Le Dernier hiver, Jean-Luc Marcastel.

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2 035, 31º C en-dessous de 0. Depuis des années, le Crépuscule baigne Aurillac dans un ciel de sang. L’Hiver s’est installé, un hiver éternel qui dévore les terres et fige l’océan dans la banquise. La Malesève, cette armée de pins monstrueux, a mis à genoux la civilisation. Alors, devant la fin d’un monde, que reste-t-il d’autre que l’amour ? L’amour qui va pousser Johan à braver le froid et les pins pour retrouver sa bien-aimée, l’amour qui va pousser son frère, Théo, à lui ouvrir la voie, l’amour toujours qui incitera Khalid et la jolie Fanie à tout laisser derrière eux pour les suivre. L’amour est-il assez fort pour triompher de la Malesève et de ce qu’elle a fait des hommes ?

Imaginez… un monde entièrement recouvert par la neige. Un monde où les températures sont perpétuellement polaires, un monde où il ne fait jamais vraiment jour. Un monde qui a sombré dans la folie et le désespoir. Après un phénomène astrologique étrange, le monde que nous connaissions est plongé dans une lueur rougeâtre permanente. La Nature a repris ses droits, faisant reculer les hommes, leurs machines et la civilisation.
Ce qu’il en reste doit s’organiser pour survivre.
Avant de poursuivre, autant vous prévenir, je vais être désagréable : si le cœur ne vous en dit pas, vous pouvez directement passer au dernier paragraphe.

Vu comme cela, le roman part très bien : une histoire tissée autour de la réaction des hommes face à un monde en perdition, où les forêts, la glace, la neige et le vent règnent en maîtres. Tout cela partait même extrêmement bien, jusqu’à ce que le pavé tombe dans la mare. Histoire d’en rajouter sur le côté mélodramatique, Jean-Luc Marcastel a imaginé que la forêt qui se répand est uniquement constituée de… pins vampires. Et je n’ai rien inventé. Ces arbres mutants (en raison des radiations), pour survivre, se nourrissent de sang humain, et boulottent joyeusement tous ceux qui avaient envisagé de se faire un petit pique-nique bucolique. Soit.
A la limite, pourquoi pas. Mais ajouter, en plus, une sorte de conscience végétale collective à cette forêt, et la faire passer du rang de simple prédateur à engeance maléfique, il y a un pas que l’auteur aurait mieux fait de ne pas sauter. Au lieu d’être terrifiante et malsaine, cette forêt en devient grotesque : on perd tout à coup l’ensemble du potentiel dramatique, et c’est bien dommage. Vous, je ne sais pas, mais moi, des pins vampires odieusement maléfiques, ça me fait plutôt marrer que trembler.

Passée cette première surprise due à l’identité et la nature de l’ennemi, il faut encore accrocher aux personnages. Là encore, tout partait assez bien, avec une bande d’amis qui a réussi à garder de forts liens d’amitié dans l’adversité ce qui, en soi, est admirable et m’a beaucoup plu. Malheureusement, le bât blesse à nouveau. Pourquoi a-t-il fallu que l’auteur s’échine à caser autant de stéréotypes, tant masculins que féminins ? Entre le militaire au grand cœur, le jeune Arabe persécuté parce qu’il sort avec une jeune Juive (on aurait pensé qu’avec l’apocalypse en cours, ce genre de préjugés aurait disparu, mais non), la jeune fille menue et fragile éperdument amoureuse de son ami d’enfance aussi sourd qu’aveugle aux sentiments, on est servis. Mais la peine ne s’arrête pas là, non : le protagoniste, en plus d’être clairement un psychopathe, est aussi (évidemment) un beau gosse torturé au regard ténébreux, à la fibre héroïque bien trop exacerbée, en plus d’avoir un léger penchant schizophrène – et sa seconde personnalité n’est pas nécessairement la meilleure. Misère. Comme si, pour survivre, il fallait forcément être un monstre d’égoïsme, porté par une personnalité sans scrupules ni sentiments. Mais, rassurez-vous, tout cela ne s’arrête pas là. Car, voyez-vous, tout ce petit monde va se lancer dans une expédition désespérée, pour aller sauver l’amour de la vie du jeune fou furieux, exilée à Bergerac et dont ils sont sans nouvelles depuis des mois. Rien de plus simple, quand on sait que les fameux pins vampires ont colonisé tout le territoire.

On s’attend donc à une folle équipée dans le froid et la glace, à la recherche de la belle évaporée (oui, car, autre caractéristique : tous les personnages sont merveilleusement beaux. Une chance qu’on le sache car, quand on vit à -40°C, emmitouflés dans son passe-montagne, la beauté est par essence plutôt cachée). Cela étant, le principe de l’équipée m’a bien plu : avouez que c’est assez mignon, et que ça titille le réflexe chevalier-princesse en chacun de nous. Au cours de cette traversée, je m’attendais donc à ce qu’on subisse quelques passages difficiles. Et pour ça, on est servis, car les protagonistes semblent avoir le don pour tomber sur ce que la Création a fait de pire : entre le chef nomade qui se prend pour le roi du monde et crée son harem et le gourou-sorcier d’une secte maléfique, on n’est pas déçus du voyage. Là encore, petite déception : pourquoi fallait-il forcément verser dans les pouvoirs magiques ? Ne pouvaient-ils pas se débrouiller seuls, avec leurs petites compétences ? Ceci étant dit, je dois reconnaître à l’auteur qu’il fait ça avec classe, et que le tout sert un projet moral clairement défini. Si vous aimez les histoires de chevaliers héroïques, foncez, car ici, l’influence des récits chevaleresques est tout à fait perceptible.

