L’Homme qui a vu l’homme, Marin Ledun.

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Pays basque Nord, 2009. La tempête Klaus a ravagé la façade atlantique. Jokin Sasco, un militant basque, a disparu depuis le début du mois de janvier. Les rumeurs enflent, mais l’affaire reste confidentielle en-dehors des cercles assermentés. 
Iban Urtiz, un jeune reporter, est chargé de l’affaire… et ne tarde pas à comprendre qu’il a mis le doigt dans quelque chose qui le dépasse. La sœur du disparu, Eztia Sasco, lui ouvre les yeux, et les portes d’un monde dans lequel mensonges, trahisons, enlèvements, tortures et séquestrations sont devenus les armes de l’ombre. Alors que deux tueurs chargés d’étouffer l’affaire se lancent à ses trousses, la vie d’Iban bascule sans pitié dans une guerre qui ne dit pas son nom. Une guerre que tout le monde se charge de ne pas ébruiter. 

Iban Urtiz, journaliste au quotidien Lurrama, est cantonné, à son grand désespoir, à la rubrique des chiens écrasés ou, pire, aux compte-rendus sans surprise des dégâts causés par Klaus, qui tournent en boucle dans tous les média français. Lorsque son rédacteur en chef l’envoie couvrir l’affaire Sasco, il en sauterait presque de joie. Cela suffirait – presque – à lui faire oublier qu’il doit travailler avec Marko Elizabe, un collègue bourru qui ne l’aime pas tant que ça. Car malgré son nom, Iban n’est pas basque. Il n’a même quasiment jamais vécu dans la région, et n’y connaît rien. Ce que Marko Elizabe lui reproche, évidemment. Car Iban ne sera pas à même de comprendre les tenants et aboutissants d’une affaire aussi complexe, de décrypter les non-dits, de dégager les points les plus importants. Mais Iban est aussi têtu que tenace. Personne ne croit en lui ? Tout le monde le prend pour un rigolo ? Parfait. À lui seul, il retrouvera Jokin Sasco. Quelque soit le placard dans lequel les autorités l’ont fourré.
En revanche, il ne s’attend certainement pas à trouver autant de cadavres dans le-dit placard.

Marin Ledun joue finement en plaçant un personnage totalement néophyte : comme lui, on s’interroge, on se demande comment, qui et pourquoi, et on attend les explications. Celles-ci arrivent au compte-goutte et, dans un premier temps, tout semble assez compliqué : l’ETA, le GAL, les milices privées, les ententes internationales secrètes, toutes ces ombres flottent au-dessus du récit. Successivement, Iban est traqué, sa voiture piégée, et les tueurs sont lâchés à ses trousses. Ce qui augmente grandement suspens et questionnements.

Le récit, vif et réaliste, est brutal. Le style de Marin Ledun, parfois haché et clinique, rend à la perfection cette terrifiante brutalité. Dans le même temps, le tout est affreusement prenant : on s’interroge, on s’insurge, on attend. On ne souffle pas un instant, tant le récit est bien mené : la tension est constante, et on vibre au diapason des personnages, de leurs espérances, de leurs désillusions, et de leur souffrance.

L’auteur ne prend jamais parti, et cette distance pousse habilement le lecteur à se poser des questions : qui est responsable ? Qui tire les ficelles ? Et surtout… qui terrorise qui ?
Les révélations finissent par tomber, et sont glaçantes à souhait. D’autant lorsqu’on se rappelle que Marin Ledun s’inspire de faits réels et avérés.

Loin de dresser un réquisitoire furieux, l’auteur livre là un polar d’une subtile intelligence, porté par une plume fluide, maîtrisée, franche et nette ; en un mot : parfaite. Le roman est passionnant, et amène le lecteur à se poser mille et une questions, à changer de perspectives, et à tenter de tirer des conclusions. En plus, voilà de quoi porter à la connaissance du public une sombre guerre dont on ne parle que trop peu. Quand c’est fait avec le talent qu’y a mis l’auteur, on signe de suite ! 
L’Homme qui a vu l’homme était mon premier roman de Marin Ledun, et ne sera pas le dernier. Inutile d’aller piocher dans les bibliographies américaines ou scandinaves lorsqu’on a un auteur aussi talentueux dans nos frontières !

L’Homme qui a vu l’homme, Marin Ledun. Ombres Noires, janvier 2014, 464 p.
9,5 / 10

9 commentaires sur “L’Homme qui a vu l’homme, Marin Ledun.

  1. Solessor dit :

    Les sombres affaires du Pays basque ont effectivement l’air plus compliqué que ce qu’on peut en percevoir plus vers le nord ! Livre accessible pour qui n’a aucun pied/aucune connaissance de la région ?

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    • Sia dit :

      Absolument, et c’est là où l’auteur est vraiment balèze : comme son perso débarque totalement, il fait des recherches exhaustives, et le thème est limpide à la fin (enfin, autant qu’il puisse l’être quoi..). C’est vraiment un roman de grand maître, je le recommande plus que vivement !

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  2. Solessor dit :

    Alors pourquoi pas ! 🙂

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  3. BMR dit :

    Des faits, beaucoup de faits, parfois difficilement soutenables, juste hier en 2009, ici en France. La description coup de poing d’un monde déshumanisé qui renvoie pratiquement dos à dos les flics compromis avec leurs mercenaires et les indépendantistes figés dans leur rigueur militante. Marin Ledun tient sa prose et son intrigue d’une main de fer et nous donne un récit très noir, très dur mais indispensable. Et une vision guère optimiste de notre société.

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  4. […] bluffée avec L’Homme qui a vu l’homme, un thriller politique décapant, d’une rare justesse, sur un sujet délicat qu’il […]

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  5. […] par le pictogramme ci-dessus. Côté découvertes, je retiendrai l’année 2014 comme celle de L’Homme qui a vu l’homme, Bride Stories, Gardiens des cités perdues, Feed, L’Océan au bout du chemin et Le Livre de […]

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  6. […] l’excellent L’Homme qui a vu l’homme l’an dernier, le dernier titre de Marin Ledun était attendu de pied ferme. Et il est aussi […]

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  7. […] un scénario aussi ciselé. Un polar ma-gis-tral. (A lire de préférence après avoir découvert L’Homme qui a vu l’homme, qui vient de sortir en poche, parce qu’on retrouve un personnage […]

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