Le Déchronologue, Stéphane Beauverger.

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XVIIe siècle, mer des Caraïbes. Le capitaine Henri Villon et son équipage de pirates luttent pour préserver leur liberté dans un monde déchiré par d’impitoyables perturbations temporelles. Leur arme : le Déchronologue, un navire dont les canons tirent du temps. 
À quoi pensait Villon en quittant Port-Margot à toute vitesse pour donner la chasse à un galion espagnol ? Mettre la main, peut-être, sur une maravilla, une des merveilles secrètes, si rares, qui apparaissent parfois aux abords du Nouveau Monde. Assurément pas croiser l’impensable : un Léviathan de fer glissant dans l’orage, capable de cracher la foudre et d’abattre la mort sur l’océan !
L’impensable est là : la guerre du futur vient de débarquer dans les Caraïbes des flibustiers !

 

1640, mer des Caraïbes. Henri Villon, capitaine de son état, pirate sur les bords, commande un navire qui a déjà connu des journées épiques en mer et s’apprête à en vivre beaucoup d’autres.
L’époque est trouble. Non seulement parce que les diverses couronnes se disputent ces territoires à coups de vaisseaux corsaires interposés, mais aussi parce que le temps a quelques ratés… S’il a amené les Targui, sorte de scientifiques du futur venus observer cette époque de façon plus ou moins neutre, le temps fait également jaillir toutes sortes d’objets plus anachroniques les uns que les autres.
Ces maravillas, Henri Villon en a fait son fond de commerce. Il fournit les comptoirs côtiers en conservas, batteries, et autres mange-disques. L’ennui, c’est que les caprices du temps n’amènent pas que des bienfaits. Il y a aussi ce terrible vaisseau fantôme qui rôde et coule sans difficulté aucune les flottes qu’il croise sur son chemin.

Le Déchronologue n’est pas un roman fantasy, bien que les pouvoirs quasi-merveilleux soient nombreux. Le Déchronologue n’est pas un roman historique, alors que les Caraïbes des flibustiers semblent revivre sous nos yeux. Le Déchronologue n’est pas non plus de la science-fiction, et ce même s’il parle de voyages dans le temps.
Le Déchronologue, c’est un peu tout cela à la fois.

Dès les premières pages, ce qui frappe, c’est le style riche et dense de Stéphane Beauverger. Ah, quelle claque ! C’est tellement bien écrit que ça mérite d’être lu à voix haute, rien que pour le plaisir d’entendre rouler et chanter ces syllabes. Ça c’est ce qui s’appelle savoir manier la langue française.
Et d’autant mieux que Stéphane Beauverger sait varier les ambiances : du pont du navire aux gargotes caraïbes, en passant par le bureau du gouverneur ou le campement des braconniers, on passe d’un extrême à l’autre, au gré d’une langue qui se transforme aisément. Langage fleuri, verbe châtié, joyeuses exclamations colorées, rugueux parler des îles (à la limite du compréhensible parfois !), les registres et les styles se côtoient intelligemment et se marient à la perfection.

Côté personnages, l’auteur nous campe une belle brochette de pirates, flibustiers, corsaires, et autres gens de mer : du capitaine au mousse, tous ont droit à une attention particulière même si, bien sûr, certains noms marquent plus que d’autres. Tous ces aventuriers se croisent, se pourchassent, se retrouvent au gré des chapitres : on nage en plein roman picaresques, et les figures hautes en couleur ne manquent pas !
Le roman étant en fait le journal de bord du sieur Villon, c’est le personnage que l’on suit le plus :  on a quasiment l’impression de le connaître sur le bout des doigts. Flibustier au grand cœur, c’est un personnage très humain. Sa conception du bien et du mal, ses allégeances, évoluent au gré des diverses péripéties qu’il traverse et c’est ce qui le rend si intéressant, et très touchant. Fort en gueule, jamais le dernier quand il s’agit d’attaquer  la bouteille au goulot, malin, intrépide, mais aussi sensible, c’est vraiment un personnage extrêmement réussi car très fouillé, et qu’on imagine sans peine aux commandes des vaisseaux.

Dernière chose à savoir : Le Déchronologue ne se démarque pas seulement par ses personnages hauts en couleur, son style riche, et le mélange des genres. La grande particularité du roman, c’est sa structure. Car les chapitres ne sont pas présentés dans l’ordre chronologique ce qui, il faut l’avouer, est pour le moins original. Aux sceptiques qui craindraient de se perdre dans le récit, pas de panique. Car malgré un choix narratif extrêmement audacieux, Stéphane Beauverger mène brillamment sa barque : on sait toujours où on en est, à quelle époque, et on ne se perd jamais dans le contexte (les rares fois où cela arrive, il suffit de reprendre la première page du chapitre, précisant le lieu et la date).
Le roman offre donc deux parcours de lecture : ou bien dans le sens voulu par l’auteur (que j’ai privilégié), ou bien dans l’ordre strictement chronologique. Les chapitres dans le désordre offrent un rythme soutenu à l’intrigue, et le procédé est intéressant : on connaît certains événements, on a quelques éléments en main, mais il faut attendre pour savoir comment tout cela se goupille… le récit est donc plein de suspens, et la tension maintenue tout du long, du fait que l’on connaît l’épilogue dès le départ.