Abordons enfin la question du style : passée l’introduction, quel ravissement ! Jean-Luc Marcastel a un style riche, dense, éminemment métaphorique, et souvent poétique. Un vrai plaisir pour les yeux. Du moins au début. Car par la suite, les mêmes tournures sont inlassablement recasées, encore et encore. Les mêmes métaphores, les mêmes périphrases pour désigner les personnages, les sentiments, les situations. De poétique, le style devient parfois franchement lourd et c’est très dommage, car il dessert clairement le propos de l’auteur. Le roman aurait certainement gagné à être épuré de certaines tournures trop répétitives, afin de garder les meilleurs passages (car d’excellents passages, il y en a. Croyez bien que tout n’est pas à jeter). Après une première centaine de pages, il devient pénible de lire sans cesse des tournures comme « l’obstination toute végétale », « le visage de fée eurasienne », « le militaire aux yeux de gosse ». Suprêmement agaçant. Comme si l’auteur ne pensait pas le lecteur capable de se souvenir des caractéristiques de chacun.
Quant aux péripéties, elles ne sont pas en reste. On s’attendrait à une certaine sobriété, au vu du contexte, mais il n’en est rien, et tout va de mal en pis : combats gagnés haut la main par des protagonistes inexpérimentés, arrivée d’une race de mammifères supérieure, dangereux mais (étonnamment) bienveillants envers les personnages, retournements de situation brutaux et – le meilleur pour la fin – sacrifice héroïco-stupide, rien ne nous est épargné. Tant et si bien qu’on en vient à se demander ce que voulait faire passer l’auteur, les actes des personnages étant loin d’être parfaitement moraux ou clairement justifiés par la nécessité (notamment du sacrifice). Drôle de moralité.

En somme, je n’ai pas du tout adhéré au Dernier hiver, à mon grand désarroi. Le style travaillé (trop, peut-être?) en devient lourd et répétitif, prenant régulièrement un ton moralisateur assez déplaisant. Les personnages m’ont tous semblé plus stéréotypés les uns que les autres, et assez prompts à jeter leurs convictions aux orties suivant les circonstances. Le seul qui m’ait vraiment plu est Khalid, avec ses incessantes boutades, et son sempiternel « Mon grand-père, y faisait des babouches, tu vois, et mon grand-père y disait… ». Ces perles de sagesses émaillant le récit réussissent, heureusement, à le faire remonter dans mon estime, et distillant une petite note d’humour bienvenue. Le message porté par le roman est, en lui-même, intéressant, et mérite d’être lu : mais c’est dommage, tellement dommage qu’il soit noyé dans tout cet appareil fantastique superflu et ses péripéties tirées par les cheveux qui, loin de terrifier, font plutôt penser à un mauvais film de série B. Le roman aurait gagné à être resserré sur les points essentiels, et n’en aurait eu que plus de force. Je suis donc terriblement déçue, oui, par ce qui s’annonçait comme une belle histoire d’amour, d’amitié et de survie, et tourne finalement à un grotesque ersatz de roman d’aventure, d’amitié, d’amour et de mort.

 

Le Dernier hiver, Jean-Luc Marcastel. Hachette Jeunesse (Black Moon), 2011, 450 p.
4, 5/10.

 

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7 commentaires sur “Le Dernier hiver, Jean-Luc Marcastel.

  1. Solessor dit :

    Eh bah, tu n’es pas tendre… en même, à lire ta chronique, je te comprends… j’ai moi aussi du mal avec ce besoin d’en faire toujours plus (et en ce qui me concerne, arrivée aux pins vampires, c’était déjà trop ;)) ! Devine quoi… je ne le lirai pas ! ^^

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    • Sia dit :

      Oui, je ne suis pas tendre, mais parfois, ça s’impose. J’essaie de ne pas verser dans l’agressivité inutile, cela dit, parce que je vois bien ce qu’a voulu faire l’auteur initialement. C’est juste que là, comme ça, ça ne passe pas. Cela dit, si tu veux le tenter, n’hésite pas, comme je le disais, certains passages sont très beaux, très poétiques (j’essaie de mettre un petit extrait quand ça aura fini de planter).

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  2. Maia dit :

    Je n’ai pas du tout adhéré à l’histoire!! Heureusement que Khalid était là en effet!!

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  3. […] avis chez Sia (qui comme moi n’a pas vraiment apprécié), Cajou (qui est un peu plus mitigé) et vous […]

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  4. Allison dit :

    Tu m’as rendue curieuse avec ton commentaire, alors je suis venue fouiller ton blog à la recherche du livre de l’auteur que tu n’avais pas apprécié !
    J’ai bien ri, parce que l’unique perso féminin de Tellucidar est, wait for it, une « beauté eurasienne au visage d’ange » hahaha… Et dans Tellucidar aussi sa beauté est louée de façon excessive et répétitive. Comme quoi !
    Au moins, dans le mien, il n’y avait pas de forêt vampire, ouf !

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