Dans la Buenos Aires des années 50, à l’ombre de la dictature, Santiago, un jeune provincial, réparateur de machines à écrire, se retrouve responsable de la rubrique ésotérique du journal où il travaille et informateur du ministère de l’Occulte, organisme officiel chargé de la recherche sur ces thèmes et les vérités qu’ils recouvrent.
Malgré son scepticisme à l’égard du surnaturel, Santiago assiste à une rencontre de spécialistes des superstitions, y est témoin d’un meurtre et mis en contact avec « les antiquaires », des êtres extraordinaires qui vivent dans la pénombre entourés d’objets anciens, vendent de vieux livres et sont la proie de la soif primordiale, la soif du sang.
Le hasard ou le destin, mais surtout un étrange amour, puissant et troublant, amènera Santiago à ne plus résister à cette soif et il devra alors chercher à survivre, peut-être pour l’éternité, dans un monde hostile.
La Soif primordiale est une histoire de vampires. Avec cela d’original que, jamais, ce mot n’est prononcé. Pablo de Santis propose une réinterprétation magistrale du mythe du vampire, revisité à la mode argentine, mâtiné de modernisme. Les antiquaires, comme leur nom l’indique, éprouvent une passion dévorante pour le passé, qui les pousse à se spécialiser dans un domaine artistique particulier : les personnages sont donc bibliophiles, numismates, collectionnent les poupées, ou encore les encriers. Modernisme car Santiago Lebrón, personnage principal, est réparateur de machines à écrire, et journaliste dans un quotidien argentin assez en vue des années 50.
N’espérez pas un roman fantastico-historique. Ici, l’Histoire ne sert que de toile de fond générale, d’arrière-plan lointain ; l’histoire de l’Argentine est évoquée en filigrane, à travers certains événements marquants cités du bout des lèvres – le bombardement militaire de la place de Mai en 1955, par exemple, ou encore la mort d’Evita Perón. Mais l’ombre de la dictature argentine gouverne le récit, s’insinue dans les interstices, et donne au roman son ambiance si particulière.
Toute l’histoire tourne autour de Santiago, de ses choix, et du hasard qui traverse son chemin. Chargé de la rubrique de l’occulte, il n’y croit guère, jusqu’à ce que les antiquaires, et leur soif de sang qu’il ne faut pas satisfaire, deviennent un sujet de préoccupation central pour lui. Commence alors la vie de l’ombre, et les recherches d’un mystérieux ouvrage permettant d’inverser la donne.
Des ruelles sombres aux étagères poussiéreuses de la librairie, Santiago évolue constamment dans un univers qui semble brumeux, ténébreux, et énigmatique. Au rythme lent des journées écrasées de soleil, pleines d’une tension dangereuse, on se laisse envoûter par l’ambiance étouffante, nébuleuse et dangereusement tragique de la Buenos Aires des années 50.
Loin du réalisme magique argentin cristallisé par la critique, Pablo de Santis revisite un mythe littéraire qui a donné le meilleur comme le pire, et s’en sort haut la main, en proposant une fiction originale et bien écrite. Alors, c’est sûr, si vous cherchez du sensationnel ou une intrigue sentimentale un peu niaise, passez votre chemin. Pablo de Santis ne dépoussière pas le mythe, au contraire, il s’engouffre dans une tendance déjà désuète, initiée au XIXe par les plus grands noms du fantastique, et en redore le blason. Comme chez Stoker, c’est moins le vampire que l’humain qui prime et, de là, les divers choix qu’il aura à faire – tous plus calamiteux les uns que les autres, ici, et c’est bien tout l’intérêt.
C’est dans une ambiance suffocante, voire oppressante, mais captivante, que l’auteur égrène ses phrases, dans un style enlevé, précis, et éminemment agréable à lire. Tant et si bien qu’il est difficile de lâcher le roman une fois commencé, car on se laisse emporter par l’atmosphère incroyable du récit et le spectacle de la déchéance tragique et inévitable du jeune Santiago.
Voilà donc un roman qui m’a beaucoup plu, et dont l’atmosphère ravira certainement les lecteurs qui aiment les romans d’ambiance et les récits fantastiques de haut vol. Du pur bonheur.
Et je remercie de tout cœur Enlivrons-nous, pour ce magnifique cadeau d’anniversaire : il était extrêmement bien choisi x)
La Soif primordiale, Pablo de Santis (trad. François Gaudry). Métailié, 2012, 246 p.
9/10.
Si vous avez aimé, vous aimerez peut-être…
Ah, je suis vraiment contente ! Après l’avoir acheté, j’ai vu des critiques qui le dépeignaient comme trop lent, voire soporifique ou ennuyeux. Mais je suis vraiment soulagée que tu n’en penses pas un mot ! Bref, ravie que tu aies aimé !
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C’est vrai que les fondus d’action trépidante risquent d’être déçus! Il m’a vraiment rappelé Riverdream, parce qu’on retrouvre le même genre de torpeur qui entoure l’action. J’aime beaucoup, mais je peux concevoir que d’autres n’apprécient pas plus que ça! Et donc je suis ravie que tu me l’aies offert, c’était un excellent choix!
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