’existence de ce mystérieux garçon fait peser sur la rébellion une sourde menace, et ses compagnons ne sont pas tous sincères avec elle…
Des décharges de métal de l’Empire, infestées de rats d’acier, aux salons opulents de la noblesse, en passant par les méandres labyrinthiques de la Guilde des inventeurs, Charlotte est contrainte de quitter son refuge pour partir explorer le vaste monde !

 

Soyons honnête : Rébellion partait, dès la couverture, avec un gros potentiel. Et le bon point, c’est que le contenu n’a pas à rougir.

Dès l’ouverture, on plonge dans un univers délicieusement uchronique. Imaginez une Amérique où la guerre d’Indépendance n’a pas eu lieu. Ou plutôt, celle-ci a lamentablement échoué, et les colonies restent sous la tutelle de fer de Britannia, qui régente absolument tout. Mais la révolte gronde… Pour plus de sécurité, les enfants de rebelles grandissent à l’écart, développant leurs compétences de guerriers, stratèges, ou inventeurs, avant de rejoindre le combat. Ce que le frère de Charlotte, Ashley, et son ami Jack, s’apprêtent à faire. L’arrivée de Grave, le garçon ramassé par Charlotte dans la forêt, et la nécessité de découvrir les origines de cet enfant pour le moins étrange, vont propulser cette dernière beaucoup plus vite que prévu sur le devant de la scène : se faisant passer pour une jeune aristocrate, elle fait son entrée dans le monde, comme toute jeune femme du XIXe siècle qui se respecte. Ce qui implique tout un appareil de convenances et d’étiquettes en décalage total avec les scènes d’ouverture de combat, pleines de bruit et de fureur, mais qui font, comme d’autres petits détails, tout le sel de cet univers.

La première chose qui marque, dans Rébellion, c’est son univers fantasmagorique : des Catacombes à la forêt de pins d’acier, en passant par la Grande Roue et la New-York flottante, on évolue dans un décor visuellement très fort, assez sectorisé, et qu’on imagine sans peine, tant les descriptions sont riches. Il se dégage de l’ensemble de l’univers une impression de foisonnement, de redoutable efficacité, le tout baigné d’un exotisme pas désagréable. Qui n’a jamais rêvé de dîner en grande tenue dans la salle à manger d’un dirigeable ? Côté steampunk, on est vraiment servis, car l’auteur en reprend tous les codes.
Au fil du texte, on note des références aux grands textes fondateurs : impossible de ne pas voir dans les machines fantastiques un clin d’œil à Jules Verne, ou dans cette bande d’enfants perdus qui survit dans la jungle, une référence à Peter Pan ; d’ailleurs, Le Paradis perdu de Milton est cité dès l’ouverture !
Et l’univers ne souffre même pas de l’effet déjà-vu ! La mythologie tissée autour de Britannia est extrêmement importante et développée : cet empire suit donc la foi chrétienne… tout en vénérant Athéna et Héphaïstos, et en érigeant la culture antique comme modèle. C’est surprenant, mais cela fonctionne extrêmement bien ! Se dessine également le clivage magie / technologie si cher au XIXe siècle… mais il faudra probablement attendre le deuxième tome pour en savoir plus.

En effet, ce premier volume est, essentiellement, un volume introductif. Il s’y passe plein de petites choses, l’univers est suffisamment balayé pour qu’on s’y repère, mais il est vrai que l’intrigue (sous forme d’enquête) manque encore un peu de corps…
Et cela est dû au fait qu’elle est entièrement portée par les personnages, dont le portrait psychologique est particulièrement fouillé.

On suit donc Charlotte qui, au fur et à mesure qu’elle découvre le monde dans lequel elle vit (jusque-là, elle se terrait au fond de la jungle avec ses camarades), découvre également la vie en général, et de préférence en commençant par les aspects les moins glorieux. Si l’on résume, elle sauve un enfant d’un assassinat barbare, elle est trahie, elle doit mentir pour sauver son clan, elle découvre qu’on lui cache beaucoup (trop) d’informations, elle commence à apprendre ce qu’est être une jeune fille de 16 ans au cœur en ébullition, est trahie de nouveau, abandonnée, et doit surmonter d’autres actes iniques et sanglants. Tout ça en se montrant forte et en continuant de sourire. Hum. Pas terrible, comme apprentissage de la vie, mais cruellement réaliste.
Charlotte est une jeune fille qui ne s’en laisse pas compter, mais une jeune fille tout de même. Et si elle a du mal à mettre des mots sur ses sentiments, le lecteur, lui, voit tout de suite ce qui lui pend au nez – un classique de la littérature young-adult, direz-vous.

