Des bas-fonds les plus sordides aux éclats de la cour princière, la cité d’Arachnae se livre sans fards, gangrenée par l’horreur et les excès. Dans le Labyrinthe où se côtoient la misère et le vice, des cadavres d’enfants torturés sont retrouvés. Théodora, la belle bretteuse libertine, est contrainte de s’allier avec l’austère Capitaine Gracci pour faire cesser ces crimes, alors qu’une guerre souterraine sans merci se joue entre le prince Alessio et les Moires, ses conseillères, et qu’une secte mystérieuse semble étendre son influence sur l’aristocratie décadente. Ces alliés que tout oppose parviendront-ils à dénouer la trame des possibles, ou se laisseront-ils engluer dans la toile de la Destinée ?
« Celui qui croit pouvoir démêler l’écheveau du Destin est un insensé, car les Moires qui en ont la garde se jouent des désirs des mortels et les poussent inexorablement dans les chemins secrets qu’elles ont tissés pour eux. Ainsi commencent les contes, dans l’Archipel des Numinées. »
Voilà comment fonctionnent les vies dans l’Archipel des Numinées: le Destin décide pour vous de votre avenir. Vous pouvez le suivre (et tout ira presque bien) ou le refuser, mais ce sera alors à vos risques et périls.
La cité d’Arachnae se découpe en plusieurs quartiers aux attributs bien définis; dans le Labyrinthe, sorte de cour des miracles dévoyée, on trouve tous les commerces les plus sordides, et les crimes les plus glauques. Mais au Palais, la situation n’est guère plus reluisant: dans les recoins des corridors, diverses puissances s’affrontent à mort pour le pouvoir. Suite à un imbroglio politique, le prince Alessio occupe le trône d’Arachnae, qui est traditionnellement gouvernée par une femme; sa tête est donc rapidement mise à prix de toutes parts, car il ne saurait être question de garder cet homme – ou son fils – sur le trône.
A l’Académie, on forme les futures élites; gardes, espions, assassins ou courtisanes arpentent les couloirs du bâtiment . La jeune et belle Théodora, bretteuse libertine et farouche, promise à une grande destinée, déçoit quelque peu ses magister. Plutôt que d’accepter et honorer la voie que le destin lui a choisie, elle préfère s’enivrer dans le jeu, l’ambroisie, et les caresses de son amante. Elle se voit alors confier la terrible enquête qui secoue le capitaine de la garde, sur les enfants torturés et assassinés qui fleurissent dans le Labyrinthe.
Âmes sensibles, s’abstenir! Si rien ne nous est épargné du calvaire subi par ses jeunes enfants, on comprend que c’est essentiel pour dessiner la psyché du personnage central, Théodora. A des lieues des représentations habituelles des femmes guerrières dans la fantasy, elle fascine par ses moeurs libertines et audacieuses, son caractère piquant et son apparente inhumanité. Enquêtrice et duelliste hors pair, elle porte une partie de l’intrigue, sans toutefois en être l’unique pilier. Ornella, jeune courtisane formée aux arts de la Cour, également issue de l’Académie, a son importance dans l’enquête et prend peu à peu la place qui lui revient. L’ambiance générale du roman, sombre, prend les accents d’une tragédie classique, réhaussée de poésie poignante. Ces deux aspects, poésie et théâtre, prennent une grande place dans l’histoire; pas seulement car les personnages y sont formés (comme Mercutio ou Ornella), mais aussi par certaines scènes qui ont un fort aspect visuel et théâtral (surtout vers la fin). Ils servent par ailleurs à illustrer cette aristocratie décadente, aux moeurs douteuses, qui s’ébaubit devant des comédies romantiques, mais tisse des tragédies sanglantes derrière les portes closes de ses manoirs.
L’intrigue est servie par un background assez impressionnant: on sent que l’auteur n’a laissé au hasard ni la mythologie, ni les légendes ou l’imaginaire de son univers. Ainsi, de nombreuses citations des contes de l’Archipel sont insérées dans le roman, ainsi que des extraits d’un livre d’histoire qui servent à la fois à illustrer l’intrigue et à lui donner un double niveau de lecture.
Si les descriptions des sévices sont parfois sordides, à vous mettre le coeur au bord des lèvres, elles s’inscrivent parfaitement dans cet univers que l’on sent gangrené jusqu’à la moëlle, déteignant sur les personnages et leurs mentalités. Ces derniers sont bien dessinés, pensé dans la complexité sans fin de leurs mentalités, et certains auraient peut-être mérité un peu plus d’attention (comme les jeunes Artemisia et Noria, par exemple, mais peut-être est-ce parce que j’ai beaucoup apprécié ces deux jeunes filles fortes et réfléchies).
L’écriture, enfin, est assez condensée, ce qui fera peut-être dire à certains que l’intrigue est trop rapidement bouclée; au contraire, elle incite le lecteur à réfléchir par lui-même et à tirer les conclusions qui s’imposent. Construite à la manière d’un puzzle dont on emboîte peu à peu les pièces, l’enquête trouve une résolution aussi simple que logique (sans être simpliste) et se double de l’aspect politique avec les intrigues de la cour – qui ne sont heureusement pas laissées de côté au profit de l’enquête sur les meurtres.
A noter enfin que le roman dispose d’une vraie fin, ce qui se fait rare en fantasy de nos jours et n’en est donc que plus appréciable! Bien qu’il s’agisse d’une fin ouverte, on dispose d’une conclusion dépourvue de cliffhanger commercial.
L’histoire est vraiment prenante et la toile du Destin englue rapidement le lecteur, qui ne sort pas indifférent ce roman magistral au ton bien à lui, tissé par les volontés puissantes de la Destinée.
« Car nul ne peut échapper à la Destinée: tout est filé, tissé sur la Grande Tapisserie du monde. Et la Lune, déesse au triple visage, veille à ce que nul accroc ne vienne en altérer la trame.
Ainsi se terminent les contes, dans l’Archipel des Numinées. »
« Le soleil hivernal brillait. Se réfléchissant en myriades de particules dorées sur les toits encore humides d’averse, il dissimulait sous une lueur aveuglante les obscures venelles d’Arachnae et protégeait ses plus sombres secrets. De frauduleux trafics dans les venelles du Labyrinthe. Des crimes abjects dans les culs de basse-fosse du Cloaque. Des commerces abominables et des meurtres sanglants dans les entrailles d’Inferna. Et, à la surface, cette vive lumière. Ces parfums de neige et de pain chaud. »
Arachnae, Numinées #1 Charlotte Bousquet. Editions Mnémos, 2009, 302 pages.
8/10.
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