S’il ne fallait retenir qu’un seul qualificatif pour ce roman, ce serait : brillant. Le Déchronologue est brillant par sa construction audacieuse, son sujet très original, sa galerie de personnages incomparable, et son style riche. L’auteur propose une véritable aventure picaresque et parvient à mêler habilement et intelligemment science-fiction et aventures maritimes. C’est plein de suspens, de rebondissements, de retournements de situations, de manipulations, de trahisons en tous genres : le récit est épique, et la structure éclatée offre un très bon rythme à ce roman grandiose. En bref, c’est un gros coup de cœur. 

 Le Déchronologue, Stéphane Beauverger. Folio SF, 2011 (2009), 560 p.
9,5 /10

 

Lecture commune : les avis de Flotousleslivres, ExtraVagance, mayartemis et angelebb.

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20 commentaires sur “Le Déchronologue, Stéphane Beauverger.

  1. ExtraVagance dit :

    Très bel article ! Je vois que sur la couverture du poche, le bateau fantôme est un sous marin, je l’imaginais plutôt comme un cargo ou un porte-avion…

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    • Sia dit :

      Ah, j’imaginais un porte-avion également. Au départ, à cause de la couverture, je pensais que c’était la tourelle du sous-marin, mais ça ne collait pas à la description, alors qu’un porte-avion me semble bien plus en accord ! Mais s’il y a des porte-avion, il y a peut-être aussi des sous-marins qui traînent… 

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  2. Solessor dit :

    Ce livre me tentait jusqu’à ce qu’on m’en fasse une critique assez négative… voilà que tu me réconcilies avec lui ! De la fantasy SF pirate, tout pour me plaire ! Mais il demande peut-être un niveau de concentration assez important, quand même ?

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    • Sia dit :

      Si tu le lis de manière très décousue, je pense que ça peut être un peu compliqué. Mais là, je l’ai lu en une semaine environ, et les rares fois où j’étais paumée, je regardais la date, je regardais dans le sommaire, je relisais le début du dernier chapitre avec la même date histoire de me rafraîchir la mémoire, et c’était tout bon – ça a dû m’arriver deux fois. C’est vraiment très bien écrit, et c’est à peu près comme suivre 10 personnages répartis sur la carte à tour de rôle (sauf que là, c’est le temps qui change). 

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  3. Déjà, je te remercie pour ta participation à cette LC J’ai beaucoup aimé ce livre. Dès le début, quand j’ai vu les chapitres dans tous le sens, j’ai eu peur de m’y perdre, mais en fait c’est tellement bien fait que j’ai tout de suite adhéré !!!

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    • Sia dit :

      J’ai eu un peu peur de m’y perdre aussi, mais finalement, ça se lit tout seul, et c’est vraiment intéressant comme parti-pris ! A l’occasion, je tenterai la lecture linéaire, pour voir, mais je pense que c’est beaucoup moins amusant.  Merci d’avoir organisé cette LC, c’était une bien bonne idée ! 

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  4. Camille dit :

    Aaaaah! Tu me donnes trop envie! Tous ces mélanges! ça a l’air trop bien! 

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  5. Escrocgriffe dit :

    Je ne l’ai toujours pas lu, j’ai honte…

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    • Sia dit :

      Ah mais non, il ne faut pas ! (On croule sous les nouveautés éditoriales, aussi, ça n’aide pas). Il faut se dire que l’on attend le bon moment pour déguster les chefs d’oeuvre (moi j’attends pour La Horde du Contrevent, par exemple !). 

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  6. Emily dit :

    Vraiment, vraiment envie de le lire !

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  7. sphinxou dit :

    La quatrième de couverture m’a interpellé et avec ta chronique je ne peux dire qu’une chose : il faut absolument que je le lise !!

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  8. […] : La Peur du sage, deuxième partie, Patrick Rothfuss. Martyrs, Olivier Péru. Le Déchronologue, Stéphane […]

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  9. Lupa dit :

    Maintenant que j’ai terminé ce roman et rédigé ma chronique, je viens me délecter de la tienne en toute liberté 🙂 Brillante elle aussi, et qui honore à merveille ce coup de cœur découvert grâce à toi ! Merci pour cette mémorable épopée maritime 😉

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  10. bouchondesbois dit :

    Je me souviens encore de cette lecture comme si je l’avais commencée hier ! Une vraie claque, tout à fait 😀

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  11. […] Curval (L’Homme qui s’arrêta, Akiloë ou le souffle de la forêt), Stéphane Beauverger (Le Déchronologue), Xavier Vernet (Scylla), Mathias […]

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