Eh bien pas tant que ça. Car Charlotte va passer beaucoup de temps à se poser un tas infini de questions, qui toutes auront trait à ses désirs et devoirs : non seulement, c’est bien mené, et construit en filigrane un personnage complexe et attachant mais, en plus, cela sert l’intrigue générale. La question du devoir sous-tend l’ensemble du roman : il y a ceux qui essaient de concilier devoir et volontés avant de claquer la porte, ceux qui bannissent sentiments et désirs pour ne se consacrer qu’au devoir, et ceux qui parviennent à maintenir un équilibre précaire. Par sentiments, il faut entendre amour, bien sûr (qui prend beaucoup de place et, en quelques passages, passe même au premier plan), mais aussi sentiments fraternels. L’intrigue fait se côtoyer deux fratries aux relations pour le moins compliquées et particulièrement touchantes, mais dont les étincelles promettent d’intéressants développements. Certes, cela prend de la place (parfois au détriment de l’intrigue), mais ce n’est jamais pesant, d’autant que le fil rouge revient toujours sur le devant de la scène. L’ensemble s’équilibre donc, au final, plutôt bien.

Autour de Charlotte gravite une brochette de personnages secondaires vraiment bien pensée et que l’on quitte à regrets, tant du côté des enfants (ou des jeunes) que des adultes «responsables». S’il est établi, dès le départ, que ces enfants sont là pour, d’une part, se former aux arts de la guerre et, d’autre part, assurer la relève, ils ne sont pas les seuls à porter la misère du monde sur leurs épaules et à devoir régler le conflit. Au fil des pages, une conspiration aux multiples ramifications se dessine, et on croise même quelques vrais membres de la rébellion. Le contexte politique, s’il est seulement esquissé dans ce premier opus, n’est donc pas inexistant, et on a hâte de le voir se développer.

En bref, Rébellion est un très bon tome introductif à l’univers foisonnant du Secret de l’inventeur. Ce premier volume met l’accent sur Charlotte, et sa construction en tant que rebelle, ce qui fait qu’on se sent légèrement frustré du déroulement de l’enquête, bien que celle-ci trouve – partiellement – une réponse à la fin. Malgré cela, la richesse de l’univers, et la force de caractère de Charlotte et de ses camarades, font qu’on se laisse porter par le récit, avides d’en savoir plus. La chute, de plus, laisse sur des charbons ardents. De plus, le livre en lui-même est superbe : outre la couverture (une merveille de Benjamin Carré), les têtes de chapitres sont ornées de rouages du plus bel effet.
Voilà une bien belle découverte sur la planète steampunk, dont on attend la suite avec (une légère) impatience. 

◊ Dans la même série : L’énigme du magicien (2) ;

Le Secret de l’inventeur #1, Rébellion, Andrea Cremer. Traduit de l’anglais par Mathilde Bouhon.
Lumen, 2015, 535 p.

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20 commentaires sur “Rébellion, Le Secret de l’inventeur #1, Andrea Cremer.

  1. J’ai adoré ce livre 🙂

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  2. plumesdelune dit :

    ça fait plusieurs fois que je vois de bonnes chroniques de ce livre, j’ai très envie de le lire !

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  3. Camille dit :

    oh bah je pense que je vais vraiment l’acheter au salon alors!

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  4. Acr0 dit :

    Tu ressens quand même que ce premier tome est introductif ? (ou c’était pour utiliser un autre mot que « premier » à chaque fois) Héhé, c’était LE livre à découvrir pour toi qui es la tenancière du challenge steampunk 😉

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  5. Flora dit :

    Contente que tu aies aimé, malgré les petits défauts que tu lui as trouvés. 🙂 Moi, j’ai vraiment adoré, cette Charlotte est une héroïne du tonnerre et Jack ne m’a pas laissée indifférente, héhéhé. Punaise, la suite arrive dans une éteeeernité, ça va être horriblement long d’attendre.

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    • Sia dit :

      Oui, ça va être long ! Je n’ai pas été gênée par le fait que l’enquête passait un peu au second plan mais, à la fin du roman, je me suis dit « Déjà, ah zut! « 

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  6. LittleDaisy dit :

    Encore une bonne critique … Faut VRAIMENT que je le lise et les Fiancés de l’hiver aussi me fait de l’oeil.

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  7. Lupa dit :

    Il était une énorme tentation, il est maintenant dans ma liste d’envies, et il sera très bientôt dans ma PAL ! Que dire de plus sinon que c’est d’une logique imparable 🙂

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  8. Escrocgriffe dit :

    Les critiques ont l’air unanimes, je suis impressionné par vos retours 🙂

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    • Sia dit :

      Chez French Steampunk, ils ont moins apprécié que l’enquête et l’intrigue passent au second plan. J’avoue que ça ne m’a pas gênée en cours de lecture, mais à la fin je me suis dit « Groumpf, déjà fini ?! »

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